Épargner et investir en quelques clics, les promesses des fintechs sont attrayantes. Mais les consommateurs sont-ils vraiment assez protégés et savent-ils dans quoi ils s’embarquent?
Ce sont les questions que s’est posé Option consommateurs. L’organisme à but non lucratif a donc analysé en profondeur les sites et documents légaux de trois fintechs et en est arrivé à la conclusion que « si ces entreprises doivent respecter certaines obligations, comme celle de faire affaire avec un conseiller financier certifié, elles ne bénéficient pas d’un encadrement suffisant pour que les consommateurs soient bien protégés. »
OC a privilégié trois entreprises canadiennes populaires et innovantes qui représentent l’offre actuelle au pays pour son analyse :
- Mylo : qui arrondit les dépenses des consommateurs et transfère le surplus dans un compte pour épargner ou investir
- Wealthsimple : une application qui permet d’épargner et d’investir
- Portefeuille futé BMO : un produit de Nesbitt Burns qui permet d’épargner, mais aussi d’investir via un robot conseiller.
La rapidité, ennemie du consommateur
Le rapport fait état du fait que les trois fintechs ont des pages d’accueil alléchantes qui regorgent de phrases promotionnelles. Partout, l’accent est mis sur la simplicité du processus et sur la vitesse d’exécution : chez Mylo, on propose d’investir en 10 minutes et, chez Wealthsimple, en 5 minutes!
Pourtant les informations sont complexes et les types de placements, principalement des fonds négociés en Bourse (FNB), demandent un certain degré de compréhension et de vigilance de la part du consommateur.
« En multipliant les moyens d’attirer le client, on risque de détourner son attention de l’information, qui n’est pourtant pas absente des sites étudiés », note OC.
Effectivement, l’information est bien présente sur les sites. Les entreprises ont fait des efforts pour rendre leurs documents accessibles et le plus digeste possibles. Le jargon financier a été simplifié pour le consommateur moyen, à l’exception de la Convention de gestion de placements de Tactex, le gestionnaire de portefeuille de Mylo. Ce document était ainsi plus difficile à déchiffrer, selon les experts d’OC.
Toutefois, consulter ces documents prend un certain temps qui contrecarre l’idée de faire des placements en 5 ou 10 minutes.
Des responsabilités étrangement définies
L’organisme a également regardé la question de la responsabilité en cas de litige et ici, la situation est pour le moins floue et inquiétante. Bien évidemment, pour ce qui est des conseillers robots, ceux-ci ont les mêmes obligations qu’un conseiller, mais d’autres dispositions concernant notamment les consentements et les recours, sont plus problématiques.
Les contrats sont truffés de clauses en lien avec le règlement des litiges. En général, on fait d’abord mention d’un processus Internet, puis suivent d’autres dispositions. Wealthsimple mentionne que les parties se soumettent aux tribunaux de Toronto, en Ontario, pour le règlement des litiges à venir.
Pour sa part, la convention de Mylo contient une clause d’arbitrage obligatoire dans la province ou le territoire de résidence du client ; il est toutefois spécifié au début du paragraphe que cette clause n’est pas applicable au Québec, évoque le rapport.
Mylo garantit également que ses services sont professionnels et conforme aux normes de l’industrie, mais ajoute que le seul recours du client lésé en cas de manquement à cette obligation par Mylo est de résilier le contrat de service. « Cette clause, qui prive l’investisseur de ses recours, ne semble pas conforme au droit et, de toute façon, pourrait peut-être être qualifiée d’abusive au sens du Code civil du Québec », note OC.
Pour le consentement, parfois le simple fait de parcourir le site fait que l’utilisateur accepte les dispositions légales. Dans ses conditions d’utilisation, Wealthsimple écrit ainsi: « En accédant au présent site Web, vous reconnaissez les conditions d’utilisation énoncées ci-après et acceptez d’être lié par celles-ci. Si vous n’acceptez pas ces conditions, vous êtes prié de cesser d’accéder au Site sans délai. »
Dans le même Code de confidentialité, il est aussi écrit: « Nous vous aviserons de tout changement en publiant la politique révisée avec une nouvelle date d’effet. » OC estime cela peu pratique pour le consommateur qui devra comparer les deux versions pour voir les changements dans ce Code.
OC note également un manque de précisions. Certaines clauses ne s’appliquent pas à tous les territoires, mais plutôt que d’indiquer le nom des provinces ou des pays où elle ne s’applique pas, on mentionne seulement qu’elle « pourrait ne pas s’appliquer dans votre province de résidence ». Le consommateur doit ainsi déterminer lui-même si cette clause s’applique ou non à sa province.
« Dans certains cas, on peut se demander si l’absence de précision en ce qui a trait aux types de placements offerts et aux entreprises liées, combinée à la vitesse d’exécution ne pourrait pas empêcher un consentement éclairé. Cette impression est renforcée par des pratiques qui nous semblent plus que discutables, comme affirmer que l’utilisation des services par le consommateur représente une acceptation tacite, ou indiquer que la politique peut changer à tout moment sans que le consommateur en soit informé ou encore l’obliger à comparer l’ancienne version à la nouvelle pour connaître ces nouvelles obligations », se questionne OC à la suite de ses constatations.
Un problème de sécurité
Les fintechs demandent aux clients de leur fournir des informations sensibles comme le numéro d’assurance sociale, le numéro de compte et même leurs économies. Cela pose des questions de sécurité des données, mais aussi des questions quant à la protection des comptes.
Les trois entreprises invitent leurs clients à agir avec prudence. Certaines donnent même des conseils. Mais si le client n’est pas jugé comme assez prudent, il peut perdre toute indemnité en cas de pertes financières directes découlant d’une transaction non autorisée au compte.
Portefeuille futé BMO, qui mentionne offrir une garantie de sécurité en lien avec le service, spécifie que le client sera indemnisé à condition qu’il possède « la version la récente des pare-feu et logiciels antivirus », ou qu’il n’a pas omis « de fermer sa session et le navigateur Internet » avant de quitter le site.
« Dans certains cas, le consommateur ne peut même pas se fier à l’information qui se trouve sur le site Web de l’entreprise, qui se dégage d’ailleurs de toute responsabilité concernant ce qui y est publié. Mais en retour, on exige du consommateur un comportement quasi irréprochable autant pour ce qui est de l’exactitude des données qu’il fournira que des protections dont il dotera ses outils informatiques », déplore Maryse Guénette, auteure du rapport chez Option consommateurs.
Et que se passerait-il si les algorithmes étaient défaillants se demande OC. « Le robot conseiller n’est pas à l’abri d’une manipulation malveillante, par voie de piratage ou de sabotage, ce qui pourrait occasionner un important préjudice pour l’ensemble des investisseurs sollicitant les services d’un tel robot », note l’organisme.
Les consommateurs s’imaginent à l’abri de toute erreur, car ces machines se fondent sur des calculs scientifiques. OC s’inquiète ainsi du faux sentiment de sécurité que ces technologies projettent.
Les consommateurs vivent avec des œillères
Dans son rapport, OC a été plus loin. L’organisme a voulu connaître l’option des consommateurs vis-à-vis de ces fintechs. Pour cela, il a mandaté la firme BIP Recherche afin de réaliser un sondage auprès de 800 Canadiens et force est de constater que beaucoup ne savent pas vraiment dans quoi ils s’embarquent.
Les utilisateurs de fintechs estiment majoritairement que celles-ci :
- Sont toutes des sites d’institutions bancaires
- Offrent plus d’options d’épargne et d’investissement
- Coûtent moins cher
- Protègent bien leurs données
Ils estiment aussi qu’ils sont capables de contrôler leur choix quand ils choisissent un produit financier en ligne. La plupart affirment également lire les conditions d’utilisation avant de donner l’accès à leurs données personnelles, un point sur lequel OC a de sérieux doutes surtout que plus loin la plupart avouent ignorer les recours dont ils disposent en cas de problème.
Peu de clients se disaient disposés à donner accès aux fintechs à leur compte bancaire (Mylo a notamment besoin de cet accès). Sur le fait que les fintechs puissent avoir accès aux détails de leurs transactions bancaires, les utilisateurs étaient quelque peu partagés.
« Même s’ils ont l’impression d’être en contrôle de leurs transactions, l’étude rapporte que les consommateurs connaissent bien mal les FinTech et les confondent avec des institutions financières », conclut OC.
Option consommateurs demande donc au gouvernement de revoir les lois de protection du consommateur notamment celles sur le contrat conclut à distance en plus de celles en matière de vie privée afin qu’elles tiennent compte des nouveaux enjeux qui découlent du fonctionnement de ces entreprises.