« Il est certain que le modèle d’affaire des FCP vit un test de résistance (stress test) et que la croissance des ventes enregistrées par les FNB a définitivement un impact sur cette situation, en raison de sa structure de frais », avance Clément Gignac, vice-président principal et économiste en chef, Industrielle Alliance, Gestion de placements inc.

« Le FNB a en quelque sorte réinventé le modèle lié à la structure de prix (pricing) et il s’agit sans doute de la plus grande difficulté à laquelle les joueurs indépendants et institutionnels traditionnels sont confrontés », analyse pour sa part Jean Morissette, consultant pour des firmes de gestion de patrimoine, ancien président de Services financiers Partenaires Cartier pour le Québec, avant son absorption par Dundee en 2004, et ex-associé fondateur de Talvest.

Selon lui, lorsque les FNB se retrouvent dans une relative concurrence, par exemple dans le cas de produits indiciels S&P ou TSX 60, un FCP diversifié canadien aura beaucoup de difficulté à s’imposer en raison de l’écart dans les frais.

Cette pression sur les prix est accentuée par un contexte où la divulgation des commissions s’impose et que les conseillers choisissent massivement la rémunération à honoraires.

« Mais l’industrie commence à se réveiller », lance Jean Morissette.

La croissance des ventes dont bénéficient les FNB, n’a pas nécessairement accentué la pression sur l’industrie des FCP, croit quant à lui Claude Paquin, président du conseil des gouverneurs du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ).

« Cette pression était déjà omniprésente en raison notamment de l’accentuation réglementaire. Je ne crois pas que l’arrivée des FNB ait nécessairement accéléré ou amplifiée ce débat, ou qu’elle ait mis une pression additionnelle. Je pense que [la question entourant la pression sur les coûts des FCP], fait parti d’un débat qui est plus large que la montée en popularité des FNB », ajoute Claude Paquin

Jean Morissette estime par ailleurs que la croissance des FNB a contribué à l’essor des conseillers-robots (robo-advisors). « Un gestionnaire, tu ne sais pas ce qu’il va faire, alors qu’il est facile d’avoir des algorithmes dans le cas d’un FNB indexé, car l’algorithme va ‘’anticiper » le marcher en étant un peu plus agressif ou défensif. »

Selon Jean Morissette, on assiste assurément à un déplacement des ventes de FCP vers ceux de FNB. « Le marché total n’a pas grossi anormalement, les ventes enregistrées par les FNB, ce sont des ventes qui ne sont pas allées dans les FCP ou dans les actions directes ».

Pour les six premiers mois de l’année 2015, les actifs des FNB au Canada ont augmenté de plus de 10%, passant de 76 à 85 milliards de dollars (G$), selon l’Association canadienne des FNB (ACFNB). Un rapport sur les perspectives des FNB en 2015 publié par BMO Gestion mondiale d’actifs prévoit pour sa part que le secteur canadien des FNB devrait atteindre les 200 G$ au cours des cinq prochaines années.

Jean Morissette estime que le transfert des ventes de FCP vers les FNB devrait bientôt se normaliser et faire une plus grande place aux FNB à gestion active, soit une sorte de produit intermédiaire entre les FNB indiciels et les fonds à gestion active.

« Nous allons bientôt avoir une masse critique suffisante de FNB sur les marchés pour voir dans quels secteurs ils performent réellement, dit-il. Au début, c’était le bouton à quatre trous : ça va coûter moins cher, c’est instantané et c’est liquide, sauf qu’on s’aperçoit que dans certaines catégories, comme les revenus fixes et les dividendes, la performance des FNB n’est pas stellaire comparée à de bons produits en gestion active. »

Une industrie en période d’intégration

Jean Morissette croit également que l’industrie des FCP est entrée dans une phase avancée d’intégration.

« Il y a tellement de fonds pareils dans chaque catégorie, il est clair qu’au cours des cinq à dix prochaines années, nous allons assister à des fusions de fonds sans fin, dit-il. Il y a une intégration qui se fait par les plus gros et il n’y a aucune compagnie, banque ou gros assureurs, qui veulent offrir dix fonds diversifiés canadiens. Nous allons donc assister à un important ménage et il est certain que ça va toucher les grandes catégories traditionnelles. »

Selon Clément Gignac, les conditions du marché dans le secteur des l’industrie des FCP vont nécessairement mener à une consolidation. « Les firmes dont le modèle d’affaires repose strictement sur le rendement vont devoir se questionner et se repositionner. »

Selon lui, les firmes devront développer davantage l’accompagnement et l’aspect-conseil.

« Les solutions gérées sont de plus en plus populaire, du moins chez nous », avance Clément Gignac.

Jean Morissette abonde dans le même sens : « L’intégration du secteur des FCP, couplée à la pression sur les prix et sur les marges que nous observons, c’est majeur, car ça laisse peu de choix aux plus petits joueurs : ou bien tu innoves, ou bien tu n’es pas là ».

Selon lui, il s’agit d’une évolution qui amène plusieurs gestionnaires de portefeuille vers l’ingénierie de produits et la recherche de mandats de sous-gestionnaire institutionnel.

« La part des fonds institutionnels et des régimes de pension traditionnels, qui était le pain et le beurre des gestionnaires de portefeuille, a fondu au cours des années, alors que le nombre de nouveau fonds de pension se fait plutôt rare, souligne-t-il. Comme l’innovation vient rarement des grands intégrateurs, il est clair qu’il va toujours y avoir une place pour les gestionnaires capables d’apporter une différenciation à leurs produits. »

Selon Jean Morissette, lorsqu’un fonds de pension ou un promoteur lance aujourd’hui un produit, plutôt que d’en confier la gestion à un gestionnaire unique, il va partager le mandat entre trois gestionnaires apportant chacun des caractéristiques différentes.

Il s’agit d’une façon de faire qui crée des ouvertures pour plusieurs gestionnaires, estime-t-il, et qui permet à ceux-ci d’utiliser pleinement l’expertise qu’ils ont développée pour leurs propres produits, et même de les exposer davantage.