Bien que les craintes à cet égard ne soient pas nouvelles, les avertissements se multiplient à l’effet que le dollar américain soit en voie de perdre son statut de monnaie de réserve globale. Si le dollar américain perdait sa prééminence, quelles en seraient les conséquences?
« L’ère du ‘privilège exorbitant’ du dollar américain en tant que première monnaie de réserve dans le monde tire à sa fin », écrivait dans Bloomberg en juin 2020, Stephen Roach, un des plus éminents économistes américains, professeur à l’Université Yale et ex-président du conseil de Morgan Stanley Asia. Du même coup, il annonçait une chute de 35% du greenback.
Stephen Roach attribue la responsabilité de cette chute à venir essentiellement à deux facteurs : l’épargne nationale, qui était de 7% de 1960 à 2005, se languit présentement à 1,4%; le profond déficit du compte courant. En raison de leur faible épargne, les États-Unis sont obligés d’en appeler de plus en plus à l’épargne dans le reste du monde pour alimenter leurs investissements. Ces deux facteurs sont engagés dans un parcours de contradiction croissante, une contradiction exacerbée par les déficits du gouvernement fédéral qui, en 2020, atteignaient 17,9% du PIB.
Indices en chute
Ni l’une ni l’autre des prédictions de Stephen Roach ne s’est encore réalisée. Signe révélateur, la part du dollar américain dans les réserves des banques centrales du monde s’amenuise sans cesse. Selon le FMI, cette part est passée de 71% en 1999 à 59% en mai 2021. Les fluctuations des taux de change ont très peu affecté cette tendance puisque, toujours selon le FMI, la valeur du dollar contre les autres monnaies de réserve est demeurée passablement stable.
La période actuelle présente un parallèle troublant avec une autre période, de 1979 à 1991, durant laquelle la part du dollar est passée d’un sommet de 85% des réserves mondiales à un creux de 46%. À ce moment-là, comme aujourd’hui, les États-Unis étaient aux prises avec un sérieux problème d’inflation.
Il faut prendre garde à la notion de « monnaie de réserve », avertit Stephen Kircher, ex-directeur au United States Studies Centre de l’Université de Sydney. « Le rôle du dollar américain reflète la taille, la profondeur et la liquidité sans égaux des marchés de capitaux en dollars américain, appuyés par des institutions politiques et économiques de haute qualité. » Ce chercheur n’adhère pas du tout à la thèse d’une perte de statut du greenback en tant que première monnaie de réserve mondiale.
Et sur la base de ces ancrages, les défenseurs du dollar, comme Stephen Kircher, avancent habituellement l’argument des alternatives carencées : « Les rivaux potentiels du dollar sont affligés de problèmes », juge-t-il. L’euro appartient à une union monétaire dysfonctionnelle tandis que le yuan chinois est contraint par un système de contrôle des capitaux et de répression financière.
Pratiques outrancières
Cependant, il n’est pas certain que les États-Unis ne commenceront pas à sembler dysfonctionnels eux aussi. Outre les faiblesses soulignées par Stephen Roach,
le dollar américain a été dévalué de 80% depuis 1970, d’abord par l’abandon des accords de Bretton-Woods qui l’a laissé flotter au gré des marchés, puis par la Réserve Fédérale avec, d’une part, ses pratiques de taux directeurs planchers et, d’autre part, son « impression » incontinente de billets.
À cela s’ajoute une dette nationale qui s’élève maintenant à plus de 30 billions $US, soit environ 130% du PIB (23 billions $US), relève The Federalist, qui cite Erskine Bowes, directeur de la Commission sur la dette sous Barack Obama : « Les déficits sont comme un cancer, et avec le temps ils vont détruire notre pays de l’intérieur. »
Il faut dire, en contrepartie, que l’endettement des pays développés et de la Chine sont également très élevés, autant sinon plus que celui des États-Unis.
La perte de statut du greenback aurait un effet inflationniste considérable sur les États-Unis. « Notre inflation croissante actuelle pourrait exploser plus haut simplement parce que nous serons obligés de commercer avec d’autres monnaies pour obtenir les biens que nous voulons et dont nous avons besoin, écrit Gold Alliance. Les taux d’intérêt pour les consommateurs et les entreprises américains augmenteraient probablement aussi, rendant tout plus cher, de l’achat d’une maison à la construction d’une usine, ce qui équivaut à plus d’inflation. »
« On dit qu’il y a deux façons de faire faillite : progressivement, puis soudainement, rappelle le Federalist. Ce qui ne peut pas durer éternellement va cesser – soudainement. »