On lit souvent que l’économie mondiale se « dé-globalise ». Selon cette idée, les entreprises ramènent les productions de l’étranger et rapatrient leurs chaînes d’approvisionnement. Le marché des actions nous dit tout autre chose : la mondialisation poursuit inexorablement ses avancées, selon une récente étude de Morningstar.
« Malgré la pandémie et les tensions géopolitiques, la globalisation ne semble pas être en régression », écrit Dan Lefkowitz, stratège chez Morningstar et auteur de l’étude. Le Canada en est un exemple flagrant. Alors que 53% des revenus des entreprises cotées en bourse provenaient de l’intérieur des frontières canadiennes en 2019, cette proportion est tombée à 48% en 2023, une baisse très sensible de cinq points de pourcentage en trois ans.
Les bourses des pays développés se mondialisent plus que jamais
L’économie du Canada « rejoint celle des États-Unis, du Japon, de l’Australie et de la majeure partie de l’Europe de l’Ouest en devenant moins domestique, » note l’étude. Il en est ainsi pour 31 des 45 marchés d’actions recensés.
Si les pays se mondialisent, c’est parce que les entreprises se mondialisent. L’étude repère deux entreprises représentatives de la tendance : BMO Groupe financier, un des principaux titres au Canada, et Meta Platforms, un géant américain. Au cours de son dernier exercice financier, BMO a tiré la majorité de ses revenus des États-Unis pour la première fois. Au cours de l’exercice précédent, le Canada représentait encore près de 60 % des revenus de BMO.
Aux États-Unis, Meta Platforms, propriétaire de Facebook, Instagram et WhatsApp, a vu sa part de revenus provenant de l’extérieur des États-Unis augmenter au fil des ans. Ainsi, la région Asie-Pacifique est son plus grand marché international. Grâce à Meta et à d’autres, la part des revenus domestiques dans les titres boursiers américains est passée de 66 % en 2019 à 61 % aujourd’hui.
Le Japon, deuxième plus important marché d’actions au monde, suit une même tendance. D’une part de 60% en 2019, les revenus domestiques ont fondu de sept points de pourcentage à 53% aujourd’hui.
Les marchés européens sont de loin les plus globaux en termes de sources de revenus. Ainsi, 12 pays de l’Union européenne tirent plus des deux tiers de leurs revenus de l’extérieur des frontières nationales. La part de revenus domestiques dans l’indice boursier du Royaume-Uni est de 22%, tandis que les Pays-Bas, la Suisse, l’Irlande et la France affichent les plus bas pourcentages au monde, soit 8%, 9%, 13% et 16% respectivement. Ces marchés se sont encore mondialisés au cours des dernières années grâce aux activités de sociétés comme Nestlé, Novo Nordisk, LVMH, Atlas Copco, Siemens, Nokia et AstraZeneca.
Marchés émergents plus encapsulés
Les marchés émergents, au premier rang desquels prend place la Chine, tendent à avoir des sources de revenus plus nationales. La Chine affiche le taux le plus élevé au monde, avec 90% des revenus des entreprises cotés en Bourse étant de provenance domestique. En Inde, c’est 75%, en Indonésie, 89%. Il est étonnant de constater qu’avec un taux de 61%, les États-Unis se rangent plus près des pays émergents que des pays développés.
La plupart des pays émergents ne se sont pas mondialisés ces dernières années, souligne Morningstar. Cela tient au fait que les banques, les télécommunications et les services publics, qui tendent à être plus nationaux que les entreprises liées à la technologie et à la santé, dominent largement ces indices.
La Corée du Sud et Taïwan, qui tirent la majorité de leurs revenus de l’étranger, sont deux exceptions parmi les marchés émergents (plusieurs jugent que ces deux pays font maintenant partie du club des pays développés). Il s’agit d’ailleurs de marchés à forte composante technologique où on trouve deux leaders technologiques mondiaux comme Samsung Electronics et Taiwan Semiconductor, le plus grand fabricant mondial de puces électroniques.
Un résultat de la mondialisation croissante des sources de revenus, en particulier sur les marchés développés, tient à l’augmentation des corrélations entre les marchés d’actions. Cette forte corrélation se vérifie beaucoup moins dans les pays émergents, étant donné leur part beaucoup plus élevée de revenus domestiques. « Pour de nombreux investisseurs, écrit Dan Lefkowitz, la mondialisation des sources de revenus brouille les frontières entre le marché domestique et la partie internationale d’un portefeuille. »
Re-mondialisation en cours
Les marchés d’actions sont-ils en contradiction avec une tendance générale à la dé-mondialisation? C’est une erreur de croire que l’économie se dé-mondialise, selon un article du Wall Street Journal. Il faudrait plutôt parler de « re-mondialisation ». Suite à l’imposition de tarifs sur les exportations chinoises en 2018 par l’administration Trump, plusieurs ténors ont parlé d’un renversement de la « dé-localisation » vers la « re-localisation ».
Certes, plusieurs productions autrefois déplacées vers la Chine reviennent aux États-Unis, pays où le « reshoring » est le plus actif parmi les économies avancées, mais les tarifs américains sur la Chine ont plutôt eu l’effet « d’accroître les importations américaines en provenance de pays du Sud-Est asiatique comme le Vietnam, l’Indonésie, la Thailande, aux dépens de la Chine », écrit le Wall Street Journal. Aussi, ajoute le WSJ, le Mexique est un des pays les mieux positionnés pour profiter des tensions sino-américaines.