L’impact de la pandémie de la COVID-19 sur l’économie pourrait s’avérer moins persistant que celui observé lors de crises précédentes. Les analystes financiers agréés (Chartered Financial Analysts) membres de CFA Montréal ont émis l’avis dans une proportion de 46 %, lors d’un sondage maison, qu’il faudra entre 12 et 24 mois pour retrouver le niveau d’emploi d’avant la pandémie, et 28 % prévoient que cela surviendra entre 24 et 36 mois.
L’horizon temporel de 12 à 24 mois exprimé par les membres de CFA Montréal a particulièrement retenu l’attention de Carl Robert, le président de CFA Montréal. « Cela sous-tend une reprise économique et une sortie très rapide de la récession, beaucoup plus rapide qu’en 2008-2009 », a-t-il dit en entrevue avec Finance et Investissement.
Il compare un peu la situation découlant de la COVID-19 à un désastre naturel. « Ça arrive, ça fait très mal, c’est très rapide, par contre la reprise devrait aussi être très rapide », illustre Carl Robert.
Qu’une telle proportion de répondants évoque un retour à l’emploi au même point qu’avant la pandémie dans 12 à 24 mois lui paraît « très positif ». Il signale toutefois qu’en raison notamment du reconfinement, la situation risque d’être tout de même difficile au cours de la prochaine année.
Heureusement, la situation a évolué depuis le printemps dernier, alors que l’économie a été mise sur pause. Au nombre des éléments porteurs d’une certaine stabilité, il évoque en premier lieu l’arrivée de plusieurs vaccins. Carl Robert signale ensuite l’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis. « Cela nous permet de percevoir de la stabilité à l’horizon, que ce soit de la part du gouvernement américain, de ses politiques, mais aussi de ses stimuli fiscaux qui devraient être plus importants encore avec un gouvernement démocrate qui va contrôler les deux chambres, celle des représentants et le sénat », indique-t-il.
Selon lui, cela permettra au gouvernement de « mettre en place davantage de programmes pour aider sa population, un peu comme l’a fait le Canada dans les derniers mois ».
Cet appui à l’économie de la part des gouvernements et des banques centrales à travers le monde, Carl Robert le qualifie de « jamais vu auparavant ». Il estime que cela s’est fait de manière beaucoup plus généralisée et sentie que par le passé, notamment lors de la crise de 2008-2009.
Ce soutien a toutefois un coût. Les répondants au sondage estiment dans une proportion de 94 % que le niveau élevé du bilan des banques centrales demeurera élevé à moyen terme.
Les membres de CFA Montréal jugent d’ailleurs, dans une proportion de 65 %, que l’impôt sur le revenu des particuliers canadiens augmentera, et parmi eux 54 % prévoient que ce sera entre 12 et 24 mois.
Pour Carl Robert, cela est toutefois loin d’être négatif. « Si les gouvernements peuvent se permettre de considérer des ajustements au niveau des impôts à l’intérieur de cet horizon afin de payer les déficits sans affecter l’économie et les emplois, cela signifiera que l’économie sera repartie et que les dommages de la COVID-19 vont s’estomper peu à peu ».
Du côté des entreprises, 49 % des répondants prévoient que l’impôt sur le revenu augmentera pour les entreprises canadiennes, et 73 % dans le cas des entreprises américaines. Cette perspective n’étonne aucunement Carl Robert. Il rappelle que les démocrates ont affirmé en campagne électorale vouloir « monter les impôts sur les entreprises pour défaire un peu ce qui a été fait en 2017 ». Une avenue, selon lui, « qui devrait avantager de façon relative le Canada, et nous permettre d’être un peu plus compétitif en matière de charges fiscales aux entreprises ».
Autre conséquence découlant de l’intervention massive des banques centrales sur les marchés financiers, 90 % des répondants estiment qu’elle a gonflé artificiellement les prix des actifs. Une situation qui a créé un « effet macro plus global qui rend l’évaluation des analystes plus difficile », mentionne Carl Robert.
Il ajoute qu’en revanche, cela permet d’observer « certaines dislocations un peu partout dans les marchés, ce qui aide en quelque sorte nos analystes à mieux rééquilibrer leurs portefeuilles, puisque certains marchés, s’ils sont peut-être plus dispendieux que d’autres, montrent aussi des opportunités intéressantes ». Les mots d’ordre demeurent donc, pour Carl Robert, la diversification des investissements et la résilience.
Les membres de CFA Montréal sont d’avis que les marchés boursiers (46 %) et les placements privés (38 %) sont les deux catégories d’actifs qui offriront les meilleures occasions de rendement en 2021. Pour le moment, et depuis le début de la pandémie, les catégories d’actions dans les secteurs de la technologie de l’information (40 %) et des soins de la santé (29 %) demeurent les plus attrayants tandis que les marchés obligataires (51 %) et de l’immobilier (49 %) seront les plus affectés au cours de la prochaine année.
En raison de la faiblesse « historique » des taux d’intérêt, 72 % des répondants croient que les investisseurs institutionnels vont réduire la pondération en obligations de leurs portefeuilles. Dans une proportion de 60 %, les répondants prévoient par ailleurs une augmentation de la pondération des catégories d’actifs liées à l’infrastructure, 51 % à la dette privée, 50 % aux placements privés, 41 % aux marchés boursiers et 31 % à l’immobilier.
Facteurs ESG
Bien qu’il avait conscience de l’importance accordée par les membres de CFA Montréal aux facteurs ESG et aux politiques d’investissement responsable, Carl Robert convient qu’il n’avait « pas réalisé à quel point » et cette grande tendance l’a agréablement surpris.
En effet, 92 % des répondants prévoient une plus forte demande de politiques vertes et estiment que les facteurs ESG vont jouer un rôle plus important dans les décisions d’investissement. La perception des répondants indique aussi que les changements climatiques seront au cœur des prises de décisions, puisque 64 % d’entre eux prévoient que c’est le facteur de l’environnement qui sera davantage ciblé.
Carl Robert perçoit cette tendance comme « un message fort », bien qu’elle générait des échos dans l’industrie bien avant la COVID-19. Il craignait toutefois que ces efforts soient mis de côté en raison de la pandémie, mais au vu des résultats du sondage, il constate que c’est tout le contraire. « Ce que l’on perçoit c’est comme une vague de politiques vertes, et non seulement vertes, mais de politiques au niveau social et de gouvernance, qui se propage dans plusieurs grandes institutions ».
L’implication de Mark Carney, l’ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, à titre d’envoyer spécial des Nations unies pour le climat, tout comme le récent engagement du fondateur et chef de la direction de BlackRock, Laurence Fink, de placer le changement climatique au cœur de ses décisions d’investissement, sont autant de signaux en ce sens, estime Carl Robert.
Selon lui, la question liée à la multiplication des dénominations et des nomenclatures relatives aux données ESG, notamment en raison de l’existence de différentes règles et certifications au niveau local à travers le monde, et qui pose un défi aux analystes et peut dérouter les investisseurs, est aussi en voie de se résorber. Les efforts en cours visant à consolider ces informations en un cadre davantage homogène étant bien engagé, estime-t-il.
Au Canada, un groupe de chefs de la direction de gestionnaires de placements des régimes de retraite, incluant ceux de la Caisse de dépôt et placement du Québec, de l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada, et du Régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario (OMERS), ont par exemple signé une lettre conjointe réclamant que les entreprises divulguent des données ESG « complètes et cohérentes pour les aider dans leur prise de décision en matière de placement et leur permettre de mieux évaluer et gérer leurs risques ».
« On voit clairement un rassemblement de plusieurs entreprises et entités gouvernementales qui émettent des lettres d’opinions, notamment, pour aller dans le même sens et c’est assez impressionnant », analyse Carl Robert, qui évoque un engouement qui n’est pas passager.
Le sondage a été réalisé en ligne par CFA Montréal auprès de 2 834 membres du 19 novembre au 8 décembre 2020, et 349 d’entre eux y ont répondu. La marge d’erreur maximale du sondage est de 5 %, 19 fois sur 20.