Comment des pépins boursiers peuvent affecter les marchés
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Au début de l’automne 1987, le marché boursier américain s’est effondré. Le Dow Jones Industrial Average avait doublé par rapport aux deux années précédentes et atteint son niveau historique le plus élevé de 2 722 en août. Cette euphorie s’est rapidement dissipée. À la mi-octobre, l’encaissement des profits avait gommé 20 % de la valeur du Dow Jones à ses sommets, et le ton des médias financiers était devenu funeste. Comme pour janvier de cette année, octobre 1987 a été un de ces moments où le marché donnait l’impression qu’il était sur le fil du rasoir.

 

À cette date-là, il a perdu l’équilibre, avec une perte de 22,6 % le 19 octobre, le Lundi Noir. (À titre anecdotique, cette rubrique n’existerait pas sans le Lundi Noir. À l’été de 1987, j’ai décroché mon premier emploi. L’effondrement boursier d’octobre a convaincu le président de cette société qu’une récession s’annonçait. Peu de temps après, il a mis à la porte toutes les nouvelles recrues : les derniers arrivés ont été les premiers à partir. Heureusement pour moi, je connaissais quelqu’un qui travaillait dans une industrie qui m’était totalement inconnue, une nouvelle société qui s’appelait Morningstar et qui avait à sa tête quelqu’un qui ne s’en laissait pas compter facilement. Donc, alors que le 19 octobre 1987 a sonné le glas de bien des carrières d’investisseurs, il a lancé la mienne.)

Le Lundi Noir a démontré que le marché boursier était vulnérable à des conséquences imprévues. Bien que l’on se fût toujours inquiété de la structure de la bourse, ces inquiétudes n’étaient pas prises au sérieux avant le Lundi Noir. L’énorme chute qui s’est produite ce jour-là, apparemment déconnectée des nouvelles financières (ce ne fut pas comme si un mastodonte bancaire avait dû fermer la fin de semaine précédente, comme pendant la crise de 2008), a suggéré que le marché était atteint dans ses fondations même. Les pertes, disait-on, « ont fait boule de neige ».

L’assurance de portefeuille a été désignée comme la coupable. Cette formule, qui jouissait d’une popularité récente, vendait pendant les chutes boursières, pour protéger les portefeuilles contre des baisses encore plus sévères. Ces ventes se sont principalement produites à l’aide de contrats à terme. Le marché boursier connaissait un glissement, les assureurs de portefeuille vendaient des contrats à terme sur indices boursiers, le prix des contrats à terme boursiers dégringolait à cause des ordres de vente, les investisseurs traitaient la tarification des contrats à terme boursiers comme des signes avant-coureurs, et vendaient leurs actions. Le marché boursier connaissait un autre glissement. Et on remettait ça.

L’explication paraissait crédible. Elle avait certainement un accent de vérité. La popularité de l’assurance de portefeuille avait littéralement explosé, partant de rien ou presque deux ans auparavant pour devenir une tranche importante du négoce des contrats à terme. Qui plus est, les commandes avaient tendance à arriver par paquets. Nous pouvons retracer cette activité, ainsi que l’effet de ces transactions sur le marché des contrats à terme. Ce que nous ne savons pas est jusqu’à quel point les changements dans le prix des contrats ont affecté le marché boursier. Dans l’étude qui a suivi le krach, la commission des valeurs mobilières américaine (Securities and Exchange Commission) a conclu de façon prudente que l’assurance de portefeuille n’était pas la cause première des malheurs que l’on avait connus, mais qu’elle avait joué un « rôle important » dans la détérioration de la situation.

Depuis le Lundi Noir, nul doute que la SEC est parfaitement au fait du phénomène des conséquences imprévues. Tout comme d’autres observateurs du marché. Les médias financiers se sont complus à raconter des histoires d’horreur sur les produits dérivés, surtout s’ils sont détenus par des gestionnaires de sociétés de fonds. (Il y quelques années, j’étais invité à une émission d’actualités financières où j’ai entendu un soi-disant « expert » déclarer que les rachats du fonds PIMCO Total Return, dont les actifs sous gestion s’élevaient à plusieurs milliards de dollars, déclencheraient une émeute sur le marché obligataire à mesure que le fonds se débarrasserait de ses produits dérivés. On attend toujours.)

Le nouveau danger?

Au cours des dernières années, on a cessé d’étudier les contrats à terme et les options au microscope pour se pencher sur l’indexation.

Cet examen minutieux a commencé par les fonds négociés en bourse, pas parce qu’ils étaient indexés, mais plutôt à cause des mécanismes transactionnels qui leur étaient propres. Ces mécanismes ont eu des ratés périodiques et cratérisé ainsi provisoirement le prix du FNB victime, suscitant potentiellement l’effroi chez les investisseurs du marché boursier. Dans ce cas, le lien entre le titre coupable et le comportement du marché est encore plus ténu que celui qui existait entre les contrats à terme sur indices boursiers et les actions en 1987. On a plus tard découvert que le « krach éclair » de 2010, initialement imputé aux problèmes des FNB (et des problèmes, ils en avaient ô combien!), avait eu de nombreuses causes.

L’attention générale s’est ensuite déplacée vers la pratique de l’indexation elle-même. De nombreux gestionnaires actifs ont avancé la théorie que la croissance du placement indexé pondéré selon la capitalisation boursière avait créé une sorte de « bulle » parmi les actions qui appartenaient à des indices populaires et conduit à négliger ceux qui n’en faisaient pas partie. Lorsque la bulle éclatera, avance-t-on, les investisseurs indiciels déçus délaisseront ces fonds indiciels, forçant ainsi les gestionnaires de ces fonds à vendre les actions populaires, ce qui déprimera leur cours encore davantage, conduira à d’autres rachats, et ainsi de suite. Comme pour le Lundi Noir, mais au ralenti.

Plus récemment, l’attention s’est fixée sur le placement au bêta stratégique. Rob Arnott de Research Affiliates, qui s’est fait l’avocat le plus visible de cette approche, est le co-auteur d’un article intitulé How Can ‘Smart Beta’ Go Horribly Wrong? (Comment le bêta intelligent peut-il conduire à de si épouvantables erreurs?) Allant plus loin dans l’argumentation de la bulle indicielle, M. Arnott se demande si le boum des FNB au bêta stratégique qui cherchent à exploiter entre autres des facteurs comme les stratégies axées sur la valeur, le placement fondé sur l’élan et les actions à faible volatilité, est allé trop loin. La découverte qu’ont faite les chercheurs de ces « anomalies » a-t-elle posé les jalons de leur propre destruction, l’afflux de fonds supplémentaires ayant gonflé le prix des actions jusqu’au point où elles finiront par se casser spectaculairement la figure?

M. Arnott écrit : « Nous prévoyons la probabilité logique d’un krach du bêta intelligent comme conséquence de la popularité explosive des stratégies anti-indicielles. » Ironie, ton nom est Arnott! Je suis moins convaincu que M. Arnott par les données qu’il présente, mais c’est un autre sujet. Autant dire que l’indexation au bêta stratégique a été ajoutée à la liste des facteurs qui peuvent avoir des conséquences imprévues sur le marché boursier.

En conclusion

Où je veux en venir?

1) Il est difficile de séparer l’effet de conséquences imprévues (à cause d’une imperfection de la structure boursière ou du comportement générateur de « bulles » des investisseurs dans les actions) du carnage qui se produit habituellement au cours des marchés baissiers.

2) Toutefois, ce souci est au moins assez, sinon très légitime.

3) Il y a plus de raisons de s’inquiéter aujourd’hui que par le passé. Mis à part les produits dérivés négociés en bourse, il existe désormais un marché gigantesque de produits dérivés personnalisés, plus les FNB, plus l’essor de l’indexation, plus l’invention des transactions à haute fréquence. Aller plus loin relèverait des contes à la veillée. Nous ne savons pas si un ou plusieurs de ces facteurs seront déstabilisateurs, mais nous ne savons pas non plus s’ils ne le seront pas.

Il n’y a rien dans ce développement qui fasse figure d’avertissement contre les actions américaines. C’est là que la plupart de mes propres actifs ont été investis, qu’ils sont investis, et qu’ils seront investis quasiment à coup sûr dans l’immédiat. Ce message est plutôt « à bon entendeur ». De nombreuses caractéristiques du marché boursier américain ont changé ces dernières années. Ne soyez pas surpris si ces changements occasionnent quelques ratés.