Rappelons qu’à la fin du mois de décembre, quelques jours après que la Fed eut procédé à une première hausse de taux depuis la crise financière de 2008-09, les bourses amorçaient une sévère correction qui ne prit fin que le 19 février. Le S&P 500 perdit alors 13 %. L’indice a tout repris depuis, mais demeure légèrement en deçà de son sommet de l’été dernier. Doit-on craindre une réaction semblable en juin si la Fed hausse son taux ?
Chose certaine, les boursicoteurs préfèrent demeurer sur les lignes de côté. La plus récente enquête hebdomadaire du sentiment des investisseurs par l’American Association of Individual Investors (IIAA) le démontre clairement. À la question « Êtes-vous positif, négatif ou neutre sur les perspectives boursières pour les six prochains mois », près de 53 % des répondants se disent neutres, un niveau rarement atteint. La moyenne historique est de 31 %. Seulement 18 % des investisseurs sont positifs contre 29 % pour le camp des négatifs.
Certains experts souhaitent ouvertement que la Fed repousse à plus tard la hausse de taux, car la faiblesse des bénéfices des sociétés américaines constitue un signal d’alarme, selon eux. « Hausser les taux d’intérêt à un moment où la faiblesse des bénéfices a commencé à faire tarir les investissements des entreprises, ce qui est normalement suivi d’un affaiblissement du marché du travail, serait imprudent de la part de la Fed », disent Stéfane Marion et Matthieu Arseneau, économistes à la Financière Banque Nationale. « Nous continuons de croire qu’un relèvement des taux d’intérêt est possible plus tard cette année, mais seulement quand le contexte de la rentabilité des entreprises se sera stabilisé », ajoutent-ils.
Les bénéfices par action des sociétés de l’indice S&P 500 sont en baisse de 7 % pour le premier trimestre 2016. Il s’agit de la plus forte diminution de bénéfices trimestriels depuis le troisième trimestre 2009. Les bénéfices des grandes sociétés américaines ont baissé au cours des quatre derniers trimestres.
Plus on va se rapprocher du 14-15 juin, plus ça risque de jouer sur le marché boursier, croit François Dupuis, économiste en chef chez Desjardins. « Les doutes persistent quant aux perspectives de l’économie mondiale », dit-il. « Et la Fed est attentive au reste du monde », dit-il.
Toutefois, comme la Fed veut agir graduellement dans la normalisation de la politique monétaire, retarder la hausse des taux pose aussi un risque, selon lui. « Hausser les taux maintenant permettrait de ne pas avoir à les monter trop vite plus tard », dit-il.
Pour certains banquiers centraux comme Patrick Harker, président de la Réserve fédérale de Philadelphie, la force de l’économie américaine permet une hausse de taux dès juin. « La Fed devra hausser les taux d’intérêt à sa réunion de juin, à moins bien sûr que d’ici là des statistiques économiques démontrent que l’économie américaine dévie de sa trajectoire », dit-il.
Mais même si les conditions économiques américaines permettent une hausse de taux, on ne peut pas ignorer le risque relié à la question du Brexit, soit le référendum au Royaume-Uni concernant son adhésion à la Communauté européenne. « Le référendum qui se tiendra une semaine après la réunion de juin de la Fed présente un risque suffisamment grand pour inciter les décideurs de la Fed à garder le statu quo pour un mois de plus », dit Mohamed El-Erian, économiste en chef chez Allianz.
La Fed montera-t-elle les taux ? Il y a suffisamment de pour et de contre pour assurer que le suspense durera jusqu’au 15 juin, et les marchés demeureront sur le qui-vive jusqu’à ce moment.