La rumeur d’une récession prochaine suscite l’angoisse depuis qu’un indicateur étroitement surveillé a émis un signal d’avertissement, mais des experts soulignent qu’il pourrait s’agir de l’étincelle nécessaire pour convaincre certains investisseurs de surveiller plus activement leurs portefeuilles.
Colin Cieszynski, stratège en chef du marché pour la firme SIA Wealth Management, croit que les investisseurs doivent être prêts, et non complaisants ou passifs, à l’approche d’un ralentissement économique.
« C’est un marché un peu plus actif pour les investisseurs en ce moment. C’est le genre de période où il faut faire attention, et il n’est pas nécessairement bon de simplement s’asseoir et de prétendre que tout va bien. »
Les inquiétudes au sujet de la récession ont fait surface ces dernières semaines dans la foulée d’inversions de la courbe des rendements des obligations américaines, un indicateur fréquent de ralentissement économique.
Une inversion se produit lorsque le taux des obligations à court terme dépasse celui des obligations à plus long terme, ce qui signale que les investisseurs sont préoccupés par les perspectives de croissance économique à long terme. Au cours des dernières semaines, les taux des obligations de cinq ans et de trente ans se sont inversés pour la première fois depuis 2006, puis la situation s’est représentée avec les obligations de deux ans et de dix ans.
Une inversion persistante d’au moins un mois pour les obligations de deux ans et de dix ans, en particulier, a historiquement été un signe avant-coureur de récession. Cet écart a un taux de réussite de 70 % à 85 % dans la prévision de récessions depuis 1980, selon Michael Gregory, économiste en chef adjoint de la Banque de Montréal.
La courbe des rendements s’est brièvement inversée à quelques reprises il y a deux semaines, pour la première fois depuis 2019. Elle était toujours inversée au début de la semaine dernière, mais a depuis renversé sa trajectoire. Mardi après-midi, le taux de deux ans était de 2,385 % et celui de 10 ans de 2,716 %.
De son côté, la courbe des rendements obligataires canadienne ne s’est pas inversée.
Récession moins probable au Canada
L’inversion des taux des obligations de deux ans et dix ans n’est qu’une mesure parmi d’autres. Une mesure encore plus précise pour annoncer une récession est une inversion des taux des obligations de trois mois et de 10 ans, souligne Jules Boudreau, économiste chez Placements Mackenzie.
« Et ils sont très loin d’une inversion. Donc en ne regardant que (l’écart entre le taux de) dix ans et celui de deux ans, qui s’est inversé pendant 15 secondes, nous sélectionnons en quelque sorte l’indicateur que nous voulons. Donc d’ici à ce que nous voyions (l’écart entre trois mois et dix ans) s’inverser également, il y a probablement une certaine marge pour le doute. »
Si l’inversion a pu être un précurseur fiable de récession dans le passé, les politiques d’assouplissement quantitatif de la banque centrale pour faire face aux retombées économiques de la pandémie de COVID-19 peuvent avoir réduit les rendements en dessous de ce qu’ils seraient traditionnellement, dit-il.
Jules Boudreau note que l’économie est encore assez solide et qu’elle ne semble pas près d’un environnement de récession.
« Nous inciterions à surpondérer les actions ou à conserver un investissement dans les actions simplement parce que nous estimons que l’économie est encore assez solide, même si nous voyons certaines parties des signaux du marché annoncer une éventuelle récession. »
Selon lui, la probabilité d’une récession est un peu plus élevée aux États-Unis qu’au Canada.
« Je dirais que la probabilité d’une récession reste bien en deçà de 20 % au cours des prochaines années, du moins au Canada », estime-t-il, notant que le Canada dispose d’une protection avec une forte croissance du PIB nominal et les prix très élevés des produits de base.
« En gros, je veux dire qu’il est difficile de prévoir une récession lorsque l’économie est si forte. »
La seule façon pour lui de voir poindre une possible récession est que les banques centrales augmentent leurs taux au-dessus du taux neutre et au-delà de 2,5 %, ce qui ne devrait probablement pas se produire avant 2023.
« Nous sommes donc définitivement en sécurité, au moins pour la prochaine année », dit-il.
Rééquilibrage actif de portefeuille
Craig Fehr, stratège en investissement chez Edward Jones, est d’accord et juge qu’il est trop tôt pour réagir de manière excessive à une courbe légèrement inversée.
« Nous avons vu la courbe des taux s’aplatir de façon spectaculaire à plusieurs reprises dans le passé, sans que cela produise de récession. »
Mais pour ceux qui s’inquiètent de la perspective d’une récession, l’occasion est bonne pour procéder à un rééquilibrage proactif du portefeuille, car les variations importantes des taux obligataires ont probablement fait dévier la proportion actions-revenu fixe de nombreux investisseurs pour leurs objectifs à long terme.
Ainsi, dit-il, la première chose à faire pour les investisseurs est de s’assurer qu’ils disposent d’un revenu fixe suffisant pour les aider à affronter la forte volatilité attendue du marché pour le reste de l’année.
« Et puis, il s’agit simplement d’ajouter une diversification appropriée pour obtenir cet équilibre de croissance et une certaine protection contre l’inflation, que les actions, en particulier les actions de haute qualité, peuvent fournir au fil du temps », explique-t-il.
« La clé est de s’assurer qu’en tant qu’investisseur, on prend des décisions mieux alignées sur son calendrier, par opposition au calendrier de la courbe des taux, qui a tendance à être un signal à plus court terme. »
Et il est important d’éviter d’utiliser des indicateurs sélectifs comme excuse pour réduire son exposition au marché, souligne Jules Boudreau.
La diversification devrait être la règle numéro un, dit-il, mais ensuite, il faut concentrer l’exposition sur les marchés boursiers dont les rendements attendus sont plus élevés, comme le marché canadien, moins sensible aux hausses des taux d’intérêt.
« Donc, je dirais de rester investi, mais peut-être en favorisant un peu plus les marchés dont le rendement attendu est plus élevé, comme le marché canadien et le TSX. »