L’environnement économique est en plein bouleversement. Le ralentissement de l’économie mondiale découlant d’une déglobalisation et d’une baisse de la demande, à l’instar des actions portant sur les changements climatiques, ont un impact important sur les commodités. Benoit Gervais, vice-président principal, gestionnaire de portefeuille et chef de l’équipe des ressources de Mackenzie donne son analyse de la situation actuelle et ses prévisions futures.
« Aujourd’hui les actions sur les changements climatiques sont en train de forcer la mise en place, dans le secteur des commodités, d’une forme de prix pour les émissions carbone et ce n’est qu’un début. À mon avis, un prix sera déterminé non seulement pour ces émissions, mais aussi pour toutes les facilités, jusqu’à l’utilisation de l’eau et de la main-d’œuvre à bas prix, qui ne seront justement plus à bas prix », estime-t-il.
Les profits des entreprises atteignent présentement des sommets, mais les inégalités sont plus importantes que jamais, constate-t-il. L’écart salarial entre les patrons et les employés est immense. La société tente donc de se réajuster et la demande et retraite en quelque sorte à ce que l’on observait dans les années 80-90 lorsque la globalisation était moins haute, analyse Benoit Gervais.
« Le marché est en période de découverte pour savoir comment la déglobalisation pourrait avoir un impact sur la demande et les ressources naturelles. En même temps, on parle sans cesse du réchauffement climatique qui mène à la suppression de toutes les industries qui produisent beaucoup de carbone », note-t-il.
Une discussion sur les risques
Benoit Gervais et son équipe affirment que le moment est venu pour avoir une discussion sur les risques avec les clients. Il serait temps de juger des probabilités que certaines entreprises qui distribuent actuellement de bons dividendes, mais dont l’empreinte carbone est importante, comme Shell, perdent beaucoup de valeur.
Certains estiment que des taxes carbone devraient être votées ou qu’il faudrait instituer un système de permis à 150-200 $ la tonne. L’adoption de telles propositions changerait considérablement le paysage économique car certaines compagnies seraient grandement avantagées, comme celles d’énergie solaire ou de voitures électriques, alors que d’autres seront grandement défavorisées.
« Oui, il va y avoir des coûts additionnels assumés par Shell à cause des changements climatiques. La question c’est combien », commente Benoit Gervais.
Une discussion pas assez éduquée
Le gestionnaire de portefeuille estime toutefois que les discussions sur l’environnement ne sont pas encore très éduquées. Il base ainsi son jugement sur le fait que certaines compagnies ne sont pas assez valorisées, alors qu’elles proposent des alternatives au pétrole moins nocives pour l’environnement.
Ainsi, les compagnies de gaz naturels sont traitées comme des compagnies pétrolières et seraient surtaxées, de l’avis de Benoit Gervais. Pourtant elles permettraient de remplacer les centrales thermiques au charbon dans la production d’électricité.
« En ce moment, ceux qui perdent leur emploi, ce n’est pas les producteurs de pétrole, mais les producteurs de gaz naturel et pourtant c’est un agent central dans la transition vers une décarbonisation de la société », souligne-t-il.
D’autres commodités sont mises de côté alors qu’elles permettraient de diminuer les émissions carboniques. « Je pense par exemple aux fibres renouvelables comme le bois d’œuvre qui est pratique dans la construction. Les gens ont tendance à penser aux compagnies de bois d’œuvre au Canada comme des compagnies qui coupent des arbres. Ils estiment donc qu’ils travaillent contre nos objectifs à long terme pour l’environnement, mais c’est faux », affirme le gestionnaire de portefeuille.
Selon lui, si on utilise du bois à la place du ciment, les sociétés devront en planter davantage et sachant que les jeunes arbres absorbent davantage de CO2 que les vieux, il pense que ce matériau pourrait représenter une solution intéressante.
« Pourtant ce sont des commodités qui s’échangent au rabais. Si on veut atteindre nos objectifs, on devrait payer plus pour une maison construite en bois, plutôt qu’en ciment. Ça pousserait à avoir de plus grandes forêts », insiste-t-il.
Les règlements environnementaux
Comme expliqué précédemment, les gouvernements pensent à instaurer un système de permis d’émission de carbone ou de nouvelles taxes. Cependant, de telles solutions pourraient apporter d’autres problèmes, affirme Benoit Gervais. Si tous les pays n’imposent pas une taxe ou des permis identiques, certaines industries vont être défavorisées. Le gestionnaire de portefeuille pense que la solution consisterait à instaurer alors des taxes sur l’importation.
« Les taxes ne sont pas populaires, mais si on attend que l’Inde ou la Chine mettent une taxe sur les émissions de carbone, on va être éternellement désavantagé », commente-t-il.
En imposant de nouveaux frais pour les émissions de carbone sans mettre en place une taxe sur l’importation, le risque serait une perte d’emplois au bénéfice de ces pays. « On aura la même quantité de carbone, mais plus d’emplois, assure Benoit Gervais, à moins d’imposer un tarif sur les entrées de ces biens et services-là. »
Une solution plus simple serait d’utiliser d’autres technologies qui sont à même coût, mais qui ont une empreinte environnementale plus faible.
Opportunités à long terme
L’esprit environnementaliste aura un impact considérable sur la croissance et l’utilisation de certaines commodités à long terme. De nos jours, la consommation d’énergie atteint un sommet record, note Benoit Gervais, et les consommateurs ne sont pas prêts à renoncer à leur mode de vie. Ils vont donc se tourner vers des solutions économiques qui diminuent leur empreinte environnementale.
Dans l’étude de Mackenzie, « L’ère de l’efficacité des ressources », à laquelle Benoit Gervais a participé, les auteurs estiment que les niveaux de vie continueront de grimper, mais qu’au lieu d’accepter la hausse des émissions carboniques découlant de l’intensité d’utilisation des ressources, les gens chercheront des solutions alternatives notamment à travers les sources d’énergies renouvelables.
Selon eux, cette demande accrue aura un impact sur les prix des produits de base qui pourraient varier considérablement, offrant des occasions de placements aux investisseurs dans les ressources naturelles.
« À notre avis, certains produits de base se négocieront à escompte et deviendront une solution « moins propre » mais meilleur marché pour ceux et celles qui ne peuvent pas se permettre la version « plus propre » et plus durable. D’autres marchandises bénéficieront d’une majoration et seront à la portée de ceux qui ont les moyens et le désir de s’assurer un niveau de vie plus durable, mais plus coûteux », peut-on lire dans le rapport.
Les experts de Mackenzie ciblaient ainsi quatre produits dont la demande pourrait grandement croître dans les années à venir :
- le gaz naturel, pour remplacer le charbon
- le bois d’œuvre, à la place du ciment
- le cuivre, à la place de l’acier
- et le carton, plutôt que le plastique
Si ces prédictions ne se sont pas encore réalisées, pour les raisons expliquées plus tôt, elles pourraient encore être véridiques sur le long terme.