Une femme d'affaires étudie les marchés financiers pour calculer les risques et les bénéfices possibles. L'argent de comptabilité d'économiste féminin avec des graphiques de statistiques pointant sur l'écran de l'ordinateur au bureau.
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La grande vague de l’investissement passif des 20 dernières années semble avoir été bonne pour les marchés financiers et les investisseurs. Continuera-t-elle à l’être ? Quelques recherches récentes prévoient que non.

Les évaluations de la taille des actifs totaux qu’accapare l’investissement passif varient considérablement. Il y a 20 ans, les fonds indiciels représentaient 2 % du marché, juge Marco Sammon, professeur adjoint de finance au Harvard Business School. Aujourd’hui, il évalue cette part à 33,5 % de toutes les actions en circulation aux États-Unis. Statista l’établit à 48 %.

Une recherche récente, qui a fait beaucoup parler d’elle, affirme qu’un des effets de l’investissement indiciel est de survolter les rendements des plus grandes firmes et d’accroître leur volatilité à la suite des afflux de capitaux dans leurs indices. « L’investissement passif infléchit le marché des actions vers la surévaluation », affirme Lu Zheng, professeure de finance à la Paul Merage School of Business de l’Université de Californie à Irvine et co-auteur de l’étude Passive Investing and the Rise of Mega-Firms.

Cette surévaluation s’explique en grande partie par les stratégies qui sous-tendent l’investissement passif. Parce qu’une stratégie indicielle suit généralement un indice pondéré en fonction de la capitalisation boursière, cela provoque l’injection de plus d’argent dans des actions à grande capitalisation. En conséquence, les plus grandes entreprises de l’économie reçoivent davantage d’apports de capitaux, ce qui entraîne une augmentation de leur prix. Si une grande entreprise était surévaluée, les créations nettes provenant des fonds passifs exacerberaient la surévaluation. Les actions désormais surévaluées sont plus risquées pour les investisseurs actifs qui, autrement, compenseraient l’effet des entrées de capitaux sur le prix. En plus, la surévaluation a pour effet de décourager et d’éloigner les gestionnaires actifs.

Un autre effet de l’investissement indiciel serait de réduire l’effet de diversification — qui a pourtant été vanté comme un des avantages cardinaux de l’approche indicielle. « Les investisseurs recourent à la diversification pour écarter le risque spécifique à l’entreprise et réduire le risque du portefeuille, mais les fonds indiciels ont tendance à acheter et à vendre ensemble, ce qui accroît la co-mobilité entre les actions », dit Lu Zheng.

Pas de déséquilibre

Une récente étude de Banque Nationale Marchés financiers (BNMF) conteste les conclusions de cette recherche. Tout d’abord, s’appuyant sur une autre évaluation, BNMF assigne une part beaucoup plus modeste à l’investissement indiciel : 14 % de la capitalisation totale du marché des actions américaines en 2020, selon l’Investment Company Institute and Factor Research. « Malgré la croissance des investissements passifs, écrit BNMF, les fonds de pension, les fonds spéculatifs, les compagnies d’assurance, les bureaux familiaux et les investisseurs individuels détiennent encore 72 % des actions américaines en termes de capitalisation boursière ».

Si les FNB et les fonds communs de placement passifs gonflaient artificiellement les prix des actions, on devrait s’attendre à ce que les actions à forte participation passive surperforment à mesure que la part passive augmente, note BNMF.

BNMF montre à l’aide de graphiques couvrant les trois, cinq et dix dernières années que les actions ayant les niveaux actuels les plus élevés de propriété passive (en pourcentage de leur capitalisation boursière), ont en fait sous-performé celles qui ont de plus faibles niveaux de propriété passive. Les entreprises à méga-capitalisation ont de façon typique une proportion modérée de propriété passive et une implication importante des traders de détail, ce qui peut entraîner des fluctuations importantes des prix des actions.

La même étude de BNMF montre que ce sont souvent des entreprises de moyenne capitalisation qui ont des taux de propriété passive plus élevés, par exemple CH Robinson Worldwide et Federal Realty Investment Trust, avec des participations passives de 39 % et 36 % respectivement. D’autre part, les mega-caps mythiques comme Microsoft, Apple et Nvidia ont des niveaux de participation plus modestes : 20 %, 18 % et 19 % respectivement. « À notre avis, écrivent les analystes de BNMF, la participation des traders de détail et d’autres gestionnaires actifs a plus probablement contribué à la hausse des méga-capitalisations, du moins plus que les investissements passifs. »

Investissement avisé évacué

Cependant, les « indicio-sceptiques » ne sont pas à court d’arguments, arguments auxquels BNMF ne réplique pas. L’analyste Larry Swedroe, dans un article de Morningstar paru il y a un an, constatait que l’approche indicielle appauvrissait l’efficacité informationnelle et la découverte de prix, deux des piliers de l’investissement. En conséquence, on constate la déroute de l’investissement actif qui se trouve noyé par un momentum de marché où les prix s’éloignent des fondamentaux économiques des entreprises, éconduisant les investisseurs actifs. Larry Swedroe rappelle que la part des gestionnaires qui réussissaient à générer une plus-value significative est tombée de 20 % en 1998 à 2 % en 2023.

Mike Green, dans un essai intitulé Policy in a World of Pandemic, Social Media and Passive Investing, dénonçait la notion d’indices passifs : « Il ne s’agit pas d’investisseurs passifs, mais d’investisseurs actifs systématiques et aveugles qui ne s’intéressent pas du tout aux fondamentaux des titres qu’ils achètent ».

Dans un article de 2021, Chris Yates, fondateur d’Acheron Insights, constatait la migration du phénomène de momentum vers le vaste secteur des titres à revenu fixe. « Un investisseur prudent évaluerait comme tout bon banquier la cote de crédit d’une entreprise et ses fondamentaux avant de lui prêter de l’argent. Mais le poids dans un indice est déterminé uniquement par le prix, sans considération de notation ou de capacité de rembourser sa dette. L’idée d’investir dans des obligations simplement parce que leur prix a augmenté est l’équivalent de l’investissement momentum dans les titres à revenu fixe. »

L’ultime résultat, prévoit Chris Yates, est une instabilité croissante des prix. Charlie Munger, légendaire compagnon d’armes de Warren Buffett disait : « Si vous poussez l’investissement passif à son extrême logique, vous obtiendrez des résultats grotesques. »

BNMF ne partage pas ce point de vue. L’essor de l’investissement passif a certes eu un effet sur la dynamique du marché, mais il ne s’agit que d’un des nombreux facteurs qui influencent les prix des actions.

« Le marché est un système complexe régi par diverses forces, notamment les mesures prises par la Fed, le positionnement des courtiers et le comportement actif des investisseurs. Si l’investissement passif a effectivement “joué le jeu” de la tarification implicite du marché au sens large, exacerbant les valorisations non intrinsèques pendant des périodes plus longues que dans le passé, les prix tendent en fin de compte à revenir aux justes valeurs basées sur les fondamentaux. Les mathématiques de l’investissement restent un facteur déterminant pour les résultats à long terme », conclut BNMF.