Au Canada, le gouvernement fédéral exigera bientôt des entreprises qu’elles fournissent des preuves de leurs déclarations environnementales, une consultation publique sur cette règle ayant été lancée plus tôt cette année. Cette mesure s’inscrit dans le cadre d’une vaste campagne mondiale de répression contre les pratiques financières durables trompeuses.
Un sondage en ligne réalisé en novembre 2023 par l’organisation caritative Ecojustice, spécialisée dans le droit de l’environnement, et par l’organisation de défense de l’environnement Environmental Defence Canada a révélé que trois Canadiens interrogés sur quatre étaient préoccupés par l’écoblanchiment pratiqué par les entreprises et le secteur financier.
« La majorité des Canadiens souhaitent de nouvelles règles pour mettre fin à l’écoblanchiment, car ils sont frustrés de voir que les déclarations ne sont pas suivies d’effets, rapporte Julie Segal, responsable principale du programme de financement de la lutte contre le changement climatique chez Environmental Defence Canada. Un certain nombre d’institutions financières souhaitent également des règles claires en matière de financement durable, afin de pouvoir s’engager plus clairement dans cette direction. »
L’écoblanchiment a été l’un des premiers termes inventés dans le discours sur la finance durable, mais des termes tels que greenhushing et greenwishing ont depuis été adoptés.
Voici ce que signifient ces termes et comment certains proposent de mettre fin à ces pratiques.
L’écoblanchiment
Selon Yrjo Koskinen, professeur de finance durable et de transition à la Haskayne School of Business de l’université de Calgary, l’écoblanchiment consiste à faire des déclarations exagérées ou trompeuses sur le caractère écologique d’une entreprise, d’une organisation ou d’un produit.
« Il ne s’agit pas nécessairement de mentir, mais de faire des déclarations exagérées au sujet de vos politiques environnementales ou sociales, explique-t-il. Les entreprises ont tendance à se présenter sous leur meilleur jour. Tout le monde le fait, n’est-ce pas ? C’est donc une pratique courante. »
Selon Yrjo Koskinen, l’écoblanchiment était un problème de niche jusqu’en 2022, moment à partir duquel des cas ont commencé à faire régulièrement la une des journaux en Europe, aux États-Unis et au Canada.
On se rappelle notamment du cas très médiatisé de Keurig Canada, qui a conclu un accord de 3 millions de dollars (M$) après que le Bureau de la concurrence a jugé que les allégations de recyclage des dosettes de café de l’entreprise étaient fausses ou trompeuses dans certains cas.
Aux États-Unis, DWS Investment Management Americas, une filiale de Deutsche Bank AG, a accepté de payer 25 M$ pour répondre à des accusations d’écoblanchiment et de contrôles déficients de lutte contre le blanchiment d’argent dans ses fonds communs de placement. La Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis a allégué que la société avait fait des « déclarations matériellement trompeuses » sur les processus d’investissement ESG (environnement, social et gouvernance) utilisés pour certains fonds communs de placement à gestion active et comptes à gestion séparée.
Au début de l’année, la Commission européenne et les autorités nationales chargées de la protection des consommateurs ont engagé des actions contre 20 compagnies aériennes pour des pratiques d’écoblanchiment présumées trompeuses, entre autres exemples.
Le projet de loi C-59 du gouvernement canadien, qui a reçu la sanction royale le 20 juin, est un exemple de la récente répression de l’écoblanchiment.
Cette loi oblige les entreprises à fournir des preuves à l’appui de leurs déclarations environnementales. Le gouvernement espère que cela « protégera les consommateurs, les concurrents et le bon fonctionnement du marché contre les effets néfastes des déclarations non vérifiées concernant les avantages d’un produit pour la protection de l’environnement ou l’atténuation des effets du changement climatique ».
La législation a reçu des réactions mitigées. Elle a été citée par Pathways Alliance comme la raison pour laquelle le groupe de sociétés d’exploitation des sables bitumineux a décidé de retirer son contenu en ligne. Le groupe a déclaré que la disposition applique une norme « si vague qu’elle n’a pas de sens ».
Les autorités de régulation des services financiers ont également progressé dans la lutte contre l’écoblanchiment.
En mars, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont renforcé leurs orientations pour les fonds d’investissement et les gestionnaires de fonds en ce qui concerne la divulgation d’informations liées à l’ESG, dans le but d’accroître la clarté et la cohérence de la documentation des fonds et des communications commerciales.
En mars également, le Conseil canadien des normes de durabilité a publié son projet de normes sur les risques et opportunités liés au climat, basé sur les normes de l’International Sustainability Standards Board, mais avec des propositions de modifications. La consultation sur ces normes s’est achevée le mois dernier.
Au cours de la dernière décennie, des entreprises telles que Morningstar Sustainalytics ont établi des cadres pour évaluer l’exposition des entreprises aux risques ESG spécifiques au secteur et la gestion des risques.
Clark Barr, responsable de la méthodologie ESG chez Morningstar Sustainalytics, souligne que leur approche se concentre non pas sur les simples promesses environnementales des entreprises, mais sur une évaluation approfondie de leurs politiques, programmes et performances en matière d’ESG.
« C’est l’un des moyens d’éviter l’écoblanchiment, car il ne s’agit pas seulement de mettre en place une politique ou de rédiger un document. Nous voulons voir cet [impact] jusqu’au niveau de la performance », spécifie-t-il.
Le greenhushing (écosilence)
Le greenhushing est la pratique qui consiste à minimiser ou à cacher délibérément les objectifs de développement durable, explique Yrjo Koskinen, en soulignant que ce concept est relativement nouveau par rapport à l’écoblanchiment.
L’une des raisons pour lesquelles les entreprises adoptent cette pratique est la crainte d’être accusées d’écoblanchiment. Elles peuvent penser qu’il y a toujours quelqu’un pour les blâmer : soit elles en font trop, soit pas assez, mais elles ne semblent jamais trouver le juste équilibre.
Yrjo Koskinen ajoute que les entreprises peuvent constater à quel point la question est devenue politisée.
Dans une analyse réalisée en janvier 2024 par le cabinet de conseil en climatologie South Pole, 81 % des entreprises ont déclaré que la communication de leurs objectifs en matière d’émissions nettes nulles serait bénéfique pour leurs résultats financiers. Toutefois, 58 % des 1 400 entreprises interrogées — dans 14 pays et 12 secteurs — ont déclaré qu’il était désormais plus difficile de communiquer sur leurs actions en faveur du climat et qu’elles prévoyaient de réduire leur niveau de communication externe.
Dans le domaine de la finance, un rapport de mars 2024 du fournisseur de données sur les marchés d’actions privés et publics PitchBook Data suggère que certains gestionnaires d’actifs se retirent des engagements publics en matière d’ESG par crainte de réactions négatives, avec moins de partenaires généraux prenant des engagements publics en matière d’ESG chaque trimestre au cours des dernières années via les Principes pour l’investissement responsable soutenus par les Nations Unies. Dans le même temps, d’autres s’appuient sur l’ESG en tant qu’outil de création et de protection de la valeur dans un environnement macroéconomique difficile, selon le rapport.
Selon Julie Segal, le concept d’écoblanchiment existe parce qu’au Canada, les normes de divulgation et d’établissement de rapports sur le développement durable sont volontaires.
« Dès que quelque chose devient obligatoire, une entreprise ou une institution financière n’a plus à décider si elle parle de quelque chose », affirme-t-elle.
Le greenwishing
Encore moins connu que l’écoblanchiment et le greenhushing, le greenwishing désigne une entreprise qui formule des vœux abstraits pour « passer au vert » ou fixer des objectifs climatiques sans prendre de mesures concrètes.
« Pour moi, le greenwishing ressemble beaucoup au greenwashing. Il s’agit d’une sorte d’écoblanchiment par inadvertance », précise Yrjo Koskinen.
Le greenwishing est motivé par la pression exercée sur les entreprises pour qu’elles fixent des objectifs ambitieux en matière de développement durable, indique KPMG sur son site web.
Dans un article publié par le Center for Corporate Reporting, qui fournit des conseils aux entreprises en Suisse, en Allemagne et en Autriche, l’un des fondateurs de South Pole a écrit que le greenwishing « permet à une entreprise d’être perçue comme un leader climatique aux yeux du public, sans courir le risque d’être accusée d’écoblanchiment ».
« Après tout, vous n’avez pas pris d’engagements contraignants au départ ; vous n’avez fait qu’exprimer votre soutien à l’action climatique et vos souhaits pour un avenir à faible émission de carbone », précise l’article.
La voie à suivre
Les observateurs de l’industrie estiment que le Canada doit adopter des politiques qui favorisent la transition vers une économie nette zéro.
Selon Julie Segal, le pays doit agir de toute urgence, étant donné que le changement climatique pourrait entraîner des répercussions sur tous les aspects de la vie des gens, qu’il s’agisse de leur logement, de leurs moyens de subsistance ou de l’économie.
« Nous assistons à une augmentation des catastrophes liées au climat qui affectent à la fois les communautés et les investissements », remarque Julie Segal. « La politique de financement alignée sur le climat est la pièce manquante du plan climatique du Canada », s’il doit s’aligner sur les engagements du pays dans le cadre de l’Accord de Paris.
Julie Segal a souligné le projet de loi S-243, qui obligerait les administrateurs d’entreprise à rendre des comptes sur l’action climatique et rendrait obligatoires les plans d’action climatique des institutions financières, entre autres choses.
« Exiger les plans qui soutiennent l’engagement est vraiment essentiel en termes de transparence et de responsabilité, et permet simplement de s’assurer que nous avançons dans la bonne direction », déclare-t-elle.
Yrjo Koskinen se réjouit que le Canada suive l’exemple d’autres juridictions, comme l’Europe.
« Actuellement, avec la nouvelle loi européenne, si vous annoncez une certaine stratégie d’investissement ESG, au moins 80 % de vos actifs doivent suivre cette stratégie. C’est une mesure massive, tangible et mesurable. Jusqu’à l’adoption du projet de loi C-59, il n’y avait pas de loi explicite contre l’écoblanchiment au Canada. Il s’agissait de groupes d’activistes qui tentaient de dénoncer les produits, ou du [Bureau de la consommation] qui intentait des procès contre ces entreprises. »
Toutefois, Yrjo Koskinen estime que la nouvelle réglementation sur l’écoblanchiment au Canada est « assez vague pour l’instant ». Il espère qu’elle sera bientôt clarifiée « afin que les entreprises sachent avec plus de certitude ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas ».
Clark Barr, de Morningstar Sustainalytics, est d’accord pour dire que le Canada devrait s’inspirer de l’exemple de l’Union européenne pour élaborer ses politiques en matière de finance durable, mais qu’il y a aussi une raison concurrentielle à cela.
« Si vous avez toute cette base de clients européens qui achètent des produits à d’autres entreprises et qu’ils regardent les entreprises canadiennes et disent, “Oh, ils ne prennent pas le carbone au sérieux [donc] je préfère acheter à cette autre entreprise en France”, c’est une opportunité perdue pour les entreprises canadiennes », affirme-t-il.
Clark Barr et Yrjo Koskinen reconnaissent toutefois que l’évolution vers une économie durable prend du temps.
Yrjo Koskinen fait remarquer que l’Europe est moins dépendante des combustibles fossiles, alors que le pétrole et le gaz sont les principaux produits d’exportation du Canada.
« Il est très difficile de décarboniser notre système énergétique, souligne-t-il. L’économie ne change pas du jour au lendemain. Les nouvelles entreprises sont beaucoup plus rapides et agiles pour changer, et certaines entreprises peuvent changer très rapidement, mais [pour] les grandes entreprises traditionnelles, cela va prendre du temps. »
Clark Barr fait une remarque similaire.
« Parfois, on critique le fait que les réglementations ne sont pas assez fortes ou qu’elles ne vont pas assez vite, mais au moins, nous voyons des progrès dans ce domaine. Ce n’est peut-être pas idéal, ce n’est peut-être pas parfait, mais c’est un voyage. C’est un marathon, pas un sprint. »