Plus de femmes ont perdu leur emploi que leurs collègues masculins durant la pandémie et elles mettent aussi plus de temps à retourner sur le marché du travail. Une situation qui pourrait ralentir la relance économique.
Lors de la crise financière de 2008, 97 % des 293 000 emplois perdus au Canada étaient occupés par des hommes. Les deux récessions précédentes, en 1981 et1990, avaient également touché majoritairement des emplois masculins.
La crise de la COVID-19 a renversé le modèle, souligne Armine Yalnizyan, membre de la Atkinson Foundation on the Future of workers, lors d’une présentation sur les femmes et l’économie postpandémique pour l’Association des économistes québécois.
Les femmes ont été les grandes perdantes de cette crise sur le plan de l’emploi, souligne la chercheuse. Sur les trois millions de postes disparus au Canada depuis avril 2020 en raison de la pandémie, plus de 60 % étaient occupés par des femmes.
Une « shecession » inédite
Ce phénomène est qualifié de « shecession » par l’économiste, qui a décortiqué les données de Statistique Canada sur l’emploi durant la pandémie sous l’angle du travail des femmes. Elle note que les femmes ont subi plus d’impacts que les hommes notamment au niveau du nombre d’heures travaillées et du travail à temps partiel.
Les plus jeunes ont été moins touchées, notamment dans la tranche des 25 à 54 ans, selon ses recherches. Elles se sont remises plus facilement en selle que les 55 ans et plus, mais moins que leurs collègues masculins du même âge. L’écart entre les femmes et les hommes de 55 ans et plus est plus important. Une plus grande proportion de femmes de cet âge n’avaient pas repris le chemin du travail en décembre 2021.
Des différences apparaissent aussi entre les provinces. Le choc postpandémique a été ressenti plus fortement par les Québécoises que par les Ontariennes. Les femmes de 25 à54 ans sont retournées plus vite en emploi en Ontario, et l’écart avec les hommes y est moins grand chez les femmes de 55 ans et plus qu’au Québec.
Selon Armine Yalnizyan, cette différence s’expliquerait par le fait que les écoles ont été plus longtemps ouvertes en Ontario qu’au Québec, ce qui a permis aux mères de famille de retrouver plus rapidement un emploi.
Changement de modèle pour l’emploi
« La nature du choc pandémique a changé le schéma de l’emploi. Tout le monde n’est pas touché de manière égale, notamment les femmes qui peuvent travailler à la maison », indique Marie Connolly, directrice du Groupe de recherche sur le capital humain (GRH) et professeure au département de sciences économiques de l’UQAM.
L’accès à un programme de services de garde est un élément clé pour la reprise de l’activité professionnelle chez les femmes, selon la chercheuse, qui publiera prochainement un article portant sur l’impact des réouvertures des écoles sur le taux d’emploi dans le Canadian Journal of Economics.
Cet impact de la crise de la pandémie sur la capacité des femmes à exercer une activité économique est préoccupant pour l’avenir, estime Armine Yalnizyan, alors que d’ici 2025, il y aura au Canada 1,7 adulte en âge de travailler pour chaque personne trop jeune ou trop âgée pour occuper un emploi.
Croissance de l’immigration temporaire
L’économiste a analysé l’évolution des nouveaux arrivants ces dernières années comme solution à la pénurie de main-d’œuvre. Elle a constaté que seulement 31 % du 1,1 million de nouveaux arrivants admis au pays de janvier à décembre 2021 avaient le statut de résident permanent et que la grande majorité (812 070) avait un permis temporaire.
« Plus d’immigrants travaillent qu’avant la pandémie, mais ce sont avant tout des immigrants temporaires. Cette stratégie permettra-t-elle de résoudre les problèmes de main-d’œuvre à long terme ? », questionne-t-elle.
La situation est préoccupante en particulier dans les soins de santé, souligne l’économiste. Ce secteur, qui regroupait 4 millions de travailleurs au Canada en 2021, accusait un déficit de 100 000 travailleurs au deuxième trimestre de 2021, dont plus de la moitié dans les hôpitaux. Plus de 80 % des emplois du secteur sont occupés par des femmes, dont 90% d’infirmières. Or, 40 % des infirmières sont âgées de plus de 55 ans. Il y aura donc de grands défis pour les remplacer, surtout si on ne peut pas compter sur l’immigration permanente, rappelle Armine Yalnizyan.
« La relance doit se faire sur plusieurs fronts, et elle ne se fera pas sans les femmes », martèle Marie Connolly. « Il faut s’assurer que celles qui ont des enfants soient en mesure de travailler. »