En décembre 2022, Vanguard provoqua l’effet d’un coup de canon dans les milieux de l’investissement ESG (Environnement – Société – Gouvernance) en quittant la Net-Zero Asset Managers initiative (NZAM).
NZAM est un regroupement d’environ 220 firmes financières internationales qui gèrent un actif collectif de 57 billions $US et souscrivent à l’objectif de ramener à zéro les émissions de gaz à effet de serre avant 2050 de façon à limiter la hausse des températures planétaires à 1,5o C. Le regroupement fait partie d’un ensemble plus large encore, le Glasgow Financial Alliance for Net-Zero, affilié aux Nations-Unies, qui regroupe pour sa part 150 B$ d’actifs collectifs, dont un autre sous-groupe, par exemple, rassemble les grands assureurs de la planète : Net-Zero Insurance Alliance.
Vanguard, le plus grand gestionnaire de portefeuille au monde avec Blackrock, et dont les actifs s’élèvent à 8 billions $US, avait joint NZAM en 2021. Dès 2022, il s’en est retiré, expliquant dans son communiqué de presse qu’il avait « un unique objectif de maximiser les rendements à long terme (de ses clients) et de donner les meilleurs chances de succès à leurs investissements en prévision de leur retraite, de l’éducation de leur enfant, de l’achat d’une maison… »
ESG sans valeur ajoutée
Dans une entrevue accordée au Financial Times, Tim Buckley, chef de la direction de Vanguard, a remis en question le bien-fondé d’investir en ESG, disant « que nous ne pouvons pas affirmer que l’investissement ESG donne de meilleurs rendements qu’une approche de marché large. Notre recherche indique que l’investissement ESG n’offre aucun avantage face à l’investissement indiciel. »
Un article du Wall Street Journal salue le geste de Tim Buckley. « Moins d’un gestionnaire de portefeuille actif sur sept surpasse le marché général sur une période de cinq ans, écrit le WSJ. Au cours des cinq dernières années, aucun n’a compté exclusivement sur une méthode d’investissement net-zéro. (…) L’an dernier, les titres technologiques ont chuté de plus de 30% tandis que le secteur de l’énergie, incluant l’industrie du pétrole et du gaz, a grimpé de près de 60%. Pourtant, à cause de leur engagement net-zéro, les fonds ESG continuent de surpondérer les premiers et de sous-pondérer le second. »
Méprise sur le devoir fiduciaire
L’article du WSJ relie la décision de Vanguard à son « devoir fiduciaire » de répondre aux besoins de ses clients. Avoir voulu soutenir une orientation ESG conforme aux buts de NZAM aurait contrevenu à ce devoir.
C’est une méprise, juge Michel Mailloux, éthicien et président du Collège des professions financières. Le devoir fiduciaire impose de « prioriser l’intérêt du client, d’agir avec bonne foi, de fournir des informations complètes et justes, de ne pas tromper le client et de lui exposer tous les conflits d’intérêt. Si le client est bien informé de tout ça, il n’y a pas de contradiction. Si Tim Buckley avait obligé Vanguard à n’avoir que des fonds ESG d’ici 2050, cela aurait pu mener à des rendements dépressifs, mais ce n’est nullement en contradiction avec le devoir fiduciaire. »
Dans un article paru dans le Harvard Business Review, Kenneth Pucker, professeur à l’Université Tufts, dit du geste de Vanguard qu’il s’agit d’un retour à la raison, « d’une décision cohérente et honnête, qui tranche avec les décisions de plusieurs gestionnaires d’actifs qui demeurent dans la coalition NZAM alors qu’ils détiennent encore des titres d’énergie fossile et survendent les produits ESG. »
Cette réorientation tient en grande partie à la structure de Vanguard, qui est propriété de ses 30 millions d’investisseurs, des investisseurs individuels plutôt qu’institutionnels. Elle participe à un assainissement du secteur ESG. Cet assainissement entraînera la formation de véritables fonds ESG qui se concentrent sur des impact sociaux et environnementaux tandis que les fonds qui promettent confusément à la fois des rendements supérieurs et des impacts ESG tendront à disparaître. La démission du NZAM par Vanguard, écrit Kenneth Pucker, « reconnaît les limites d’un ESG gagnant-gagnant et représente une clarification dans le parcours urgent vers la décarbonisation. »
Quel devoir fiduciaire?
Par ailleurs, le geste de Vanguard suscite des interrogations à l’endroit de fonds d’investissement public, notamment la Caisse de dépôt et placement du Québec qui affiche un engagement ESG très clair. « En tant que gestionnaire de fonds publics, bâtir un monde plus équitable et plus durable n’est pas un choix. C’est une responsabilité en adéquation avec notre devoir fiduciaire. Nous avons un devoir fiduciaire envers nos déposants… » écrit Charles Emond, président et chef de la direction de la Caisse dans son mot d’introduction du Rapport d’investissement durable 2022.
Pour l’année 2022, le rapport annuel de CDPQ rend compte d’un rendement négatif de -5,6%. Or, une consultation du journal Chief Investment Officer nous apprend que les programmes de pension public, tant aux États-Unis qu’au Canada, ont donné en 2022 un rendement moyen, net des contributions de leurs déposants, d’environ 7,5%.
La Caisse fait une distinction claire entre ses « clients » et les déposants, ses principaux clients étant, entre autres, Finances Québec, Retraite Québec, le RREGOP et la Commission de la construction du Québec. Nous avons appelé Retraite Québec pour qu’il éclaircisse ce « devoir fiduciaire » réclamé par la CDPQ dans son engagement ESG, mais sans qu’il y ait eu de consultation auprès des « déposants ». Retraite Québec nous a référé à la Caisse qui, elle, n’a pas voulu nous accorder une entrevue et nous a plutôt référé vers les deux rapports cités plus haut.
Le retrait du NZAM par Vanguard suscite quelques questions à l’endroit de la Caisse, tout comme de plusieurs autres fonds publics de pension (par exemple le Régime de pension du Canada) qui ont unilatéralement pris un virage ESG sans consulter leurs déposants. Quel est leur premier devoir fiduciaire? Créer « un monde plus durable et équitable » pour leurs déposants ? Ou assurer à ces mêmes déposants le meilleur rendement possible de leurs épargnes ?