Les marchés boursiers approchent de la nouvelle année dans un contexte d’incertitude tandis que les experts anticipent une récession en 2023.
Deux facteurs sont déterminants pour la trajectoire des marchés boursiers. D’abord, les prévisions quant aux profits des entreprises et, ensuite, ce que les investisseurs sont prêts à payer pour ces bénéfices anticipés.
Or, l’économiste en chef de la Banque Nationale, Stéfane Marion, voit peu de catalyseurs pour le marché boursier sur ces deux fronts. En entrevue, il a souligné que les évaluations des principaux indices boursiers sont revenues dans leur moyenne historique des dix dernières années après le rebond enregistré en octobre et novembre. Il a ajouté que le contexte économique, qui s’annonce plus difficile en 2023, limite la capacité des entreprises d’accroître leurs bénéfices.
Stéfane Marion croit que l’inflation se modérera beaucoup plus rapidement que ne l’anticipent les banques centrales, qui pourraient avoir resserré trop rapidement leur politique monétaire. « Pour donner une idée, ma prévision d’inflation est à 3% au premier trimestre, alors que les banques centrales, elles, disent que le 3%, c’est pour la fin de 2023. »
L’économiste attend de voir dans quelle mesure les banques centrales, notamment la Réserve fédérale (Fed) qui maintient un discours plus dur que celui de la Banque du Canada, changeront de cap devant les signes de modération du marché de l’emploi et de l’économie.
« Je suis un peu moins constructif pour la Bourse pour les prochains mois, mais pour ma deuxième moitié d’année, aussitôt que je vois mon pivot des banques centrales, je suis prêt à déployer les encaisses vers d’autres classes d’actif. »
Michel Doucet et son collègue Jean-René Ouellet, de Desjardins Gestion de patrimoine, se préparent pour la nouvelle année « avec prudence ». « Les marchés anticipent déjà une légère récession ou un atterrissage en douceur, a commenté Michel Doucet. Les investisseurs vont vouloir une preuve et tout ça va dépendre de l’inflation, mais aussi de l’évolution des marchés du travail. Si on a une confirmation [d’une récession légère], les marchés devraient faire mieux en deuxième moitié d’année. Ce que les marchés n’aiment pas, c’est les surprises. »
Un meilleur horizon à long terme?
Les deux stratèges de Desjardins Gestion de patrimoine pensent que les perspectives à long terme sont plus favorables qu’à pareille date l’an dernier. À la fin de l’année 2021, les actions avaient connu des rendements supérieurs et les taux d’intérêt des obligations se situaient à un creux, ce qui amenait les deux stratèges à suggérer aux investisseurs de modérer leurs attentes.
Si les premiers mois de l’année sont incertains, la baisse des marchés boursiers et la montée des taux d’intérêt amènent des conditions plus attrayantes à long terme pour les détenteurs d’un portefeuille équilibré, réparti à 60% en actions et à 40% en obligations.
« Je préfère beaucoup ce contexte pour l’investisseur par rapport aux espérances de rendements pour les dix prochaines années, a dit Jean-René Ouellet. Pour la personne qui vend une maison, un chalet ou une entreprise, je pense que son rendement est plus attrayant aujourd’hui qu’en début d’année 2022. »
Il souligne qu’avec des taux d’intérêt plus élevés, les obligations offrent un meilleur contrepoids en cas de baisses des actions qu’au moment où les taux étaient à un creux. « Si jamais la Bourse devait casser, la capacité du marché obligataire de nous protéger va probablement être nettement meilleure qu’en 2022.É
La hausse des taux obligataires est également une bonne nouvelle pour les investisseurs ayant une tolérance au risque moins élevée, ajoute le stratège. « Un investisseur qui a fait sa planification financière et qui a besoin d’obtenir un rendement d’entre 4% ou 5% devait avoir une plus grande exposition aux actions pour atteindre ses objectifs. Maintenant, peut-être qu’il peut viser le même rendement en ne prenant qu’une fraction du risque qu’il aurait pris en début d’année. »
Stéfane Marion, pour sa part, ne croit pas que les marchés boursiers soient nécessairement plus attrayants à long terme, malgré la correction de 2022. L’économiste croit que des conditions structurelles, comme les interventions politiques pour lutter contre les bouleversements climatiques et les tensions géopolitiques, rendent le contexte moins favorable.
« Les ratios cours/bénéfice vont devoir être plus bas que la moyenne d’entre 1988 et 2019, a dit l’économiste en chef de Banque Nationale. Toute cette période-là est caractérisée par une mondialisation à outrance et une inflation très faible. »
Des stratégies défensives
Pour 2023, Stéfane Marion adopte une position plus défensive. Il réduit légèrement sa pondération en actions pour accroître les liquidités en portefeuille.
Encore cette année, il affiche une préférence pour les actions canadiennes, car il estime que le contexte économique et géopolitique limite le potentiel de chute des matières premières.
« Avec l’incertitude en Ukraine et en Russie, on pense que c’est plus défensif d’être exposé au Canada dans le secteur énergétique. Les ressources énergétiques et les aurifères peuvent aider à protéger en 2023. »
Les deux collègues de Desjardins Gestion de patrimoine ont, eux aussi, adopté une stratégie « prudente », car « l’heure n’est pas aux excès ». Les deux stratèges maintiennent une préférence pour les bourses canadiennes et américaines.
Malgré une préférence pour les titres « valeur », Jean-René Ouellet sous-pondère la consommation de base tandis que les évaluations de sociétés comme Metro et Dollarama sont déjà élevées, selon lui.
La hausse des taux d’intérêt a exercé une pression sur le secteur immobilier et les services publics, ce qui représente une occasion, croit le stratège qui n’avait pas surpondéré ces secteurs « depuis longtemps ».
Jean-René Ouellet aime également le secteur financier. « Je m’attends à ce que les financières fassent mieux au cours de la deuxième moitié de l’année. Pourtant, le secteur s’échange déjà à un escompte d’à peu près 25% par rapport aux ratios cours/valeur comptable historiques. Il y a déjà une petite récession prise en compte dans le prix des financières canadiennes. »