Question : Parlons donc du panorama économique mondial, en toile de fond de notre évaluation de l’économie européenne et du marché européen des actions. Ce dernier a été en pleine effervescence cette dernière année.

Chuk Wong (CW), vice-président et gestionnaire de portefeuille à GCIC : Je vois un élargissement de la reprise de l’économie mondiale, avec en tête les États-Unis, suivis par l’Europe qui, au deuxième trimestre de 2013, est sortie d’une récession prolongée. Le Japon montre les signes d’un revirement et la Chine, on peut le penser, a atteint le fond. Si cet élan continue, il y a une chance que se produira une croissance synchronisée des grandes économies en 2014. La dernière fois que nous avons connu cette situation était en 2006. La croissance mondiale projetée devrait être inférieure à la normale, ce qui est bien pour les actions. Nous parlons d’une croissance économique modeste, d’intérêts encore bas et d’une faible inflation.

Q : Quelles sont les perspectives du marché des actions mondiales?

CW : Il y a des événements à court terme qui pourraient créer davantage de volatilité sur les marchés financiers mondiaux. Un exemple est celui du ralentissement du programme d’allègement quantitatif de la Réserve fédérale américaine. De plus, les négociations en cours aux États-Unis sur le plafond de la dette fédérale pourraient faire planer une incertitude. Les élections qui s’annoncent en Allemagne sont un autre point d’interrogation. Et puis il y a la guerre civile en Syrie.

Paul Musson (PMu) vice-président principal et chef de l’équipe Ivy chez Placements Mackenzie : Les chiffres sur l’emploi publiés aux États-Unis le vendredi 6 août ont été décevants, faisant naître chez certains l’espoir que la Fed repousserait son plan de ralentissement et qu’un intérêt zéro continuerait à être la règle. C’est quand même un peu pervers : normalement, quand on investit, on espère que l’économie se renforcera. Les bilans des personnes, des sociétés et des nations sont structurés en fonction d’une conjoncture de faibles taux d’intérêt. Si cela change rapidement, il y aura des problèmes. Il y a beaucoup d’endettement. Il faut beaucoup de désendettement et de restructuration. Je suis d’accord avec Chuk : à long terme, il y aura une croissance économique mondiale plus modérée. Pour les sociétés de haute qualité et aux bilans solides dans lesquelles nous investissons, c’est un environnement économique fantastique. Mais cela dépend de l’évaluation que fait le marché boursier de ces entreprises. Les marchés ont été forts, aux États-Unis comme en Europe.

Q : Paul, vous aviez quelque 22 % en liquidités et quasi-espèces dans la Catégorie Mackenzie Ivy européen à la fin de juillet.

PMu : Il est difficile de trouver les sociétés de qualité dans lesquelles nous investissons se négocier à des évaluations raisonnables.

CW : Les marchés boursiers aux États-Unis atteignent de nouveaux sommets. Bien que le marché boursier européen ait connu une série d’excellentes performances, l’Allemagne est le seul gros marché européen à avoir atteint des sommets ces derniers mois. Le Royaume-Uni est de 6 % ou 7 % au-dessous de son record.

Peter Moeschler (PMo). vice-président directeur, Placements Franklin Templeton : Nos portefeuilles sont positionnés pour une relance de l’économie mondiale, en mettant l’accent sur les actions les plus cycliques. Nous avons une vision positive. Depuis que ce panel s’est réuni en octobre dernier, les choses ont arrêté d’empirer. L’euro a survécu. Il reste un soutien important de la devise par le pouvoir politique et les banques centrales.

Les actions européennes se sont bien comportées cette dernière année, bien que les bénéfices des sociétés soient encore bien au-dessous de leur niveau de 2007. Les marchés boursiers européens se sont tous redressés en perspective d’une amélioration de la situation. Les économies européennes se renforcent lentement, mais il n’y a pas de croissance débridée. Ce n’est pas nécessairement afin de gagner de l’argent sur certaines de ces sociétés européennes. Nous sommes des gestionnaires axés sur la valeur et nous considérons qu’il y a encore des aubaines en Europe, mais il y a des occasions partout.

PMu : Je suis prudent en ce qui concerne l’Europe. On espère beaucoup que les choses vont continuer à progresser.

PMo : On est encore très sceptique sur l’Europe. Pour nous, le scepticisme est là où on peut gagner de l’argent.

CW : Pour ce qui est de la dette des nations, j’ai l’impression que le pire est passé. Il y a trois problèmes structuraux que l’Europe doit régler : le déficit financier, l’instabilité du système bancaire et enfin, le manque de compétitivité économique de certaines nations européennes.

Il y a des signes d’amélioration : les économies périphériques comme celles de la Grèce, de l’Espagne, de l’Irlande, du Portugal et de l’Italie ont franchi un terrain considérable dans la réduction de leur déficit financier. La plupart des grandes banques européennes ont reconstitué leur capital. À cause de la faiblesse de certaines économies européennes, nous avons vu de nombreuses coupures de salaires et une amélioration de la compétitivité.

PMo : Les services financiers sont la plus grosse pondération sectorielle dans nos fonds des marchés développés de l’EAEO. La plupart de cette pondération sectorielle est en Europe, répartie parmi toute une série de banques et de compagnies d’assurance. À propos des économies européennes, je ne suis pas sûr que les réformes intervenues dans certains pays soient allées assez loin. On a besoin de faciliter la tâche de ceux qui veulent trouver du travail et de ceux qui veulent démarrer une entreprise. La bureaucratie réglementaire doit être réduite. Il faut aussi encourager les banques à prêter de nouveau aux PME. Les banques sont beaucoup trop prudentes.

Les dix prochaines années, des pays comme l’Espagne et le Portugal, qui ont introduit des mesures draconiennes, verront probablement une grosse amélioration de leur productivité. Ils ont une main-d’oeuvre à bas prix et attireront probablement des investissements étrangers qui profiteront de cette situation. Il est facile, par exemple, pour une société allemande d’incorporer à sa chaîne d’approvisionnement une usine de fabrication située disons au Portugal ou en Espagne.

CW : L’Irlande aussi revient de loin. Comme pour l’Espagne, le Portugal et la Grèce, le gouvernement irlandais a serré les dents et mis en oeuvre des mesures draconiennes. Il y a eu de grosses coupures de salaires en Irlande. Ceci, plus l’abondante source de travailleurs qualifiés dans ce pays, y ont fait revenir des multinationales qui y ont installé des bureaux régionaux.

PMu : Il y a un débat permanent entre les partisans de l’austérité pour résoudre les problèmes de l’Europe, et les partisans de dépenses encore plus grandes. L’austérité n’est pas pour stimuler la croissance : il s’agit de rectifier une situation intenable, où le pays vit au-dessus de ses moyens et la dette s’accumule. Il faut arrêter ça. L’austérité est une pilule difficile à avaler à court et à moyen termes. On ne peut pas s’attendre à une croissance pendant cette période. Il y a beaucoup de restructurations en cours en Europe. Cela suffira-t-il? Ces mesures sont difficiles à prendre au niveau politique et le processus est lent. Il faut changer les mentalités.

PMo : La restructuration en cours en Europe est-elle suffisante? On ne le saura probablement que dans plusieurs dizaines d’années. La plupart des pays qui ont des problèmes financiers ont pris d’importantes mesures pour réduire leurs dépenses. Dans certains cas, ils n’ont pas eu le choix. La confiance du monde des affaires en Europe est en train de reprendre et les entreprises investissent un peu plus, et cela tend à créer des emplois. De plus, la demande du consommateur dans des pays comme le Royaume-Uni et l’Allemagne reprend elle aussi.

Cet investissement commercial incrémentiel et les dépenses de consommation finiront par stimuler l’Europe. Mais il faudra des années pour que les taux de chômage diminuent.

Ce texte est le premier d’une série de trois