Cinq « forces tectoniques » impriment invariablement des modifications dans le statu quo mondial, et cela pourrait conduire à une ère d’incertitude économique et financière, affirme Stephen Poloz, ancien gouverneur de la Banque du Canada (BdC).
Il identifie ces forces comme étant :
- une population vieillissante,
- un endettement croissant,
- le progrès technologique,
- l’augmentation des inégalités
- et le climat.
L’interaction de ces différents facteurs, qu’il a comparée à des forces de la nature lors d’un discours prononcé à l’occasion de la conférence de Franklin Templeton sur les perspectives d’investissement en 2021, « peut donner lieu à des éruptions soudaines de volatilité économique et financière semblables à des tremblements de terre ».
La situation pourrait conduire à de nombreux scénarios inflationnistes, allant d’un retour à l’objectif d’inflation de 2 % à une flambée d’inflation, à une stagflation ou une déflation.
« Personnellement, je ne les pondèrerais pas de la même façon, mais j’accorderais un poids significatif à chacun de ces facteurs et je suggérerais aux investisseurs de réfléchir aux moyens de préserver leur capital si l’un d’entre eux se présentait », a affirmé celui qui est maintenant conseiller spécial chez Osler, Hoskin & Harcourt.
« Nous ne devrions pas nous focaliser sur le scénario le plus probable où l’inflation revient juste à 2% et y reste », prévient-il.
La poussée démographique du baby-boom de l’après-guerre est l’un des moteurs qui ont maintenu les taux d’intérêt élevés au cours des précédentes décennies. Alors que cette génération s’apprête à prendre sa retraite, Stephen Poloz estime que le niveau élevé des taux d’intérêt alors observé « était une aberration » et qu’il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils reviennent.
Bien que l’on s’attende à ce que les taux d’intérêt se normalisent en même temps que les objectifs d’inflation, l’ex-gouverneur de la BdC note que l’on craint de plus en plus que l’inflation ne devienne incontrôlable, car les gouvernements sont engagés dans l’emprunt « de somme stupéfiante d’argent ».
D’après lui, les banques centrales d’aujourd’hui sont toutefois bien équipées pour contrôler l’inflation grâce à la politique monétaire.
Cependant, trois des changements tectoniques évoqués pourraient perturber la volonté des banques centrales dans la poursuite de leurs objectifs à cet égard :
- l’endettement croissant,
- le progrès technologique
- et l’inégalité croissante.
L’endettement mondial était en hausse bien avant la COVID-19, note Stephen Poloz. En raison des politiques monétaires et fiscales qui ont jusqu’ici empêché le développement de récessions, les particuliers et les entreprises sont peut-être moins incités à réduire leur niveau d’endettement et à rééquilibrer leurs finances comme il serait sain de le faire. Dans la perspective des investisseurs, une illustration de cette situation est le danger de croiser des « entreprises zombies » qui ne sont pas « éliminées du système » comme elles devraient l’être.
Dans le cas de la technologie, le progrès est généralement associé à une plus grande efficacité et à des coûts réduits pour les entreprises sur le long terme, a souligné Stephen Poloz. Mais la transformation qu’entraîne ce même progrès peut avoir de graves conséquences à court terme sous la forme de dépressions et de perturbations économiques.
Le monde est actuellement engagé dans une quatrième révolution industrielle, une large part de l’activité économique reposant dorénavant sur le numérique via des technologies telles que l’intelligence artificielle – une évolution qui fait craindre à une partie de la main-d’œuvre mondiale que seules quelques grandes entreprises captent tous les bénéfices économiques et que cela entraîne une inégalité croissante des revenus.
« Les gens croient et s’attendent à ce que la croissance économique soit comme de la levure, qu’elle se répande partout et que tout le monde en profite, a affirmé Stephen Poloz. Mais la réalité ressemble plutôt à des champignons qui poussent ici et là et que seul un certain nombre d’entreprises arrivent à récolter la plupart des bénéfices. »
Le changement climatique a également un effet sismique sur l’économie, car de plus en plus d’entreprises essaient de passer à des procédés respectueux de l’environnement. Le problème à cet égard, souligne l’ex-gouverneur de la BdC, étant que « les marchés ne savent vraiment pas distinguer les différentes nuances de vert. Ils sont foncièrement incapables de faire la différence entre le vert et le non-vert ».
Les entreprises devront s’orienter vers une « transparence totale en matière de carbone », ce qui nécessitera des investissements importants dans l’analyse ou le travail de conseil. « Les entreprises qui investissent à ce stade précoce méritent votre attention », a souligné Stephen Poloz.
Avec ces forces en jeu, « la volatilité au-delà de la norme que nous observons désormais est un signe de cette réalité », a-t-il ajouté. La gestion du risque d’une entreprise pour ces facteurs sera essentielle pour créer de la valeur pour les actionnaires et sera probablement « le prochain canal d’investissement immatériel ».