Les 196 pays membres de la Convention sur la diversité biologique ont approuvé, fin décembre à Montréal, une vingtaine d’objectifs pour arrêter le déclin des espèces naturelles dans le monde. Le secteur financier a répondu à l’appel : quelque 150 institutions financières gérant plus de 24 000 milliards de dollars (G$) étaient présentes à l’événement.
L’objectif phare consistait à se doter de moyens pour protéger au moins 30 % des terres, des eaux intérieures et des océans de la planète. Cette cible a été présentée comme l’équivalent pour la biodiversité de l’objectif de l’Accord de Paris, signé en 2015, qui vise à limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C.
Les États signataires se sont engagés à verser au moins 20 milliards de dollars (G$) par année d’ici 2025 et 30 G$ entre 2025 et 2030 dans un fonds spécial consacré à la biodiversité, créé à même le Fonds pour l’environnement mondial. De plus, d’ici à 2030, ils devront réorienter 500 G$ de dépenses publiques menaçant la biodiversité.
Pour la première fois, l’industrie de la finance était assise à la table d’une COP consacrée à la biodiversité. Une journée entière a été consacrée aux enjeux financiers le 14 décembre, afin d’explorer la façon dont le secteur doit s’impliquer dans la mise en œuvre du cadre mondial pour la biodiversité et prendre en compte les risques, impacts, dépendances et opportunités liés à la nature dans les projets financés.
BNP Paribas, la plus importante banque européenne avec plus de 3 000 milliards d’actifs, faisait partie des institutions présentes. L’institution est née en 2000 de la fusion de deux banques privées françaises, BNP et Paribas. Présente dans 65 pays, elle est aujourd’hui le huitième groupe financier mondial. Le siège social canadien, situé à Montréal, est en croissance. Il compte quelque 1200 employés et recrute activement.
Biodiversité et ESG
L’investissement ESG est devenu central dans la stratégie d’affaires de la banque européenne depuis une dizaine d’années. Laurence Pessez, qui dirige la Responsabilité sociale et environnementale de BNP Paribas depuis 2009, était de passage à la COP 15 pour évaluer les impacts de la biodiversité dans le portefeuille de ses clients.
« On veut créer une méthodologie et des indicateurs communs pour toutes les institutions financières, partout dans le monde. On est ici pour que le nouveau cadre de la biodiversité soit mis en branle », explique-t-elle. À son avis, l’accord signé cette semaine à Montréal pourrait être aussi important que celui de Paris.
Sous l’impulsion de cette gestionnaire issue de la communication et des ressources humaines, le groupe financier est devenu en 2017 la première banque européenne pour sa performance en matière de responsabilité selon l’agence de notation extrafinancière Vigeo-Eiris. En 2018, elle a été nommée meilleure banque au monde pour la finance durable par Euromoney, et en 2019, troisième banque mondiale dans le classement des banques les plus durables de Corporate Knights.
BNP Paribas a commencé par exclure des entreprises productrices de pétrole et gaz de schiste et de sables bitumineux en 2017, ce qui ne l’a pas rendu très populaire auprès de ses partenaires canadiens dans ce secteur, concède Laurence Pessez.
« Fin 2017, nous sommes sortis des spécialistes de ce secteur, essentiellement des sociétés américaines de moyenne capitalisation aux modèles d’affaires très liés à ces sources d’énergie et de toutes leurs infrastructures associées. »
En 2020, la banque a commencé à supprimer progressivement la chaîne de valeur du charbon thermique de ses investissements en vue de l’éradiquer d’ici 2030 dans l’Union européenne et les pays de l’OCDE. D’ici 2040, elle a l’intention d’étendre cette politique au reste du monde.
Entente internationale
Après l’approche d’exclusion, le groupe financier est passé à une stratégie d’impact. Il s’est engagé notamment à financer à hauteur de 43 G$ des projets d’énergie renouvelable d’ici 2025. Pour ce faire, il a développé en collaboration avec quatre autres banques internationales une méthodologie commune afin d’aligner leurs portefeuilles dans les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre (GES,) tels que la production d’électricité, les combustibles fossiles, les transports, le ciment et l’acier.
Concentrée sur l’environnement et la lutte aux changements climatiques au cours des dix dernières années, la banque veut désormais mettre l’accent sur la responsabilité sociale. Elle scrute notamment, chez les entreprises qu’elle finance, les conditions de travail de la main-d’œuvre et les politiques de travail équitables. Des sujets qui se sont imposés dans la foulée de la COVID-19, rapporte Laurence Pessez.
« La prochaine vague de responsabilité impliquera une action plus large, non seulement dans les secteurs de la santé et de l’environnement, mais aussi en matière d’emploi, d’éducation et d’autres questions sociétales », estime-t-elle.
Réalité économique
Le parti pris de la banque en termes d’investissement durable se heurte cependant à la réalité économique. Ainsi, BNP Paribas a été vertement critiquée au printemps dernier par des environnementalistes pour avoir accordé un prêt de 8 G$ de dollars au groupe TotalEnergies, un grand producteur mondial de pétrole, de gaz et d’électricité.
L’institution se défend en arguant que couper unilatéralement le financement des principaux émetteurs n’est pas une solution réaliste alors que la demande en énergie est forte en Europe, afin d’éviter de provoquer un choc économique et social. « Nous devons continuer à financer l’ancien Monde tout en soutenant le monde de demain. » Elle précise que dans le cas de Total, BNP Paribas s’est contentée de financer un fonds de roulement et non de nouveaux projets d’investissement.
Double matérialité
Si des progrès sont en marche, il reste beaucoup à faire, constate Laurence Pessez. « Sur les métriques de transition et d’alignement des portefeuilles, tout est à créer, notamment pour procurer aux investisseurs des éléments de preuve afin qu’ils puissent comparer les actions des banques en matière de RSE. C’est un gage de crédibilité. » Dès 2025, les banques européennes devront rendre compte de leurs actions sur la biodiversité, « un sujet qui n’est pas encore naturel et pour lequel on manque de données et d’outils de mesure », estime-t-elle.
L’introduction des normes relatives à la durabilité de l’International Sustainability Standards Board (ISSB), prévues en 2023, entraîne une nouvelle complexité. Le défi consistera à harmoniser les différentes normes utilisées par les institutions nord-américaines et européennes. Le European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG) met de l’avant le concept de la double matérialité, qui revient à étudier les impacts de l’environnement sur l’entreprise et de l’entreprise sur son environnement. « Les Américains ne veulent pas en entendre parler. En Europe, on veut traiter les deux sujets », souligne la responsable.