Comment arriver à bien prendre le virage de l’éducation financière à l’ère des médias sociaux et des (F)influenceurs ? C’était l’un des thèmes qui a animé le débat entre panélistes lors de la séance qui a clôt cette 10e édition de la journée d’éducation financière organisée par l’Autorité des marchés financiers (AMF), le 25 mai dernier au Cercle universitaire de l’Université McGill.
Devant de nombreux acteurs et intervenants de l’industrie financière, le modérateur du panel d’invités, Antoine Bédard, directeur principal des opérations d’encadrement de la distribution à l’AMF, a rappelé l’attention qu’accordent les régulateurs face à la montée grandissante du phénomène des influenceurs financiers, non seulement au Québec et au Canada, mais partout dans le monde. « Il y a de tout : du très bon, du moyen et du mauvais – pour ne pas dire de la poubelle ».
Antoine Bédard a notamment fait rire la salle en relatant une anecdote de l’un de ses enfants, adepte de la plateforme TikTok, et qui devait défendre sa position pro-cryptomonnaie dans le cadre de son cours d’éducation financière à l’école secondaire. « Je lui ai demandé quelle avait été sa réflexion et il m’a dit qu’on ne pouvait pas perdre, que c’était de l’argent facile ! J’ai réagi aussitôt en lui disant qu’il ne pouvait pas dire cela et nous avons ensuite eu une discussion enrichissante », a mentionné celui dont l’un des mandats au sein de l’AMF est justement de faire de l’éducation financière. « Imaginez le défi si je peine à y arriver au sein de ma propre chaumière », a-t-il souligné devant un parterre amusé.
Sandrine Prom Tep, professeure agrégée au département de marketing à ESG UQAM, a tenu à rappeler le mécanicisme d’influence interpersonnelle qui s’opère sur les réseaux sociaux, qui est en soi le même phénomène que celui du bouche à oreilles. « Devant de multiples sources d’information, une personne va traiter l’information selon un modèle à deux voies : le système heuristique (plus intuitif et plus rapide) et l’autre plus lent et plus complexe dans le traitement des informations. » Dans le cas d’une information provenant d’une autre personne, il va y avoir selon elle un processus d’identification de la source. « Elle sera soit classée comme une publicité, soit venant d’un cercle restreint (proches, amis, collègue et famille) ou provenant d’une source plus neutre (institution). Chacune de ces sources n’a pas le même statut aux yeux de l’individu-consommateur. »
Selon elle, les influenceurs sont perçus (en particulier par les jeunes) comme des êtres qui veulent aider, car ils entretiennent un discours de la proximité et de l’authenticité. « Ils jouent sur ces mécanismes d’influence, cette familiarité. Je suis comme vous, vous êtes comme moi. Alors qu’il y a une certaine distance avec des personnes qualifiées. »
Elle cite par ailleurs une étude du magazine Conseiller de 2018 sur le pourcentage de gens qui consultaient un conseiller financier. L’enquête a révélé une nette diminution de leur utilisation avec l’âge. « Pour ceux nés après 1946, c’était de l’ordre de 46,5%, pour la génération X, 17%, la génération Y, 7%, et, enfin, la génération Z, 4,1%. »
Le président et fondateur de Hardbacon, Julien Brault, a rappelé son ancien parcours de journaliste et les différences existantes entre du contenu journalistique et du contenu commandité (publireportage). « Il y a donc moyen d’influencer de façon éthique, que ce soit dans les médias traditionnels ou sur les réseaux sociaux. »
Il a mentionné que pour de jeunes influenceurs il y a le danger de ne pas connaître de telles pratiques. « Souvent ils ne vont même pas connaître la réglementation, ni même l’existence d’organismes comme les OAR (organisme d’autoréglementation du Canada) ou l’AMF. » Il considère que s’il existe un danger, car avec les réseaux sociaux n’importe qui peut devenir un média de masse, le phénomène des influenceurs n’est pas une mauvaise chose en soi. « Ils procurent du contenu à une catégorie de gens qui d’ordinaire n’auraient pas accès à ce genre de contenu. »
« Si les influenceurs prennent une place c’est parce qu’on leur a laissé, quand il y a une place à prendre il y a des gens qui la prenne », constate d’emblée Chantal Lamoureux, présidente-directrice générale Institut québécois de planification financière (IQPF). La question, selon elle, est plutôt de savoir pourquoi cette place était vacante.
Elle rappelle que l’IQPF a mené un sondage l’hiver dernier auprès de la population québécoise au sujet des sources qu’elle utilisait pour obtenir des conseils financiers. 33% des répondants disaient consulter des membres de leur famille, et seulement 8% des répondants disaient s’informer auprès d’influenceurs. « Donc, oui le phénomène est là et il faut s’y intéresser, mais ce n’est pas encore quelque chose de généralisé. »
Selon elle, cette place laissée vacante a été prise, car de plus en plus de gens vivent un stress financier grandissant, particulièrement depuis la pandémie. « L’Institut canadien pour la résilience financière a récemment démontré, recherches à l’appui, que plus de 70% des Canadiens avaient déclaré avoir eu des problèmes de santé mentale liés à un stress financier. 47% disaient que cela avait même un impact sur leur santé physique et 44% sur leur productivité au travail. »
Marianne Spear, étudiante, animatrice à Parler d’argent c’est pas stressant à Matv et (F) Influenceuse, voit le phénomène d’un bon œil tout en étant consciente qu’il existe des dangers. « Il y a des choses qui me préoccupent, notamment de constater que des influenceurs (avec plusieurs followers) sans formation, ni expertise particulière, vont aborder certains sujets et exercer une certaine pression sur les gens de ma génération, et même les plus vieux. »
Elle observe que de parler de certains sujets (l’achat d’une maison ou d’actions) peut générer de la gêne ou de la culpabilité auprès de ceux qui les suivent et ne connaissent pas nécessairement le sujet. « Dans certains cas il y a clairement des drapeaux rouges, mais je suis sûre que collectivement, avec les gens de l’industrie, nous trouverons des solutions pour mieux encadrer le tout. »
La volonté d’autonomie des individus est très importante, selon Sandrine Prom Tep de l’UQAM. « Confier ses finances à quelqu’un peut être très stressant. » L’Internet nous donne encore cette perception selon elle que « toute information est disponible et à portée de main ». Vu la surabondance d’information, l’énorme enjeu réside selon elle dans la capacité des individus, particulièrement la nouvelle génération, à distinguer l’information pertinente pour eux. « De séparer le bon grain de l’ivraie : de trouver une information qui permette de prendre une décision éclairée, informée et libre de toute influence. »
Baliser ou faire contrepoids au phénomène des (F)influenceurs ?
« Le défi c’est de trouver l’équilibre, mais je crois qu’il existe d’autres moyens que la réglementation », estime Chantal Lamoureux de l’IQPF, qui – comme plusieurs des panélistes – voit aussi du positif dans le phénomène des (F)influenceurs. Elle y voit un incitatif pour que les professionnels améliorent leur capacité à communiquer, à vulgariser et à accompagner. « Beaucoup veulent le faire, mais peut-être que cela passe par de la formation qui soit reconnue et valorisée au même titre que de la formation technique. Comme institut de formation, c’est quelque chose qui nous intéresse et nous interpelle grandement. »
Julien Brault de Hardbacon croit qu’il y a toujours de la place pour du contenu de qualité et qui déroge de l’information bien souvent lisse et aseptisée produite par les institutions financières. « Quand je réserve un hôtel sur Expedia, je vais voir les commentaires, les recensions en ligne. Même chose au restaurant. Cependant, avant de prendre une décision financière importante il y a très peu de choses que l’on peut retrouver pour se faire une tête et prendre une meilleure décision. »
Chantal Lamoureux précise qu’il est important de rejoindre toutes les catégories de gens et de mieux transmettre le message. « Oui, il y a la littéracie financière, mais au Québec il y a un enjeu encore plus important, celui de la simple littéracie. » Elle signale que le Québec arrive dernier à ce chapitre dans l’ensemble des provinces canadiennes. « Quand on additionne l’analphabétisme de niveau 1, 2 et 3, c’est près de 50% de la population. »
C’est peut-être ce qui explique selon elle pourquoi il y a un intérêt grandissant pour des messages courts dans des vidéos. Elle réitère par ailleurs l’importance de travailler de concert pour arriver à porter le message. « Nous sommes beaucoup d’intervenants, mais on travaille chacun de notre côté et de façon dispersée. Il faut s’allier pour travailler dans la même direction, ramer dans la même direction. »