Plusieurs éléments entravent la création et la gestion de ces fiducies. Parmi ceux-ci, j’attire votre attention sur les suivants :
Les règles d’attribution. Les lois fiscales en contiennent plusieurs qui touchent les fiducies entre vifs. Leur but est d’empêcher l’accès à des avantages fiscaux qu’il n’aurait pas été possible d’obtenir normalement.
À titre d’exemple : je donne à ma conjointe la somme de 100 000 $, directement ou indirectement (par l’intermédiaire d’une fiducie), afin qu’elle l’investisse et qu’elle soit imposée sur les revenus de placements qui en proviennent alors que son taux d’imposition est inférieur au mien. Ce faisant, j’encours les conséquences suivantes : ma conjointe sera propriétaire de cette somme, mais les revenus de placement devront être ajoutés aux miens dans ma déclaration de revenus.
La règle des 21 ans. Les lois fiscales établissent que tous les 21 ans, une fiducie est réputée avoir disposé de ses biens à leur juste valeur marchande. À titre d’exemple, supposons qu’à l’occasion d’un gel successoral, de nouvelles actions ont été acquises par la fiducie pour une valeur nominale. Par la suite, la société a connu une grande expansion, et ces actions valent maintenant 10 000 000 $.
Au 21e anniversaire de la fiducie, si les actions sont toujours la propriété de la fiducie, celle-ci encourra une disposition réputée lui faisant réaliser un gain en capital de 10 000 000 $. Cela pourrait être catastrophique, puisqu’on a qu’un certificat d’actions entre les mains. Une valeur importante, mais pas de liquidités pour acquitter la facture fiscale.
Les gens bien entourés se feront conseiller de mettre fin à cette fiducie avant ce 21e anniversaire. Lorsque la fiducie est bien constituée, il est possible de transférer en franchise d’impôt la propriété fiduciaire à l’un ou l’autre des bénéficiaires selon les paramètres établis dans l’acte constitutif. Il est donc important de prévoir le coup et de ne pas se présenter chez son fiscaliste la veille de cet anniversaire. Une période de préparation est nécessaire, et une stratégie de sortie doit faire l’objet d’une réflexion.
Les dispositions de l’article 1294 du Code civil du Québec. Ces dispositions exigent que tout amendement à un acte de fiducie reçoive l’assentiment du tribunal. Dans un tel contexte, on a intérêt à bien faire les choses dès le départ.
Pour obtenir une modification, il faut démontrer notamment que la fiducie répond toujours aux attentes du constituant, mais que de nouvelles mesures permettraient de mieux respecter sa volonté. A priori, la jurisprudence est réticente à accorder de telles modifications. Le fardeau incombe à celui qui en fait la demande.
Problèmes avec des fiducies
Au cours des dernières années, les fiducies familiales ont subi une évolution constante alors que l’expérience, les faux pas du passé et la jurisprudence ont appris aux rédacteurs à raffiner leurs outils. Cependant, il nous arrive encore de rencontrer certaines fiducies qui peuvent poser problème.
Il existe toujours des fiducies dont seulement les enfants sont nommés bénéficiaires, sans que soit inclus l’auteur du gel. À titre d’exemple, disons que le gel a été fait alors que les actions valaient 2 000 000 $. Advenant la vente de la société à des tiers pour la somme de 12 000 000 $, l’auteur du gel (le parent entrepreneur) ne pourra récupérer que la valeur de ses actions, soit 2 000 000 $, et n’aura droit à aucune part de la plus-value des actions à la suite du gel.
En effet, la somme ne bénéficiera qu’à ses enfants. On pourrait anticiper une possible frustration du parent entrepreneur qui aura consacré sa vie à l’entreprise et qui n’obtiendrait qu’une fraction de sa valeur. Afin d’éviter une telle situation, on ajoute le nom de l’auteur du gel à la liste des bénéficiaires, ce qui, dans le contexte d’une fiducie discrétionnaire, permettra de rétablir un certain équilibre. Il serait même possible de renverser le gel et de tout lui réattribuer, le cas échéant.
Gare à la désignation du conjoint
La désignation du conjoint fait l’objet d’une attention particulière. Le taux de divorce étant ce qu’il est, on n’identifie plus le conjoint par son nom, mais plutôt par des descriptions telles que «Tout conjoint marié ou de fait présent ou futur dont l’identité sera constatée aux termes d’un acte distinct sous forme notariée ou devant témoins», document qui sera révocable, le cas échéant.
Généralement, l’auteur du gel sera aussi fiduciaire de la fiducie. Soulignons que l’article 1275 du Code civil du Québec exige la présence d’un cofiduciaire indépendant. Dans ce contexte, l’auteur du gel sera souvent identifié comme «fiduciaire principal» et conservera une certaine mainmise sur les décisions qui seront prises.
Par contre, advenant son décès, on voit parfois une cristallisation des droits consentis à l’un et l’autre des bénéficiaires. Par cette stratégie, on veut réduire la discrétion attribuée aux fiduciaires en assurant à des bénéficiaires donnés que leurs droits seront clairement énoncés dans cette éventualité.
Dans un contexte de relève d’entreprise, cette stratégie peut poser problème, particulièrement dans le cas où le candidat envisagé se retire de la course et qu’il est remplacé par un autre bénéficiaire moins avantagé par cet exercice.
Certaines mesures prises dans l’acte de fiducie pourraient entraîner des complications, alors que des circonstances dans la vie de l’un ou l’autre des bénéficiaires auraient dû mener à des choix différents.
C’est pourquoi il est prudent de prévoir la capacité d’élire l’un ou l’autre des bénéficiaires visés par l’acte de fiducie, et le cas échéant, de préciser leurs droits dans des documents externes à l’acte de fiducie. C’est ainsi que tel fiduciaire principal pourrait préciser les droits et les intérêts de chacun de ses bénéficiaires dans un écrit distinct ou même dans son testament. Le recours à cette méthode permet de pallier la rigidité entraînée par les dispositions du Code citées plus haut.
Enfin, j’ai constaté de graves erreurs dans quelques actes de fiducie : la plus difficile à régler a été celle où le constituant de l’acte de fiducie était à la fois bénéficiaire et fiduciaire. Une telle erreur entraîne l’application du paragraphe 75(2) de la Loi sur les impôts (une des règles d’attribution) et peut même compromettre le roulement d’actifs dans l’éventualité où l’on voudrait mettre fin à cette fiducie. Cela pourrait être catastrophique dans la mesure où les actifs fiduciaires ont pris beaucoup de valeur.
Ce qui précède n’est qu’un tour des principaux problèmes que j’ai rencontrés. Il y a bien sûr une foule de détails et de règles dont il faut tenir compte. Il est donc important d’être bien conseillé par un spécialiste dans l’élaboration d’un tel document juridique, afin d’être protégé contre les pièges que comporte la mise en place de ces fiducies.