Cela ne surprendra personne: les pertes fiscales liées aux abus comptables des entreprises et des grandes fortunes sont massives, comme le signale le plus récent rapport du Tax Justice Network (TJN) Justice fiscale : État des lieux 2024. Un fait nouveau ressort toutefois : le Canada a gagné du galon dans le palmarès des officines financières du secret fiscal, se hissant désormais au 5e rang des paradis fiscaux.
« Le coût combiné des abus fiscaux transfrontaliers commis par des multinationales et des particuliers possédant des avoirs non déclarés à l’étranger est estimé à 492 milliards de dollars américains », écrit le rapport.
La composante la plus importante de ces pertes fiscales reste l’abus transfrontalier des sociétés, qui représente pour les gouvernements du monde un manque à gagner de 348 milliards de dollars (G$) américains, à partir de bénéfices totaux de 1,42 billions de dollars américains transférés dans des paradis fiscaux. Si on tient compte des pertes de recettes indirectes dues aux retombées négatives de cet abus fiscal, elles s’élèvent à trois fois cette somme, selon le Fonds monétaire international (FMI), note le rapport. Par ailleurs, l’évasion fiscale pratiquées par les personnes fortunées entraîne des pertes de 145 G$ américains.
Échec de l’OCDE
L’OCDE s’est attaqué au cours de la décennie 2010 à cette finance offshore illicite en mettant de l’avant ce qu’on a appelé les Common Reporting Standards (CRS). L’objectif essentiel visé était de faire en sorte que les multinationales déclarent leurs profits selon les régions où ceux-ci sont produits au lieu de les transférer à d’autres juridictions où ils peuvent bénéficier d’une fiscalité très allégée, parfois même inexistante.
« On est toutefois loin de la ‘fin du secret bancaire’ saluée par certains meneurs de jeu de l’OCDE, affirme le rapport du TJN, qui repère deux faiblesses majeures des CRS. Première faiblesse, classique : une grande sélectivité des données. « Les pays qui y ont accès ne peuvent recevoir des informations que sur certains types de comptes financiers, et donc ceux qui recherchent le secret ont le choix entre de multiples options. » Deuxième faiblesse : l’interdit. « De nombreux pays n’ont même pas cet accès », déplore le rapport.
« Les pays qui ont accès à l’information et dont les autorités fiscales disposent d’une grande capacité sont susceptibles d’avoir réussi à réduire de manière très significative les comptes financiers non déclarés, poursuit le rapport. Mais dans le même temps, ils ont assisté à un glissement prévisible vers des types d’actifs financiers non déclarables mais largement équivalents, ce qui a considérablement affaibli les bénéfices. »
Le mécanisme d’échange automatique d’informations demeure important, reconnaît le TJN, mais sa mise en œuvre imparfaite et partielle a fait perdre au monde 145 G$ de dollars américains. Ce que le rapport appelle le « deuxième empire » du Royaume-Uni (qui réunit une foule de paradis offshore comme les Iles Vierges britanniques, les Iles Caïmans, les Bermudes, etc.) est responsable à lui seul de 33% de ces pertes. Un autre tiers des pertes tient aux pays de l’Union européenne.
Blocage de quelques joueurs
À présent, une nouvelle offensive contre le secret fiscal pilotée cette fois par les Nations Unies et visant une nouvelle convention fiscale internationale se retrouve avec un ferment d’opposition restreint mais très puissant : « Les huit pays bloqueurs qui ont voté contre le mandat de la convention des Nations Unies, avec seulement 8% de la population mondiale, sont collectivement responsables de 66% des pertes fiscales mondiales dues à la richesse offshore », observe le rapport. On retrouve parmi ces huit pays les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, l’Australie et le Canada.
Évidemment, en termes absolus, les pays développés perdent les plus grandes recettes fiscales, reconnaît le rapport. Par contre, les pays du Sud subissent de loin les pertes les plus importantes en pourcentage des recettes fiscales actuelles pour les services publics vitaux comme la santé et l’éducation. Ainsi, c’est aux États-Unis qu’on trouve les plus importantes pertes fiscales, soit 32,5 G$ de dollars américains, mais elles ne représentent que 0,1% du PIB. Au Honduras, les pertes plus faibles de 1,27 G$ de dollars américains représentent 4,5% du PIB.
Dans le précédent rapport du TJN, le Canada avait le déshonneur d’arriver au 12e rang des principaux responsables de l’évitement fiscal, rapporte un récent article du Devoir. Un accès élargi aux données par le TJN voit le Canada passer au 5e rang, tout juste derrière les États-Unis qui, eux, suivent l’Irlande, Hong Kong et les Iles Caïmans, détenteurs des troisième, deuxième et première places respectivement.
Devant les piètres résultats de l’OCDE, des négociations menées cette fois sous l’égide des Nations unies ont débuté en novembre. « Le monde est à l’aube d’une réforme fondamentale de la gouvernance fiscale internationale, affirme le TJN, espérant qu’une convention fiscale ambitieuse des Nations Unis sera adoptée d’ici 2027. » Il est à espérer que cette nouvelle initiative, retranchée du club restreint des membres de l’OCDE, livrera des résultats plus probants.