Dans un décret signé le 3 février, le président Trump a donné 100 jours au secrétaire du Trésor, Steven Mnuchin, pour lui présenter des recommandations afin de modifier la loi Dodd-Frank.
Le Congrès américain avait adopté cette loi en 2010, dans la foulée de la pire crise financière depuis le krach boursier de 1929 et de la Dépression des années 1930.
Aux yeux de Donald Trump, la réglementation financière mise en place par l’administration Obama est un «désastre». Le président affirme qu’elle complique inutilement la vie aux consommateurs et aux entreprises, en plus de miner la croissance économique des États-Unis.
L’administration Trump a essentiellement deux objectifs, souligne le quotidien Le Monde.
Premièrement, elle souhaite s’attaquer à la règle dite «Volker», du nom de l’ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Paul Volker.
Cette règle interdit notamment aux banques de spéculer pour leur propre compte. Elle restreint aussi grandement la prise de participation dans les fonds spéculatifs ou des fonds de private equity, qui investissent dans des sociétés non inscrites en Bourse.
Deuxièmement, l’administration Trump veut affaiblir les pouvoirs du Consumer Financial Protection Bureau (CFPB), qui réglemente les prêts hypothécaires et les cartes de crédit. Avant la crise financière de 2008, ces deux produits financiers avaient fait l’objet de nombreux abus. Les républicains affirment toutefois que le CFPB restreint de manière abusive l’accès au crédit pour les consommateurs américains.
Toute réglementation a des avantages comme des inconvénients, tout comme la déréglementation. Car, si des allégements réglementaires peuvent faciliter la vie des entreprises -en l’occurrence, les institutions financières- et des particuliers, ils peuvent aussi affaiblir le système financier et provoquer des crises financières, disent les spécialistes.
C’est LA leçon à tirer des 100 dernières années de l’histoire financière.
Un petit retour en arrière s’impose donc afin de mettre les choses en perspective et mieux comprendre les risques aujourd’hui.
Deux économistes français, Esther Jeffers et Jean-Paul Pollin, respectivement de l’Université Paris 8 et de l’Université d’Orléans, proposent une synthèse très pertinente dans Déréglementation bancaire des années 1980 et crise financière, un article publié dans la Revue d’économie financière.
Le mouvement de déréglementation des années 1970
Ils rappellent d’abord qu’un «profond mouvement de déréglementation» a débuté à la fin des années 1970 aux États-Unis et au Royaume-Uni. Chez nos voisins, le Congrès américain a été particulièrement actif.
Ainsi, de 1981 à 1991, sous les administrations républicaines de Ronald Reagan et de George Bush (père), il a adopté cinq lois importantes pour déréglementer le secteur bancaire.
Dans les années qui ont suivi, le Congrès a aussi adopté des lois pour en finir avec le fameux Glass-Steagall Act, mise en place en 1933 en pleine coeur de la Dépression.
Cette législation avait créé le Federal Deposit Insurance Corporation (le FDIC) et imposé la séparation des activités des banques commerciales et des courtiers en valeurs mobilières. La même année, le Congrès avait aussi interdit aux compagnies d’assurances et aux industriels d’être actionnaires des banques avec le Bank Holding Company Act.
C’est-à-dire à quel point le Krach boursier de 1929 et la Dépression avaient frappé les esprits: on voulait à tout restaurer la stabilité financière.
Instabilité et innovation financières
Or, ce processus de déréglementation et d’ouverture des marchés des dernières décennies a graduellement amené plus d’instabilité dans le système, selon Esther Jeffers et Jean-Paul Pollin.
Par exemple, l’innovation financière a fait appel à de nouvelles techniques de financement comme la titrisation, qui consiste à transformer en titres négociables et liquides des créances traditionnellement illiquides et gardées jusqu’à l’échéance par leurs détenteurs.
Les banques ont aussi eu de plus en plus tendance à couvrir leur risque à l’aide de produits dérivés qui se négocient de gré à gré, comme les fameux credit default swaps (CDS).
Enfin, elles ont aussi créé des véhicules hors bilan tels que les conduits et les special purpose vehicules, qui permettent d’augmenter le rendement d’un investissement à long terme en le faisant financer à court terme sur les marchés financiers.
Le problème, c’est que ces structures n’ont pas été suffisamment encadrées, affirment Esther Jeffers et Jean-Paul Pollin.
«Or, ces structures, qui ont recours à un important effet levier et parviennent à engager jusqu’à quarante voire cinquante fois leur capital, ne sont pas soumises à des règles prudentielles, ce qui permet largement de les soustraire à toute tutelle», écrivent-ils.
Selon eux, la crise financière de 2008 «a clairement montré» les défaillances de la réglementation pour encadrer la titrisation, les véhicules hors bilan, la complexité des produits dérivés ou l’interconnexion des banques et des institutions financières non bancaires.
«Trente années de déréglementation ont abouti à la pire crise des quatre dernières années», insistent les deux économistes.
Mais tous les analystes ne sont pas de cet avis.
Par exemple, John A. Allison, l’ancien président du CATO Institute, un think tank conservateur, affirme que la crise de 2008 a été avant tout causée par des politiques gouvernementales et une réglementation abusive -et non pas une déréglementation.
«La cause réelle de la crise financière a été une combinaison d’erreurs de la Réserve fédérale et de la politique immobilière du gouvernement, laquelle a été implantée par Freddie Mac et Fannie Mae. Aucune de ces deux agences n’aurait existé dans un marché libre», écrit-il dans une tribune publiée le magazine Forbes.
Cela dit, ce type de point de vue est minoritaire. Il y a un consensus fort dans le monde et dans la littérature à l’effet que la déréglementation bancaire a augmenté le risque systémique aux États-Unis.
C’est pourquoi la volonté de l’administration de Trump d’affaiblir la loi Dodd-Frank -la réponse législative à la crise financière de 2008- inquiète les spécialistes.
Car elle accroît le risque que se produise une autre crise financière.