Comment extraire de l'argent non imposable d'une entreprise par un transfert d'assurance vie

« Une des tactiques acceptées par la Loi de l’impôt sur le revenu est qu’un individu propriétaire d’un contrat d’assurance vie peut transférer la propriété de ce contrat à une corporation contrôlée par ce même individu, dit Bob Challis, président et planificateur financier principal auprès de la société de Winnipeg Nakamun Financial Solutions.

Il y a plusieurs étapes à franchir et des frais à payer, mais voici comment ça marche. D’abord, pour être admissible à un transfert, la police d’assurance vie doit être sur la vie du professionnel concerné.

Ensuite, un actuaire indépendant doit établir la juste valeur marchande de cette police. « Il est facile d’évaluer une action, parce qu’au cours d’une journée donnée elle se négocie à tel prix, et nous pouvons donc établir sa juste valeur marchande », dit Fraser Lang, vice-président principal du développement auprès de la société de consultation actuarielle Gordon B. Lang & Associate. Mais établir la valeur marchande d’une police d’assurance vie exige l’application d’une formule complexe. Pour ce type de service, il faut s’attendre à payer entre 1 500 $ et 3 000 $ en frais d’actuariat.

Une fois établie la juste valeur marchande du contrat d’assurance, le professionnel peut la transférer à sa corporation.

L’avantage qu’il en tire? En échange de la propriété du contrat d’assurance vie, la corporation du professionnel va lui verser la juste valeur marchande du contrat. Ce versement est libre d’impôt.

La juste valeur marchande (JVM) calculée par l’actuaire va dépendre de nombreux facteurs, notamment l’âge de l’individu concerné, sa santé, s’il est fumeur ou non, l’augmentation éventuelle des primes de polices comparables avec le temps, et les taux d’escompte qui comprennent certaines hypothèses sur les taux d’intérêt. « Nous utilisons deux méthodologies et adoptons le montant le plus faible des deux par prudence, au cas où l’Agence du revenu du Canada mettrait en doute la JVM, dit M. Lang. Nous voulons nous assurer que l’ARC n’a pas de problème avec la JVM. »

Les changements d’état de santé peuvent avoir un impact sur la juste valeur marchande, remarque M. Challis. Il cite l’exemple d’une personne de 55 ans qui a acheté un contrat d’assurance typique sur sa propre vie à l’âge de 45 ans mais a depuis développé des problèmes cardiaques et fait de l’hypertension.

« Lorsque l’actuaire évalue un contrat vieux de dix ans, il se dit que c’est une affaire en or parce que sa tarification est normale et que l’assureur ne peut pas changer ses tarifs aussi longtemps que le paiement des primes est effectué, même si l’espérance de vie de l’individu est diminuée. »

M. Challis donne l’exemple véridique d’un individu qui a vendu pour 750 000 $ un contrat d’assurance vie de 5 millions de dollars (M$) à sa propre société de portefeuille et a pu récolter l’argent sans payer d’impôt. « Il a quand même déboursé 2 500 $ pour l’évaluation actuarielle et médicale, mais c’est tout ce qu’il a dû payer. »

M. Challis dit que cette personne aurait pu également se procurer 750 000 $ en déclarant plutôt un dividende. Mais s’il avait choisi cette solution, il aurait été obligé de déclarer un dividende de 1,3 M$ pour générer le même versement après impôt.

Cette stratégie ne marche pas pour tout le monde, reconnaît M. Challis. « On a vu les meilleurs résultats avec des polices qui ont été délivrées à des taux ordinaires, qui comportent des options de conversion non médicales et qui ont vu se détériorer la santé de l’individu concerné », dit-il. Il remarque qu’effectivement un autre individu dans la cinquantaine et en parfaite santé gagnera probablement beaucoup moins d’argent que pour le premier cas mentionné ci-dessus lorsqu’il transférera son contrat d’assurance vie à sa société de portefeuille. « Les chiffres ne sont pas si convaincants. »

M. Lang avance que la stratégie de transfert n’est pas conseillée si la personne concernée possède une société normale en exercice. « Si cette personne devait vendre la société dans l’avenir sans avoir une société de portefeuille pour y placer sa police, celle-ci devrait être retournée à l’individu et cette transaction serait alors pleinement imposable », dit M. Lang, ajoutant qu’il est recommandé de consulter au préalable un comptable ou un courtier d’assurance. « L’idée sous-jacente est de conserver la société pendant la durée de vie de l’assuré. »

Toutefois, cette stratégie est conseillée pour quelqu’un qui possède une société de portefeuille ou une compagnie professionnelle détentrice de placements ou de biens immobiliers et que la société dispose de suffisamment d’argent pour faire des versements à l’individu et payer les primes d’assurance. « Souvent, les conseillers recommandent aux professionnels de détenir ces placements et leurs polices d’assurance au sein des corporations parce qu’ils garderont ces dernières toute leur vie », dit M. Lang.

Quand ils prennent leur retraite, leur corporation professionnelle devient tout simplement une société de portefeuille. Dans le cadre de leur stratégie de retraite, ils pourraient y garder de l’argent. » En parvenant à une juste valeur marchande pour la police d’assurance, réitère M. Lang, on trouve un moyen fiscalement efficient d’extraire certains de ces bénéfices.

Si vous envisagez cette stratégie, le moment de le faire est important parce que de nouvelles règles régissant l’imposition des polices d’assurance vie entreront en vigueur le 1er janvier 2017. « Deux choses vont changer. D’abord, le coût du rachat d’un contrat d’assurance sera beaucoup plus élevé. Ensuite, l’évaluation de la JVM sera beaucoup plus basse », dit M. Challis, remarquant que les transferts d’assurance vie devront être conclus d’ici le 1er janvier 2017 pour fonctionner selon les conditions actuelles. « L’ARC est en train de changer les paramètres de calcul de la JVM et de la vitesse à laquelle on pourra placer l’argent des primes dans un contrat d’assurance vie tout en demeurant exempté d’impôt. »

Les professionnels pourront continuer à utiliser cette stratégie après le 1er janvier 2017, mais le taux de rendement interne ne sera plus aussi attrayant. « L’exception est pour ceux qui sont sur leur lit de mort. Ce qui importe est l’espérance de vie », dit M. Challis. Organiser le transfert des contrats d’assurance vie peut prendre quelques mois, dit-il, mais dans les cas extrêmement complexes cela peut durer jusqu’à deux ans.

Photo Shutterstock