Celsius Network, une plateforme d’intérêts et de prêts sur cryptomonnaies dans laquelle la Caisse de dépôt a un important investissement, a annoncé qu’elle gelait les retraits et les transferts de ses 1,7 million de clients.
L’entreprise a évoqué « les conditions extrêmes » dans le marché des cryptomonnaies, ébranlé dans les dernières semaines, pour justifier sa décision, dans un billet de blogue publié dimanche. « Nous prenons cette décision afin de mettre Celsius dans une meilleure posture afin d’honorer, à long terme, ses obligations. »
La décision évoque « l’équivalent moderne » d’une panique bancaire quand des institutions financières devaient fermer leurs portes en raison d’informations ou de rumeurs selon lesquelles elles n’avaient pas suffisamment de liquidités, croit le professeur en finance de l’ESG-UQAM Alexandre F. Roch. « Ça envoie un mauvais message aux investisseurs et même aux clients. »
Les clients de Celsius Network risquent de perdre beaucoup d’argent en raison des difficultés de l’entreprise et de la débâcle des cryptomonnaies, croit Alexandre F. Roch. « Une fois que ça se passe, c’est difficile de remettre la pâte à dent dans le tube. C’est difficile de rétablir cette confiance-là. »
En après-midi, le CEL, la cryptomonnaie créée par l’entreprise et qu’elle encourage ses clients à utiliser, perdait 18,74 % à 30 cents US. Lorsque la Caisse a annoncé son investissement dans l’entreprise en octobre, le CEL valait 5,60 $ US. L’annonce de Celsius a créé une onde de choc dans le marché de la cryptomonnaie. En après-midi, la valeur du Bitcoin, la cryptomonnaie la plus utilisée, reculait de 14,10 % à 23 548,74 $ US.
L’effondrement du marché des cryptomonnaies a ébranlé Celsius. En mai, l’actif de ses déposants était de 12 milliards $ US, une baisse par rapport aux 27 milliards $ US détenus en octobre dernier.
La question sur l’avenir de Celsius Network demeure ouverte, mais le spécialiste des cryptomonnaies Louis Roy croit que le modèle d’une entreprise qui offre des prêts en prenant des cryptomonnaies comme collatéral demeure pertinent. « Je pense que c’est là pour rester », estime le président de Catallaxy, la filiale de Raymond Chabot Grant Thornton spécialisée dans la chaîne de bloc.
Alexandre F. Roch estime, pour sa part, qu’il est difficile de se prononcer sur la viabilité à long terme d’un tel modèle d’entreprise. S’il reconnaît qu’il pourrait y avoir un intérêt pour ce service, il souligne que les cryptomonnaies n’ont « aucune valeur fondamentale. « Ça part de rien. Si le prix du Bitcoin s’effondre, il n’y a rien derrière ce collatéral-là. »
Le gel de Celsius Network contraste avec la confiance affichée par son équipe de direction peu de temps avant l’annonce de dimanche. Samedi, le grand patron de l’entreprise, Alex Mashinsky, avait accusé ses détracteurs de désinformation. « Connaissez-vous une seule personne qui a eu du mal à retirer ses fonds de Celsius? Pourquoi partagez-vous de la peur et de la désinformation? », écrivait-il sur Twitter une journée avant de geler les transferts.
Outre les clients échaudés, la décision représente un revers pour la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) qui a investi 150 millions de dollars (M$) dans la plateforme, en octobre dernier.
À la Caisse de dépôt, on dit suivre ce dossier « de très près ». On souligne que les difficultés de Celsius surviennent à un moment où les investisseurs réduisent leur risque dans toutes les catégories d’actifs. « Celsius agit de façon proactive pour s’acquitter de ses obligations auprès de ses clients et a honoré ses engagements auprès de ses clients jusqu’à présent », commente sa porte-parole, Kate Monfette.
Un investissement critiqué
L’investissement de la Caisse avait été critiqué tandis que Celsius Network est dans la mire des autorités boursières des États-Unis, qui enquêtent sur l’industrie afin de savoir si les plateformes, comme celle de Celsius, doivent être régies par la Securities and Exchange Commission (SEC).
En commission parlementaire en mai, le président-directeur général de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Louis Morisset, avait dit que le chien de garde québécois des marchés boursiers collaborait à l’enquête de la SEC.
« On continue de comprendre d’abord ce qu’ils font. […] Il se peut que ce qu’ils font en ce moment ne respecterait pas la réglementation en vigueur. Ils émettent des valeurs immobilières, ils distribuent des valeurs mobilières », avait-il dit.
Louis Roy voit les interrogations des autorités réglementaires d’un bon œil, tandis que cette nouvelle industrie a besoin d’un cadre réglementaire, selon le président de Catallaxy. « C’est nouveau, il y a beaucoup d’innovation là-dedans. On n’a pas le choix, que ce genre d’entité là soit intégrée dans un cadre réglementaire et surveillée en tant que tel. Si tu veux jouer dans la cour des grands, il faut les règles de la cour des grands. »
La chute des cryptomonnaies et les difficultés de Celsius sont un rappel à la prudence pour les investisseurs autonomes qui veulent y investir, prévient Louis Roy. « On le voit. Faut que les gens sachent que c’est un produit dans la catégorie de produits qui est risquée. »