Invité par CFA Montréal à prononcer une conférence le 28 septembre dernier, l’économiste de renom François Trahan n’a pas dévié de ses prédictions économiques moroses de l’automne dernier et entrevoit toujours une récession importante et deux années « apocalyptiques », avec un taux de chômage en hausse et des « chances élevées » de crise financière.
Concernant les perspectives sur les marchés, François Trahan, qui est à son compte à la firme Trahan Macro Research, a rappelé qu’au cours des trente dernières années il y avait eu quatre gros déclins des bénéfices sur les marchés américains qui s’étaient soldés par des marchés baissiers. Et les quatre fois, cela s’était produit après des hausses successives des taux d’intérêt par la Réserve fédérale américaine.
« La majorité de mes clients croit que nous sommes en reprise, mais c’est l’inverse qui s’en vient. On va vers le bas – ce qui est contraire au sentiment général de la communauté qui fait une erreur d’analyse », soutient Trahan, conscient que ses conclusions ne plaisent pas à tous. « Je ne me ferai pas d’amis. »
Il n’a d’ailleurs pas mâché ses mots sur les prédictions des économistes en général. « D’après une étude de l’AMF, que je cite – et je suis moi-même économiste, 91% des économistes ne peuvent prédire une récession un an à l’avance. 45% de ceux-ci ne peuvent identifier une récession qui est six mois devant eux. Et plus du quart ne peuvent identifier une récession qu’ils sont en train de traverser », a-t-il résumé devant un parterre amusé.
Le stratège de la finance, intronisé au Temple de la renommée en 2016, a démontré que des hausses des taux d’intérêt par la Fed avaient été suivies, 10 fois sur 13, par une récession. « C’est 77% de chance d’avoir une récession technique. » Il rajoute que chaque fois où l’inflation américaine avait dépassé 5% depuis la Deuxième Guerre mondiale les chances étaient de 100% d’avoir une récession. « Ce que l’on voit c’est la hausse des taux la plus agressive depuis que Volker était à la tête de la Fed en 1979. Les chances de réaliser un atterrissage en douceur sont donc minces. »
Le resserrement des critères bancaires est un aspect qui, à ses yeux, n’est pas pris en compte par la communauté dans l’évaluation du contexte économique. « C’est bizarre comme scénario. » Il rappelle qu’antérieurement les banques avaient tendance à resserrer l’accès au crédit plus tard lors d’un ralentissement économique. « Ils attendaient que la Fed ait terminé la hausse des taux et commencent à les baisser avant de resserrer leur critère d’accès au crédit. » Il observe qu’actuellement les banques le font simultanément. « On rajoute une autre pression économique. C’est quelque chose qu’on n’a jamais vécu. C’est une source de risque accru pour une crise financière. »
Il n’y a pas de croissance économique assez en forte en vue qui va pouvoir améliorer la situation, selon Trahan. « On est tous dans le même bateau, toutes les économies majeures font face à une hausse des taux d’intérêt et/ou de l’inflation et à des problèmes de dettes. » L’économie américaine, notamment, tourne au ralenti avec une croissance légère. La dette américaine est au même niveau qu’elle l’était en 1945 au sortir de la guerre. « Peu importe comment on interprète la dette, on est actuellement dans une situation risquée. Car le problème des finances publiques aux États-Unis limite les réponses possibles. »
Il note que le budget du gouvernement américain est actuellement déficitaire (-0,6%) ce qui, avant la crise financière de 2008, aurait été considéré comme « hérétique ». « Depuis la pandémie, il y a une sorte d’accoutumance au déficit, un problème structurel de budget. » Le problème, signale-t-il, c’est qu’un ralentissement économique a tendance à creuser ces déficits. « C’est le point de départ. Et c’est pourquoi on se demande comment l’administration américaine va pouvoir éventuellement donner une réponse fiscale. Malheureusement cela s’applique au reste de la planète. »
Ce qui est normal 16 mois après une première hausse des taux, selon Trahan, ce sont des bénéfices par action d’environ 14,8% (selon des données qui remontent à 1987). « Nous sommes actuellement à 0 % [-0,08%]. On n’a pas beaucoup de marge de manœuvre, sachant que c’est la chute des bénéfices qui provoquent des marchés baissiers. » Les indices précurseurs pointent vers un ralentissement et une baisse des bénéfices. « C’est le début d’un marché baissier qui va surprendre. »
La Fed fait fausse route
En période de questions, avec la modératrice, Sophie Lemieux de chez Fiera Capital, François Trahan a laissé entendre qu’une récession pourrait se débarrasser de l’inflation. « Il y a cependant deux conversations, celle cyclique et l’autre structurelle. L’inflation va diminuer, ce qui risque de surprendre, mais elle pourrait être structurellement plus soutenue. »
L’économiste s’attend aussi à une hausse du taux de chômage. « La journée que l’économie commence à ralentir, les offres d’emploi disparaissent. Dès que les bénéfices diminuent, ça prend quelques mois et les emplois s’en ressentent. »
Il croit que la prochaine action de la Réserve fédérale américaine sera une baisse des taux d’intérêt. « Dès que le taux de chômage va augmenter, la Fed va changer son fusil d’épaule et abaisser les taux, peut-être au printemps ou à l’été. » L’économiste s’est par ailleurs montré plutôt critique au sujet des dirigeants de la banque centrale américaine. « Ils ont considéré de façon condescendante l’inflation en 2021 en la qualifiant de transitoire et ils ne semblent pas avoir la moindre idée de ce qui s’en vient au plan économique. »
Au sujet des marchés boursiers, il anticipe – « au plus tôt » un creux au printemps 2025. « Le creux des marchés survient à peu près au même moment que celui des indices précurseurs. Et c’est environ 18 mois après un sommet des taux d’intérêt. Donc l’histoire n’est peut-être pas terminée. »