Si le transfert a lieu en faveur d’une personne avec lien de dépendance, ce qui inclut toutes les personnes liées, même si des règles particulières s’appliquent, il s’agit tout de même d’une disposition. Lorsque ce transfert est effectué au bénéfice du conjoint ou d’un enfant assuré, le PD est égal au CBR, ne générant ainsi aucun revenu imposable.
Ce qui nous intéresse davantage, cependant, c’est le transfert entre actionnaires et sociétés. Les nouvelles règles, depuis le budget fédéral de 2016, font que le PD réputé correspond à la valeur la plus élevée parmi ces trois choses : le CBR, la valeur de rachat (VR) et le montant reçu par le «vendeur».
Cela signifie que même si le transfert ne résulte en aucune somme d’argent versée en contrepartie, il peut y avoir des conséquences fiscales. Lorsqu’un transfert «enrichit» une société par actions, autrement dit, lorsqu’un transfert est fait d’un actionnaire vers une société qu’il possède, il se peut que les conséquences soient plutôt limitées. Cependant, en sens inverse, elles peuvent être carrément dramatiques. Voyons pourquoi.
2e drapeau jaune : la JVM d’une police peut poser problème
Prenons d’abord un exemple où un actionnaire transfère sa police à sa société. Jean-Paul, actionnaire unique d’une société par actions, transfère sa police au moment où celle-ci n’a aucune VR et son CBR est de 10 000 $. Jean-Paul ne veut pas nécessairement sortir de fonds de sa société. Le PD réputé de sa police sera donc de 10 000 $, soit le maximum des trois éléments déjà indiqués.
Les incidences fiscales pour Jean-Paul sont nulles, car le PD est égal au CBR. Mais Jean-Paul fait une erreur en agissant de la sorte… Pourquoi ?
Parce que le CBR de l’acquéreur, sa société, sera égal au PD, soit 10 000 $. Vous voyez ? Si Jean-Paul décédait le lendemain du transfert, un montant de 10 000 $ ne serait pas crédité au compte de dividendes en capital (CDC), car c’est le CBR de départ pour la société.
Jean-Paul aurait donc dû recevoir une contrepartie de sa société égale au CBR de la police. Il aurait ainsi sorti 10 000 $ sans impôt de sa société. S’il était décédé le lendemain du transfert, ces 10 000 $ auraient constitué un dividende imposable. En considérant les 10 000 $ sortis de la société sans impôt la veille du décès, c’est comme si le capital-décès était à 100 % non imposable.
Par conséquent, lors d’un transfert d’une police d’un actionnaire à une société, ce dernier a intérêt à recevoir une contrepartie égale au PD de la police.
Si le PD avait été égal à la VR du contrat, Jean-Paul aurait été imposé immédiatement sur la différence entre la VR et le CBR. Tant qu’à être imposé sur ce montant, aussi bien le sortir de la société. Sinon, il y a double imposition, car le CBR de l’acquéreur est toujours égal au PD du vendeur, la VR dans ce cas-ci.
La juste valeur marchande (JVM) de la police est-elle importante dans cette situation ? Non. Si l’actionnaire décidait de sortir une somme égale à la JVM de la police, il s’imposerait immédiatement sur l’excédent de la JVM sur le CBR, possiblement un montant important. Aucun intérêt… depuis le budget de 2016.
Même dans le cas où l’actionnaire en question est lui-même une société par actions, les conséquences fiscales sont identiques, car il s’agit d’un revenu régulier, imposé comme un revenu d’intérêt et non comme un dividende qui pourrait ne pas être imposable.
Prenons maintenant un autre exemple où un actionnaire veut récupérer sa police. Cette situation peut survenir dans quelques cas, le plus fréquent étant malheureusement (par manque de planification) celui où la police est détenue par une société dont les actions sont vendues. Dans ce cas, il est possible, pour ne pas dire probable, que l’acheteur ne veuille pas continuer à payer des primes (quoiqu’il pourrait y avoir matière à spéculation ici…). D’un autre côté, si l’actionnaire vendeur n’est plus assurable, il tiendra probablement à conserver sa police. Et c’est ici que les problèmes commencent…
Comme nous l’avons vu, un actionnaire a le droit d’«enrichir» sa société par actions, mais il n’a pas le droit de la dépouiller sans incidence fiscale. Or, une police d’assurance vie qui sort d’une société par actions est un dépouillement de cette dernière, et il y a deux incidences fiscales possibles dans cette situation.
La première est celle occasionnée par la disposition de la police. Nous l’avons déjà vu, s’il y a une valeur de rachat supérieure au CBR de la police, l’excédent est imposable comme un revenu de biens. Mais là n’est pas le principal problème.
Le deuxième impact est celui causé par l’appauvrissement de la société. Cet appauvrissement est égal à la JVM de la police. Et cette JVM doit être évaluée par un actuaire… on n’a pas d’autre choix. Si cette évaluation n’est pas «sérieuse», c’est-à-dire pas faite par un actuaire selon les normes établies, elle sera contestée par le fisc. Déjà, des honoraires de quelque 2 000 $ sont à prévoir… Et si l’actionnaire n’a pas une assurabilité régulière, ce peut être la catastrophe, car en plus des honoraires de quelques centaines de dollars d’un tarificateur qui dictera à l’actuaire comment influer négativement sur sa table de mortalité, la JVM peut tout simplement grimper en flèche.
Pourquoi est-ce le cas ? Parce que la définition de la JVM d’une police d’assurance vie est l’actualisation, pendant le reste de la vie prévue de l’assuré, de la différence entre les primes prévues au contrat et les primes qui seraient payables dans le marché avec une protection similaire. L’actuaire peut prendre un échantillon de quelques assureurs dans le marché et considérer que la prime disponible est la moyenne de celles demandées par ces assureurs. Même lorsque l’actionnaire n’est plus assurable ou qu’un produit identique n’est pas offert, il est possible, pour l’actuaire, de trouver une prime théorique qui serait payable. Or, plus la différence entre la réalité et le marché est grande, plus la JVM de la police est élevée.
Dans le cas d’une police d’assurance vie universelle, alors qu’un fonds de placement existe, il faut ajouter la valeur de ce dernier au calcul décrit précédemment.
Par conséquent, si aucun dividende n’est déclaré lors d’un tel transfert, un avantage conféré à l’actionnaire en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) s’appliquera. Cet avantage est un revenu régulier pour l’actionnaire.
On peut réduire les dégâts en déclarant un dividende (en nature) égal à la JVM de la police. Ça fait moins mal, mais ça peut coûter cher quand même. Imaginez une JVM de 400 000 $. Que ce soit un revenu régulier ou un dividende, la facture fiscale fait mal…
3e drapeau jaune : il faut assez de BNR pour verser un dividende
On pourrait se dire que si l’actionnaire récupérant la police est une société par actions, la déclaration d’un dividende fera qu’on évitera de payer de l’impôt. Vrai… sauf qu’encore faut-il qu’assez de bénéfices non répartis (BNR) aient été générés depuis l’émission des actions sur lesquelles le dividende sera déclaré. Ainsi, il est impossible de créer une nouvelle société et de transférer immédiatement une police d’assurance vie. Il faut attendre… Donc, il faut prévoir le coup longtemps à l’avance, surtout quand l’état de santé de l’assuré est défaillant.
Et je ne parle même pas ici du paragraphe 55(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui peut limiter le versement de dividendes. Dans ce cas, le dividende serait recatégorisé en gain en capital, ce qui limiterait les dégâts, mais pourrait quand même coûter cher à la société cessionnaire. Un gain en capital de 400 000 $ coûte tout de même 79 200 $ d’impôt après récupération de l’impôt en main remboursable au titre de dividendes (IMRTD).
Que faire ?
Avec tous ces drapeaux jaunes, que faire pour limiter les risques de catastrophe ?
Premièrement, il faut arrimer la détention avec les besoins. Un besoin temporaire peut être couvert par une police détenue dans une société opérante. Cependant, si la police est sujette à sortir parce qu’il est possible qu’un actionnaire veuille la convertir en police permanente, une détention personnelle ou, mieux, par une société de gestion est de mise.
Un besoin permanent ne devrait jamais être couvert par une police détenue par une société par actions qui risque d’être vendue. L’acheteur ne voudra vraisemblablement pas payer quoi que ce soit pour cette police, même si la valeur marchande peut être importante.
Deuxièmement, la valeur de rachat d’une police d’assurance vie contamine les actions admissibles de petites entreprises (AAPE), lesquelles donnent droit à l’exonération de gain en capital de 835 716 $ en 2017. Cela vient renforcer le fait de ne pas mettre de polices permanentes (dans ce cas-ci des polices «vie entière» ou universelles) dans une société opérante qui sera vendue.
Troisièmement, dans une société de gestion, il faut être conscient du fait qu’en période d’accumulation, si peu ou pas de dividendes sont payés à l’actionnaire, l’IMRTD est peu ou pas récupéré, ce qui fait grimper le taux d’imposition immédiat à 50,47 % en 2017. Dans ce cas, il n’y a donc peu ou pas d’avantage à faire payer une prime d’assurance vie par une société. Évidemment, si l’IMRTD est récupéré chaque année, cela baisse le taux d’impôt initial jusqu’à concurrence du solde de l’IMRTD, qui peut être de loin inférieur à la prime d’assurance vie. Ce taux «mélangé» peut tout de même être supérieur au taux personnel. La situation idéale est donc celle où une société opérante devient, avec le temps, une société de gestion.
Quatrièmement, il peut être ardu, dans certains cas, de déterminer le meilleur endroit pour détenir une police d’assurance vie. Plusieurs facteurs peuvent entrer en ligne de compte, dont la volonté d’équité par rapport à la famille. Si vous n’êtes pas très à l’aise avec tous les concepts, consultez un spécialiste. Il pourra avoir une vue d’ensemble de la situation, tant sur le plan financier que sur les plans fiscal et légal.