À cause de son opacité, ce portefeuille de dettes suscite des inquiétudes.
En mai dernier, le chancelier allemand Olaf Scholz disait que les prêts de la Chine constituent un « danger sérieux » de voir le monde plonger dans une nouvelle crise financière. « Il existe, a dit le chancelier, un danger vraiment sérieux de voir une prochaine grande crise de la dette dans les pays du Sud liée aux prêts accordés par la Chine, qui elle-même n’a pas une vue d’ensemble en raison des nombreux acteurs impliqués. Cela plongerait la Chine et les pays du Sud dans une grande crise économique et financière et, en outre, n’épargnerait pas le reste du monde. Il s’agit donc d’une inquiétude sérieuse. »
De 1949 à 2017, l’État chinois et ses filiales ont prêté aux pays en voie de développement environ 1,5 billion de dollars américains, soit à peu près l’équivalent du PIB canadien en 2021. À ces dettes aux pays en développement s’ajoutent le billion $US en bons du Trésor américain que détient la Chine de même que multiples crédits commerciaux. « Au cours des deux dernières décennies, la Chine est devenue l’un des principaux prêteurs mondiaux, l’encours de ses créances dépassant désormais plus de 5 % du PIB mondial », rapporte une étude publiée dans le Harvard Business Review.
Son portefeuille de dettes aux pays en développement fait de la Chine un prêteur plus important que tous les autres prêteurs réunis, qu’il s’agisse du FMI, de la Banque mondiale ou de tous les pays créditeurs de l’OCDE.
La majeure partie des prêts aux pays en développement a été faite dans le cadre du vaste programme Belt and Road par lequel la Chine consent des prêts pour la construction d’importants projets d’infrastructure et de développement économique. Très souvent, elle exige que les chantiers soient réservés aux ouvriers chinois. Plusieurs accusent ces prêts d’être des pièges de dettes par lesquels la Chine, sachant que les prêts pourront être difficilement remboursés, se donne des leviers de contrôle sur les pays concernés. La Chine, pour sa part, répond qu’il s’agit de financer des projets de coopération internationale.
Les auteurs de l’étude de Harvard soulèvent un problème majeur au sujet de ces prêts : leur obscurité. Les sommes qu’ils mettent en jeu n’apparaissent que partiellement dans les registres officiels. Puisqu’ils sont commandités par l’État, ils n’apparaissent pas davantage dans les analyses de Standard & Poor’s, de Moody’s ou de Bloomberg. De plus, la Chine n’est pas membre du Club de Paris, un club informel de pays prêteurs.
Du côté des pays emprunteurs, leur dette s’accumule rapidement. « Pour les 50 principaux pays en développement bénéficiaires, nous estimons que le stock moyen de la dette due à la Chine est passé de moins de 1 % du PIB du pays débiteur en 2005 à plus de 15 % en 2017. Une douzaine de ces pays ont une dette d’au moins 20 % de leur PIB nominal envers la Chine. »
Ainsi, l’étude évalue que 50% des prêts chinois ne sont rapportés nulle part, cette part invisible ayant cru à plus de 200 milliards de dollars américains depuis 2016.
Cette « dette cachée » entraîne plusieurs conséquences néfastes. D’abord, la surveillance officielle du poids des dettes nationales est handicapée alors que l’évaluation des charges de remboursement et des risques financiers encourus requiert de connaître toutes les dettes en cours.
Ensuite, le secteur privé va assigner des valeurs erronées à des contrats de dette s’il ignore l’étendue de l’endettement réel d’un gouvernement. « Ce problème, écrivent les auteurs, est aggravé par le fait que de nombreux prêts officiels chinois comportent des clauses de garantie, de sorte que la Chine peut être traitée de manière préférentielle en cas de problèmes de remboursement. Par conséquent, les investisseurs privés et les autres créanciers concurrents peuvent sous-estimer le risque de défaut de paiement de leurs créances. »
L’opacité du portefeuille de dettes chinoises peut mener à des tours de passe-passe. « Par exemple, indique l’étude, si un pays endetté envers la Chine se tourne vers le FMI, les responsables doivent savoir que les fonds déboursés par le FMI peuvent être utilisés pour payer un autre créancier officiel, la Chine, plutôt que d’être utilisés pour atténuer les tensions sur le marché. »
Les conclusions de l’étude de Harvard donnent appui aux appréhensions d’Olaf Scholz. « Depuis 2011, peut-on lire, deux douzaines de pays en développement ont restructuré leur dette envers la Chine. Cette augmentation récente de l’incidence des restructurations de la dette souveraine chinoise peut avoir une interprétation bénigne, mais compte tenu du ralentissement de la croissance et de la baisse des prix des matières premières de ces dernières années, elle pourrait bien être le signe de problèmes de liquidité et de solvabilité qui se préparent dans de nombreux pays en développement. Si le rôle de la Chine dans la finance internationale continue à rester dans l’ombre, les évaluations du risque mondial et le travail de surveillance des pays resteront dangereusement incomplets. »