L’augmentation du taux d’inclusion sur le gain en capital nuira à l’économie canadienne en décourageant l’investissement, en plus d’être un irritant pour les médecins qui pourraient être tentés d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs, selon l’Institut économique de Montréal (IEDM).
« On vient augmenter la taxation sur l’investissement et sur l’entrepreneuriat, déplore l’économiste Emmanuelle Faubert en entrevue. Donc, logiquement, ça vient affecter négativement l’entrepreneuriat. »
Le budget fédéral propose que le taux d’inclusion du gain en capital passe de 50 % à 66 % à partir du seuil de 250 000 $ pour les particuliers, dès le 25 juin. L’augmentation touchera tous les gains réalisés par les sociétés et les fiducies. Québec emboîtera également le pas au fédéral.
Un investisseur québécois verra ainsi son taux d’imposition augmenter de 26,65 % à 35,54 % sur les gains supérieurs à 250 000 $, souligne l’organisme de réflexion associé à la droite économique, dans une note publiée jeudi.
Une augmentation du fardeau fiscal de cette ampleur aura pour effet de décourager l’investissement au moment où l’économie canadienne doit composer avec des défis structurels. « Il ne faut pas oublier que dans le contexte de la productivité canadienne, on traîne pas mal de la patte par rapport aux États-Unis », souligne Emmanuelle Faubert.
Autre conséquence, les entrepreneurs et investisseurs en capital de risque pourraient conserver plus longtemps leurs actions afin de reporter l’impôt, ce qui fera en sorte de réduire le capital disponible pour de nouveaux projets, ajoute Emmanuelle Faubert. « Au final, il y a moins de liquidités sur le marché, moins de financement d’entreprise, ce qui veut dire qu’il y a moins de croissance économique. »
Le changement suscite la grogne chez les médecins incorporés, qui voient ainsi leur taux d’imposition augmenter. L’Association médicale canadienne a d’ailleurs demandé au fédéral de revoir sa décision.
« Un des risques, c’est que, dans un contexte où on a une pénurie de médecins, ça risque de les faire fuir encore plus, s’inquiète l’économiste de IEDM. Ils vont peut-être décider d’aller ailleurs où ils vont pouvoir mieux gagner leur vie. »
Ottawa défend sa mesure
Pour sa part, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a assuré que l’augmentation du taux d’imposition n’aurait pas d’effet sur le climat d’investissement au Canada.
Le budget prévoit d’ailleurs des allégements pour épargner les entrepreneurs lorsqu’ils vendent leur entreprise en partie ou en totalité.
L’exonération cumulative des gains en capital pour la vente d’une petite entreprise ou de biens agricoles et de pêches passera de 1 million de dollars (M$) à 1,25 M$ à compter du 25 juin.
D’autres allégements de la fiscalité entreront en vigueur à partir de 2025, de manière progressive. En 2034, un entrepreneur qui vendrait son entreprise ne paierait pas d’impôt sur la première tranche de 1,25 M$ de gain en capital. Pour la tranche de 2 M$ suivante, il ne paierait de l’impôt que sur le tiers de son gain.
Les opinions sont partagées quant à l’effet de l’augmentation de l’impôt sur le gain en capital. Des voix proéminentes du milieu des affaires et des économistes ont dénoncé la mesure, affirmant qu’elle aurait un impact défavorable sur l’investissement.
D’autres économistes jugent, au contraire, que la mesure permettrait de réduire les inégalités sociales et de financer les dépenses publiques.
Le professeur Jonathan Rhys Kesselman, de la Simon Fraser University, affirmait dans une étude que l’effet d’une hausse du taux d’imposition sur le gain en capital sur l’économie était « mitigé et difficile à quantifier ». « Pour environ une décennie dans les années 1990, le taux d’inclusion était de 75 % sans effet défavorable sur la performance économique. »
Avant la publication du budget, le chercheur fiscal Luc Godbout, de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques (CFFP) de l’Université de Sherbrooke, avait conseillé d’imposer les trois quarts (75 %) du gain en capital, soit encore plus que le changement proposé par le fédéral.
« La réduction de l’avantage du gain en capital pourrait être implantée à brève échéance et de manière relativement simple, permettant ainsi de dégager des sommes conséquentes », écrivait M. Godbout dans un mémoire présenté dans le cadre des consultations prébudgétaires.
Emmanuelle Faubert juge que la théorie économique appuie l’argument de l’IEDM. Elle souligne que les coûts ont une incidence sur les comportements. Une imposition plus élevée sur l’investissement aurait ainsi un effet sur les décisions des entrepreneurs et investisseurs.
Elle cite l’étude de deux professeurs d’économie au Royaume-Uni qui ont démontré que les États américains qui ont augmenté leur taux d’imposition sur le gain en capital ont vu une détérioration des investissements en capital de risque ainsi que du nombre et de la « qualité » des brevets entre les années 1987 et 2014.
Le changement fiscal toucherait un nombre limité de contribuables. Seulement 40 000 Canadiens auraient déclaré des gains en capital de plus de 250 000 $, annuellement. Cela représenterait 0,13 % des contribuables, soit 13 % du fameux 1 %.
Le traitement fiscal de cette minorité devrait toutefois être la préoccupation de tous, plaide Emmanuelle Faubert. « Ça affecte tout le monde. L’investissement est un outil qui nous permet d’améliorer notre qualité de vie. S’il n’y en avait pas, il n’y aurait pas toutes les améliorations de notre qualité de vie. »