Le gestionnaire de fonds Wilfred Hahn, la stratège en placements Nelli Oster et l’économiste Douglas Porter sont convenus que des risques demeurent à l’horizon, notamment l’imprévisibilité des politiques adoptées par les décideurs, l’incertitude portant sur la position monétaire agressive adoptée récemment par le Japon, et des perspectives sombres pour les marchandises.  

« L’économie mondiale peut être caractérisée comme une voiture au neutre », dit M. Oster, stratège en placements qui travaille à San Francisco pour BlackRock. Répondant à une question initiale posée par le modérateur Scott Mackenzie, PDG de Morningstar Canada, Mme Oster a dit : « L’économie tourne mais elle progresse à une allure bien inférieure à la tendance que nous avons constatée ces dix dernières années. Cela s’applique à la fois aux économies développées comme les États-Unis et aux marchés émergents comme la Chine et le Brésil. Il reste encore du potentiel de hausse pour les marchés boursiers, mais pas à la vitesse du premier trimestre, qui ne se reproduira probablement pas. »

La principale difficulté, dit M. Hahn, président et co-directeur général du placement auprès de la société torontoise HAHN Investment Stewards & Co, c’est que l’environnement économique est entièrement différent de la période de l’après-guerre, entre 1945 et 2007. « Ce fut une période idyllique, dit M. Hahn. De nos jours, il y a peu de moteurs d’ordre structurel. Nous traversons une période de croissance plus lente. »

De plus, M. Hahn prévient que les investisseurs doivent faire attention parce que les marchés boursiers sont vulnérables aux actes « peu orthodoxes » des décideurs. « Après cette longue période de hausse des actions, nous sommes mûrs pour un ralentissement, peut-être au deuxième semestre, dit M. Hahn, mais cela pourrait préparer le terrain pour d’autres démarches peu orthodoxes, qui pourraient conduire à une autre période de hausse pour les actions. »

Une perspective optimiste a été offerte par M. Porter, économiste en chef chez BMO Marchés des capitaux, qui fait partie du Groupe financier BMO. « Il y a dix-huit mois, de gros risques pesaient sur l’économie mondiale. On disait que cette dernière connaîtrait une chute à double fond et que la devise européenne se désintégrerait. Beaucoup de ces préoccupations se sont estompées », dit M. Porter, ajoutant que la crainte que les États-Unis tombent dans le soi-disant précipice fiscal et que la Chine connaîtrait un atterrissage forcé ne se sont pas matérialisées.

« Et plus récemment, nous avons vu les décideurs japonais adopter des mesures très énergiques pour soutenir leur économie. Il y a en fait de bonnes nouvelles sur l’économie mondiale. »Que se passerait-il, a demandé le modérateur M. Mackenzie, si l’expérience monétaire japonaise venait à échouer? Deux résultats possibles, a répondu M. Porter. D’abord, l’inflation s’installe bel et bien comme prévu, « ce qui n’est pas la pire des choses, puisque le Japon a connu 20 ans de déflation. »

M. Porter a dit que le plan lancé par le premier Ministre Shinzo Abe pourrait s’avérer un succès « modéré », mais « la politique monétaire n’est pas une panacée. On ne peut pas avoir un revirement rapide de tous les problèmes structurels auxquels le Japon est confronté. Je soupçonne que dans le meilleur des cas, il y aura un peu de croissance économique, et de l’inflation. Mais on ne verra pas un revirement miraculeux de l’économie japonaise. »

Et de fait, dit Mme Oster, la réforme structurelle est cruciale pour une relance réussie au Japon. Bien qu’elle ait applaudi les changements de politique monétaire qui ont réussi à dévaluer le yen et à augmenter la compétitivité du Japon, Mme Oster a noté que les marchés avaient été déçus par le manque de véritables changements structurels.

« Nous sommes prudents sur le Japon, et maintenons une position neutre, dit Mme Oster. À plus long terme, il y a des problèmes sérieux, comme une démographie défavorable et une faible innovation, qui conduisent à des rendements faibles sur les actifs. Ce sont certains des problèmes que l’on doit résoudre pour que des réformes à plus long terme se produisent. »

Abondant dans le sens de M. Porter, M. Hahn était lui aussi inquiet que la politique monétaire japonaise ait une efficacité limitée. « Mon plus gros souci, c’est que cela crée un dangereux précédent », dit M. Hahn. Ce n’est peut-être qu’une question de temps avant que les pays exportateurs comme l’Allemagne, lésés par les actions du Japon, ne répondent par leurs propres mesures, déclenchant des répercussions potentielles sur les marchés mondiaux.

Mais ce qui nous préoccupe avant tout, a avancé M. Hahn, c’est qu’il devient de plus en plus difficile de deviner la prochaine démarche des décideurs. Notant que les marchés obligataires mondiaux tendent à connaître des poussées dans le sillage des déclarations politiques, M. Hahn a appelé l’attention sur une récente annonce de la Réserve fédérale américaine sur la croissance du PIB. Il a demandé : « Comment peut-on ne pas déformer le marché obligataire le plus important au monde quand on fait ce type de déclaration? »

Sur le revirement positif de l’économie américaine, M. Porter de BMO a avancé que bien que la croissance de 2,25 % du PIB puisse être un peu au-dessous de la normale pour une relance, l’économie s’est bien comportée face à un resserrement fiscal massif. « Nous voyons des améliorations réelles dans l’économie américaine pendant la première moitié de cette année, dit-il. Nous avons eu les augmentations de l’impôt sur l’emploi au début de l’année, puis les réductions des dépenses sont intervenues en mars et en avril. Mais ce qui était jadis un des plus gros problèmes aux États-Unis est en train de disparaître rapidement. Rien que cette année, le déficit budgétaire va diminuer d’environ 400 milliards $ US. Et l’économie va poursuivre sa croissance. »

Le renforcement de l’économie américaine, a ajouté M. Porter, est en partie imputable au redressement plus rapide que prévu du secteur de l’habitation. « Cela ouvrira la voie à un meilleur deuxième semestre de 2013, qui se poursuivra en 2014, alors que les difficultés fiscales vont s’estomper. »

Bien que Mme Oster ait convenu que les États-Unis connaissaient une amélioration lente de leur situation fiscale, elle a exprimé sa prudence du point de vue des placements. « Quand on regarde sous le capot, l’endettement du consommateur est encore très élevé, et il n’y a pas d’augmentation réelle des salaires par rapport à l’inflation. » De plus, même si les actions du secteur de la consommation se sont bien maintenues, Mme Oster a avancé qu’il y avait « une déconnexion par rapport aux (faibles) données fondamentales. » Par conséquent, elle penche vers une participation plus grande aux domaines cycliques comme la technologie et l’énergie. « Leurs évaluations sont plus convaincantes. »

M. Porter de BMO donne aussi sa préférence aux actions cycliques, même s’il a reconnu que le secteur manufacturier américain a déçu cette année. Il a tout de même admis que les actions pourraient avoir un problème avec la hausse des taux d’intérêt alors que le rendement des obligations gouvernementales américaines sur 10 ans, qui sert de point de repère, pourrait augmenter jusqu’à 2,4 % d’ici 2014.

« Ce sera tout de même un handicap pour les secteurs sensibles aux taux d’intérêt, mais nous ne nous attendons pas à un changement spectaculaire sur ce front », a dit M. Porter, ajoutant que les rendements des actions à dividendes étaient encore attrayants.La question du moment où les marchés moroses des marchandises vont se redresser a déclenché des commentaires de M. Hahn indiquant qu’ils étaient au beau milieu d’un ajustement structurel qui reflète des changements macroéconomiques importants dans le monde entier.

« Nous avons subi une énorme distorsion de la demande du côté de la Chine, qui a connu le phénomène de la propriété domiciliaire en très peu de temps, dit M. Hahn. À présent, nous traversons la phase d’ajustement qui se poursuivra pendant encore quelque temps, bien que certaines occasions cycliques puissent se dessiner. Mais le gros boum à long terme, avec quelques exceptions mineures, ne se réalisera pas avant cinq ans ou plus. »

Lorsqu’on leur a demandé d’identifier leurs plus grandes craintes, chacun des panélistes a exprimé de sérieuses inquiétudes. M. Hahn a noté que des taux d’intérêts très bas créaient de sérieuses difficultés à leurs clients à la retraite. « Comment allons-nous nous procurer des rendements réels au cours des 10 prochaines années qui soient assez bons pour financer une retraite raisonnable? », a dit M. Hahn, ajoutant qu’il faut proportionnellement plus de capitaux de nos jours qu’il y a plusieurs années. « Mais du côté positif, j’aurais ce conseil à vous donner : Soyez actif et positif comme investisseur. »

Mme Oster de BlackRock a indiqué qu’elle avait quatre préoccupations : une croissance mondiale décevante, une décision prise prématurément par le Réserve fédérale d’augmenter les taux d’intérêt, des retards dans la création d’une union bancaire européenne nécessaire pour améliorer les conditions de prêt, et les soi-disant « impondérables inconnus », comme une guerre au Moyen-Orient.

Pour sa part, M. Porter de BMO a admis que la politique monétaire et fiscale n’avait plus beaucoup de marge de manoeuvre pour aider l’économie mondiale. « Mais j’en reviens au point le plus positif : les États-Unis sont en plein redressement. C’est ce qu’il y a de meilleur pour l’économie mondiale. »