Les frappes américaines en Syrie et en Afghanistan ont une forte valeur de symbole parce qu’elles contredisent la rhétorique de la campagne de Donald Trump qui clamait ne pas vouloir «être le gendarme du monde», afin de se concentrer sur «l’Amérique d’abord».
En l’espace de 24 heures, le président Trump est revenu aussi sur une demi-douzaine de promesses électorales ou de déclarations: il renonce à accuser la Chine de manipuler sa monnaie, il juge le dollar américain trop fort et il aime tout à coup les faibles taux, la gestion monétaire de Janet Yellen et le rôle de la banque Export-Import Bank.
Et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) qu’il a tant critiqué pendant sa campagne n’est plus «obsolète».
Ces volte-face entretiennent à court terme le flou concernant le reste de son agenda politique, bien que plusieurs considèrent que Donald Trump devient un peu plus pragmatique pour amadouer son parti.
En arrière-plan, les ventes au détail ont reculé pour un deuxième mois consécutif en mars aux États-Unis pour la première fois depuis 2015, tandis que le taux d’inflation (sans les aliments et l’essence) a baissé 0,1% par rapport à février. Il s’agit du recul mensuel le plus prononcé depuis 1982, selon Bloomberg.
L’indice des prix aux producteurs a aussi fléchi pour la première fois en sept mois, en mars.
Stephen Stanley, économiste en chef d’Amherst Pierpoint Securities, y voit le gage que la Fed sera lente à serrer la vis des taux. Une inflation modérée protège aussi le pouvoir d’achat des consommateurs.
Les investisseurs étant déjà nerveux concernant l’énorme fossé observé entre les sondages optimistes (confiance des consommateurs et des entreprises, ainsi que des indices des directeurs d’achat) et les données économiques (chute des ventes d’autos, prévision de GDPNow de 0,5% pour le premier trimestre, chute du taux de croissance des prêts bancaires, dépenses en capital molles, etc.), ils se mettent à douter encore plus de leur paris d’accélération économique, dans le jargon reflation trade.
La rechute de 0,36% des taux américains repères de 10 ans, à 2,24% depuis un mois, alimente aussi l’anxiété, étant donné la réputation de baromètre économique du marché obligataire.
Ainsi, soit les investisseurs actifs qui avaient misé sur une hausse des taux et une baisse des obligations sortent du marché en bloc ou soit le marché obligataire devance un ralentissement économique, ont expliqué divers négociateurs à Bloomberg.
Simple repli de la Bourse ou vilaine correction?
La table était donc mise pour un repli. Et il pourrait se transformer en véritable correction (recul de 5 à 10%) des cours, croit Martin Roberge, de Canaccord Genuity, qui surveille de près le comportement de refuges tels que l’or, les obligations américaines et le yen japonais.
Le déclin des obligations à haut rendement de sociétés par rapport aux obligations du Trésor américain est un autre drapeau jaune. En mai 2011 et en juillet 2014, la mauvaise performance des obligations avait précédé deux mouvements de recul (19% à partir d’octobre 2011 et de 7% à partir d’octobre 2014), rappelle le stratège.
«Il est trop tôt pour établir s’il s’agit d’une simple pause dans la hausse boursière ou du début d’un repli plus prononcé», écrit-il, dans son plus récent bulletin.
Pour l’instant, les dommages sont mineurs.
Le S&P 500 est 3% sous son sommet du 1er mars, mais reste à la hausse de 4% depuis le début de l’année et de 12%, depuis un an.
À Toronto, l’indice S&P/TSX s’est incliné de 2,5% depuis son sommet du 21 février, mais l’indice surnage encore de 1,6% depuis le début de l’année. L’indice torontois maintient encore son avance sur l’indice américain, avec un gain de 13,7%, depuis 12 mois.
Les banques en berne
La rechute des taux d’intérêt à long terme a aussi empêché les grandes banques américaines de profiter des bons résultats financiers de leur premier trimestre. Surtout que leurs bénéfices accrus proviennent déjà de l’activité sur les marchés des capitaux, tels que la négociation de titres à revenu fixe, les fusions et acquisitions et les financements et non des prêts et des marges d’intérêt.
L’indice des banque KBW Nasdaq Bank Index a chuté de 12%, depuis son sommet du 1er mars, et a effacé tous ses gains depuis le début de l’année, mais l’indice affiche encore un bon gain de 31%, depuis un an.
Au Canada, les banques ont connu une dure semaine, perdant de 3%. Le taux repère de 10 ans a glissé sous 1,5%, pour la première fois en cinq mois.
En plus du recul des taux, les institutions canadiennes pâtissent de la psychose entourant la bulle immobilière.
La cote de crédit du prêteur hypothécaire Home Capital a d’ailleurs été déclassée par l’agence DBRS, cette semaine, en raison des turbulences internes qui ont mené à l’éjection récente du PDG. Son action a plongé de 9%, le 13 avril. Lisez aussi les gagnants et perdants de la semaine.
Bénéfices et économie mondiale à la rescousse
Les stratèges et économistes ne broient pas tous du noir.
Plutôt optimiste, Ed Yardeni, président de sa firme éponyme, fait remarquer que les bénéfices américains prévus dans 12 mois continuent d’augmenter.
La hausse prévue de 7% des revenus au premier trimestre est aussi la plus vigoureuse depuis 2011 grâce à la meilleure croissance mondiale et au plafonnement du billet vert.
«Après le rebond de 10% à 12% des bénéfices, au premier trimestre (6 à 8% sans l’énergie), la cadence pourrait ralentir. Mais les analystes attendent encore les indications des dirigeants avant d’incorporer des baisses d’impôts potentielles de l’an prochain», explique l’économiste.
Pour sa part, Nick Gartside, chef des investissements en revenus fixes chez J.P. Morgan Asset Management, juge que les investisseurs sous-estiment l’élan synchronisé de l’économie mondiale.
Chez Capital Economics, l’économiste londonien Andrew Kenningham, croit que l’amélioration des données mondiales reprendront le dessus à nouveau sur les craintes géopolitiques qui ont fait bondir les obligations, l’or et le yen.
Il rappelle que l’invasion de l’Irak en 2003 n’a eu aucun impact perceptible sur la croissance et l’inflation des pays industrialisés.
Nombreux sont ceux qui s’appuient sur l’évaluation record du S&P 500 depuis 2004 pour prédire sa chute, mais Bespoke Investment Group répète que l’humeur des pros ne démontre pas l’euphorie qui caractérise les sommets boursiers.
Le cours-cible moyen de 2414 pour le S&P 500 laisse entrevoir une appréciation d’encore 3,7% pour cet indice d’ici la fin de l’année, selon les 19 stratèges sondés.
Le gain annuel de 7,7% serait inférieur à la prédiction moyenne de 9,6% depuis 2000, précise cette firme de recherche et de gestion.