C’est du moins le constat d’Alex Veilleux, copropriétaire de l’entreprise de développement de logiciels Vooban. Alors qu’une soumission d’assurance vie ou habitation peut prendre jusqu’à 30 minutes avec un conseiller, cette étape requiert moins d’une minute via certaines applications d’entreprises américaines illustre-t-il. « On n’a plus ce temps-là. Ces produits nécessaires n’ont vraisemblablement pas été revus avec la lentille du consommateur d’aujourd’hui », a-t-il dit en entrevue avec Finance et Investissement, en marge de la Semaine NumériQC à Québec, en avril dernier. À son avis, ceci explique en partie pourquoi les jeunes sont de moins en moins enclins à se prémunir d’une assurance vie.
Le stratège est convaincu que les assureurs devraient être capables de faire 90 % du travail avec les informations qu’ils ont à leur disposition, notamment par l’entremise d’Equifax, sans devoir parler au client. Ce dernier reconnaît toutefois que la complexité de certains produits peut nécessiter des informations supplémentaires, par exemple un test médical. Au-delà de certaines exigences, les algorithmes développés par l’apprentissage automatique (machine learning), par exemple, devraient aider les assureurs à bâtir des profils clients complets, estime Alex Veilleux.
Outils supplémentaires
Mais l’idée de transférer des responsabilités à des systèmes intelligents, en ayant recours à des approches telles que l’apprentissage automatique, ébranle encore la confiance de certains actuaires au sein des compagnies d’assurances. « Au-delà de l’investissement, ça leur fait peur », affirme le stratège.
Selon lui, cette perception négative relève d’une méconnaissance de l’intelligence artificielle. « L’IA n’est pas une fin en soi, mais une série d’outils de plus dans la boîte technologique », a-t-il fait valoir aux participants de sa conférence.
Si les assureurs traditionnels n’envisagent pas sérieusement de recourir à cette technologie, ils vont « s’écraser sous le poids des informations » en circulation et pourraient même disparaître, avertit Alex Veilleux. « Avec l’arrivée de la 5G, l’ouverture des public data sets et la forte multiplication des censors, ça va prendre de l’IA pour gérer tout ça », affirme-t-il avec conviction.
Meilleure analyse
Les assureurs traditionnels devraient cesser de pointer du doigt les « petits joueurs » de l’industrie qui innovent grâce à l’IA et se poser des questions. « Je crois que c’est là où les entreprises bloquent: entre automatiser à 100 % leur système versus utiliser les technologies pour au moins se donner des pistes de solution », analyse Alex Veilleux.
Ce dernier croit que le travail de l’agent de réclamation en assurance, par exemple, se voit renforcer grâce à l’IA, et plus précisément avec l’apprentissage profond (deep learning) qui permet de modéliser des données. Lorsqu’une fraude est soupçonnée, cette technologie peut lui envoyer un signal, illustre-t-il. L’agent peut donc continuer à faire son travail en usant « d’empathie », jusqu’à ce que le système détecte une anomalie dans le comportement d’un client.
En fait, l’apprentissage profond a déjà fait ses preuves pour détecter les sentiments avec l’analyse vocale ou encore la reconnaissance visuelle, souligne Alex Veilleux. Ce dernier cite en exemple une fraude qui a été détectée en trois secondes à l’aide du bot de gestion de sinistres de la startup américaine Lemonade. Cette entreprise new-yorkaise ne manque pas d’ambition; elle entend « incarner la compagnie d’assurance du 21e siècle », lit-on dans La Tribune. Dans ce contexte, le rôle des agents en assurance est appelé à évoluer et ceux-ci pourraient travailler davantage en amont plutôt que de régler des problèmes, suggère Alex Veilleux.
Par ailleurs, les entreprises du secteur de l’assurance gagneraient aussi à avoir recours au traitement automatique du langage naturel (natural language processing), qui leur permettrait d’offrir un service de base dans la langue maternelle de leurs clients, suggère l’entrepreneur. Le bilinguisme n’est plus suffisant pour répondre aux réalités de l’immigration au Québec, croit Alex Veilleux. Ce système qui est de plus en plus répandu – et déjà en marche du côté d’Amazon, par exemple – permettrait une meilleure compréhension des produits d’assurance, souvent complexes. Au Canada, Manuvie a pour sa part adoptée une technologie de compréhension du langage naturel et la biométrie vocale accentue la sécurité de ses centres d’appels dès 2015.
Selon l’International data corporation, 75 % des applications d’entreprise utiliseront l’IA d’ici 2021. Est-ce que cela entrainera des mises à pied massives au sein de ces compagnies? Pas nécessairement, croit Alex Veilleux. Toutefois, plusieurs emplois pourraient être abolis ou changeront de finalité. Les entreprises devront, plus que jamais, réfléchir à la façon d’optimiser le travail, autant dans les agglomérations urbaines qu’en région, où il y a pénurie de main d’oeuvre dans plusieurs secteurs. « Nous aurons du rattrapage à faire. L’idée est de créer une nouvelle économie et je crois que notre génération est assez résiliente pour ça », conclut-il.
Insurtech QC a assumé les coûts liés à la couverture de la conférence. Cet article a toutefois été rédigé sans aucune contribution ou surveillance de la part des organisateurs de l’événement.