Clément Gignac, vice-président principal et économiste en chef à l’Industrielle Alliance, n’en est pas si sûr.
Finance et Investissement (FI): Est-ce que le dernier mois est annonciateur de ce qui se passera sur les marchés en 2016?
Clément Gignac (CG): La Bourse n’est pas toujours un excellent reflet de l’économie. Ça arrive qu’on ait des corrections boursières qui n’annoncent pas de récession. Je crois qu’un des catalyseurs de la baisse actuelle, c’est le fait que depuis deux trimestres déjà, les bénéfices des entreprises sont en recul. On n’a pas vu de repli du PIB, mais plutôt un recul des bénéfices des entreprises.
Au niveau international, il y a aussi le fait que la Chine est en plein ralentissement et que sa bourse s’est faite malmener. On a vu durant la première semaine de janvier une baisse de 15 % de la bourse chinoise. Ça a amené beaucoup de gens à réfléchir sur la performance de l’économie chinoise. Et, de toute façon, est-ce qu’on a les bons chiffres? Ce n’est pas toujours nécessairement la grande transparence en Chine.
Dans le cas du Canada, ajoutons à cela une baisse du prix du pétrole qui était environ à 40 $ au début du mois de décembre et qui a même creusé le plancher des 30 $ depuis. La bourse canadienne est actuellement dans un marché baissier, soit une baisse de plus de 20%. C’est plus rare, mais c’est que le Canada manque de profondeur puisque le marché y est très axé sur les ressources.
Ajoutez à cela un mélange de facteurs macro-économiques et géopolitiques, comme la Corée du Nord, les tensions entre l’Iran et l’Arabie-Saoudite ainsi que des élections américaines prochaines. Je crois que beaucoup de gens ont décidé de se mettre sur les lignes de côté et, comme d’habitude, ce sont les obligations qui en profitent.
FI: Qu’est-ce qui se passe avec le pétrole?
CG: Il y a deux types de facteurs qui expliquent la chute du prix du pétrole. Il y a les facteurs macroéconomiques, comme le ralentissement économique chinois. Toutefois, si on regarde plus attentivement les chiffres, on se rend compte que la demande mondiale en pétrole continue de croître. On ne peut pas dire que c’est le ralentissement chinois qui est à l’origine de la baisse du prix du baril. C’est plutôt un choc de l’offre que de la demande qui, elle, a augmenté de 1,5 million de barils sur une demande totale de 93 millions de barils l’an dernier. On s’attend à une croissance de 1,2 million de barils cette année.
Il y a aussi le facteur « OPEP » qui a décidé de ne plus avoir de quotas ou de fourchette cible pour le prix du baril. Ils mettent à risque les producteurs de pétrole provenant des sables bitumineux et du pétrole de schiste. De plus, l’Iran va bientôt mettre sur le marché 600 000 barils supplémentaires avec la levée des sanctions liées à son programme nucléaire. On a un surplus d’inventaires.
Je suis aussi convaincu qu’il y a beaucoup de spéculateurs dans le décor.
FI: Est-ce que c’est le temps d’acheter?
CG: Si on a un horizon d’investissement de 12 à 24 mois et non pas de 12 à 24 semaines, c’est l’occasion de considérer d’acheter des titres dévalués dans les ressources. Le prix des ressources est bas depuis un bon moment et plusieurs titres du secteur du pétrole et du gaz ont même perdu entre 50 et 70 % de leur valeur. Ils se transigent actuellement près de leur valeur au livre. Pour un investisseur qui a une vision à long terme, c’est le moment de construire de beaux portefeuilles avec des titres énergétiques de grande qualité qui offrent de bons dividendes. Il y a aussi, évidemment, les titres bancaires qui sont une bonne idée d’achat actuellement.
Nous ne nous sommes pas gênés (NDLR Clément Gignac gère 4 G$ en fonds diversifiés à l’Industrielle Alliance) et nous avons augmenté de 250 M$ notre position dans les banques canadiennes. Les titres ont baissé de 20 %, mais nous pensons que les dividendes ne sont pas à risque. Pourquoi? Parce que les banques canadiennes sont les mieux capitalisées dans le monde. Ce n’est pas la première fois qu’elles traversent des chocs pétroliers. À moins de croire que le marché canadien va s’effondrer, c’est un bon moment pour augmenter son exposition aux banques canadiennes.