La théorie moderne des portefeuilles nous a éconduits, juge-t-il dans son livre Safe Haven, Investing for Financial Storms.
Les idées de Nassim Taleb sur les événements « cygnes noirs » sont devenues populaires au moment de la crise de 2008. Les épisodes aux extrémités de la courbe de distribution sont plus nombreux que ce qu’on croit en général, et il est bien improbable qu’un investisseur les voie venir. Mark Spitznagel pour sa part a été propulsé dans les projecteurs de la célébrité quand son fonds Universa a connu un rendement de plus de 4 144% dans le premier trimestre de 2020, au moment où les marchés s’écroulaient.
Dilemme du risque
La sagesse acquise veut qu’on ne puisse accroître les rendements qu’en prenant plus de risques. Réduire les risques au minimum va simplement… réduire les rendements au minimum.
Spitznagel propose une autre perspective : « Le but de l’atténuation des risques, comme de tout investissement, devrait être d’accroître notre taux de capitalisation (compounding) dans la durée, écrit-il. Cela contredit tout ce que nous apprend la finance moderne. »
On voit l’atténuation du risque comme un coût qui pèse sur la création de richesse. Spitznagel propose de réduire le risque dans un portefeuille en ajoutant au rendement sur le long terme. Il faut être prêt à écoper de façon soutenue des petites pertes pour éviter de perdre dans les moments de grande perte et plutôt gagner en de tels moments.
Ces petites pertes tiennent au coût d’une « assurance » qu’on maintient en tout temps dans son portefeuille. Le financier met bien en garde de tenter à prévoir les krachs et de les « synchroniser ». L’assurance doit être incrustée en permanence dans le portefeuille, prête à prendre le relais quand les conditions de marché se détériorent.
Une petite perte constante implique, en principe, que le portefeuille « safe haven » ne gagne pas beaucoup dans les marchés haussiers. L’investisseur accepte les petites pertes qui surviennent lorsque son assurance à faible coût contre les tempêtes du marché, même pendant les marchés haussiers, s’avère inutile. Il juge qu’il est moins coûteux de se protéger contre la baisse lorsque les marchés sont en hausse.
Peu importe si l’assurance achetée à bas prix expire sans valeur et de petits montants de capital sont perdus. Cette protection contre les grosses pertes signifie que le portefeuille sera prêt à profiter quand surviennent les krachs boursiers qui sont supposés survenir rarement – mais qui explosent de plus en plus souvent. En incluant le krach de 1987, nous en avons subi six au cours des 36 dernières années.
On se trompe en poursuivant unilatéralement les grands marchés haussiers. Un portefeuille qui accepte le coût d’une assurance soutenue ne profite pas nécessairement de la hausse, mais il ne subira pas les grandes pertes. Lorsqu’une surprise impossible à prévoir survient, le style d’investissement « safe haven », destiné à protéger à faible coût des baisses, s’avère très rentable. « Transiger, c’est absorber de petites pertes et empocher de grands profits », dit Mark Spitznagel, une approche diamétralement opposée à la façon d’opérer de presque tous les fonds de couverture. Il reste que le monde des fonds de couverture a trouvé un nom pour identifier une approche comme celle de Spitznagel : couverture des extrémités ou tail-end edging
Mutisme sur l’essentiel
Qu’est-ce qu’une assurance, notion fondamentale pour Mark Spitznagel? Des candidats évidents sont l’or, la diversification sectorielle et géographique, le portefeuille équilibré actions/obligations, les options. « Mais l’ajout d’actifs comme les obligations, ou même l’or, portent un coût pour les investisseurs dans les marchés haussiers sans les protéger entièrement en temps de crise », écrit Institutional Investor.
Cependant, Mark Spitznatel ne met de l’avant aucune solution d’assurance pratique, et pour le lecteur, c’est la carence majeure de son livre. Il a publié un livre de théorie culinaire sans proposer la moindre recette.
Au contraire, il avertit bien que les idées de son livre « ne doivent pas être expérimentées par des non-professionnels ». Plus encore, il juge que son approche n’est pas vraiment accessible à la plupart des professionnels qui, de toute façon, à cause de leur adhésion aux idées conventionnelles, seraient plus probablement rebutés par son approche inorthodoxe. Il explique son mutisme par une répartie qu’on a souvent entendue dans le monde des fonds de couverture : « Le succès d’Universa tient au fait que les gens ne croient pas qu’il marche. S’ils le croyaient, nous ne serions pas en affaires », a-t-il dit à Institutional Investor.
Cela laisse planer un doute sur la performance prodigieuse d’Universa en 2020. D’autant plus qu’on ne découvre nulle part quelle a été la performance du fonds pendant la dégelée de 2022. Était-elle le résultat d’un heureux concours de circonstances ou d’un modèle cohérent de portefeuille? La réponse tient probablement des deux, mais il est certain que pour empocher un gain comme celui de 2020, les approches « traditionnelles » n’auraient pas été suffisantes. Il fallait qu’Universa ait recours à des tactiques classiques des fonds de couverture : la vente à découvert ou le recours aux options et autres produits dérivés et, surtout, à beaucoup de levier financier. L’auteur n’en écrit mot.