Les marchés obligataires classiques ont connu des temps difficiles. Les attentes généralisées d’une hausse de l’inflation dans le cadre d’une reprise économique post-pandémique pèsent sur les obligations, et celles-ci ont été frappées par la hausse des rendements, puisque les prix des obligations évoluent dans le sens inverse des taux d’intérêt.
Au cours des cinq premiers mois de 2021, l’indice obligataire universel de référence FTSE Canada a perdu plus de 5 %, ce qui représente une baisse inconfortable pour une catégorie d’actifs censée être moins risquée.
Dans ce contexte déprimant, certains experts en répartition d’actifs ont préconisé de réduire la part des obligations dans les portefeuilles ou, plus audacieusement, d’éviter complètement les obligations. Or, ces approches augmenteront l’exposition des investisseurs aux actions à un moment où les valorisations sont devenues élevées et, selon certains, très vulnérables à une correction.
Indépendamment de leurs faibles rendements, les obligations offrent une diversification et une source de liquidités lorsque les marchés d’actions deviennent baissiers. Les conseillers et leurs clients doivent réfléchir à la manière de structurer leurs allocations de titres à revenu fixe dans l’environnement inhospitalier actuel.
« Il y a des parties du marché des titres à revenu fixe et différentes stratégies qui peuvent encore être performantes et produire des rendements positifs dans les titres à revenu fixe », résume Paul Sandhu, président et chef de la direction de Marret Gestion d’actifs, qui gère environ 5,5 milliards de dollars en fonds communs de placement et en fonds négociés en Bourse (FNB) pour Placements CI. « Par exemple, il existe des stratégies à revenu fixe qui ne prennent aucun risque lié aux taux d’intérêt. Il y a certaines stratégies à revenu fixe qui se concentrent davantage sur le rendement avec une duration très limitée. »
Même ainsi, les rendements ne seront pas faciles à obtenir. Dans l’ensemble, les rendements des obligations d’entreprise ne sont qu’environ 100 points de base de plus que les obligations d’État. « Les obligations d’entreprise de qualité supérieure (investment-grade) ne sont pas très attrayantes aux écarts actuels », note Paul Sandhu, faisant référence à l’augmentation moyenne du rendement par rapport aux émissions du gouvernement du Canada ou des États-Unis. « Si vous regardez le marché canadien, nous ne sommes qu’à cinq ou dix points de base des écarts de crédits les plus faibles sur une base historique. »
De plus, les bilans des entreprises ont actuellement tendance à être fortement endettés, avec une proportion plus importante que par le passé de crédits notés BBB, le bas de gamme de la catégorie investment-grade. « Nous avons presque les plus hauts niveaux d’endettement des entreprises de l’histoire, et nous sommes très peu payés », affirme Sandhu, dont le plus grand FNB sous gestion est le fonds CI Investment Grade Bond ETF de 880 millions de dollars. « Donc, d’un point de vue fondamental du crédit, votre rapport risque-récompense ici n’est pas grand. »
Cela dit, Paul Sandhu pense que l’investissement dans les émissions d’entreprises pour obtenir un rendement supplémentaire a encore du sens, compte tenu d’un environnement économique où les entreprises vont rouvrir leurs portes à mesure que la pandémie de COVID-19 s’atténuera et où les flux de trésorerie des entreprises s’amélioreront. Cependant, il ne s’attend pas à ce qu’un nouveau resserrement des écarts de taux permette de réaliser des gains en capital, c’est-à-dire des rendements excédentaires par rapport aux rendements obligataires.
Lorsqu’on investit dans des obligations de sociétés, la sélection des titres est importante, selon Tom O’Gorman, directeur des titres à revenu fixe chez Franklin Bissett Investment Management, qui fait partie de la Société de Placements Franklin Templeton. « Nous sommes très sélectifs et effectuons une recherche ascendante, assure celui qui dirige une équipe à Calgary qui gère plus de 5 milliards de dollars. L’argent facile de l’allocation aux obligations de sociétés a été gagné. Maintenant, il s’agit surtout de valeur relative. »
Le même raisonnement s’applique aux obligations d’entreprise à haut rendement. Comme le dit Tom O’Gorman, le haut rendement n’est plus élevé, puisque certaines émissions ont des rendements de coupon de 4 % ou moins. D’un point de vue positif, ces obligations offrent une diversification aux investisseurs canadiens en raison de leur faible corrélation avec le grand marché canadien, ajoute-t-il.
Les prêts bancaires à taux variable sont une autre source de rendements à revenu fixe plus élevés, et l’équipe de Franklin Bissett a ajouté des montants modestes à ses avoirs. En plus d’être positivement corrélés à la croissance économique, ces prêts peuvent donner de bons résultats dans un contexte de hausse des taux, selon Tom O’Gorman. En raison de leurs taux flottants, leurs prix évoluent dans le même sens que les taux d’intérêt.
Les obligations à rendement réel offrent également une protection contre la hausse des taux, car leurs versements sont liés à l’inflation. Elles ont surpassé l’ensemble du marché canadien au cours des 12 derniers mois, mais pas plus récemment, comme en témoignent les pertes cumulées depuis le début de l’année par le FINB BMO obligations à rendement réel et le FINB iShares Canadian Real Return Bond.
Marret détient des obligations à rendement réel dans presque tous ses mandats. La quasi-totalité de ces avoirs sont des titres du Trésor américain protégés contre l’inflation, appelés TIPS, que Paul Sandhu préfère parce qu’ils sont beaucoup plus liquides que les obligations à rendement réel du gouvernement canadien. Les investisseurs en FNB peuvent obtenir une exposition aux TIPS par l’intermédiaire du FNB BMO Short-Term US TIPS Index, lancé en janvier.
Selon Paul Sandhu, comme les obligations à rendement réel ont déjà bien performé l’an dernier tout en offrant une protection contre l’inflation, le moment d’en acheter est probablement passé. « Il faudrait avoir une vision assez ferme sur l’inflation pour acheter davantage d’obligations protégées contre l’inflation à partir d’ici, assure-t-il. En fait, vous pourriez maintenant chercher un endroit pour commencer à les vendre ».
Parmi les investissements à revenu fixe, les plus exotiques figurent les obligations des marchés émergents. « Cela n’a pas été une partie énorme de ce que nous faisons, mentionne Tom O’Gorman, qui privilégie les émissions en dollars américains plutôt que celles libellées en monnaies locales. Mais encore une fois, c’est un autre de ces secteurs qui peut offrir une certaine diversification. »
Paul Sandhu dit que Marret évite généralement ces titres en raison du risque de défaut plus élevé, de la volatilité des monnaies locales et des difficultés à évaluer la solvabilité des émetteurs souverains ou des entreprises émettrices. « Nous ne sommes pas des experts des marchés émergents et nous ne prétendons pas l’être. »
Menés par le Fonds IA Clarington d’obligations de marchés émergents, les FNB à revenu fixe cotés au Canada et spécialisés dans les marchés émergents ont surpassé leurs homologues canadiens au cours des 12 derniers mois. Toutefois, Paul Sandhu assure que les facteurs de risque associés à ces titres « représentent des expositions plus importantes que celles que nous voulons vraiment prendre pour nos clients ».
Ce que cet expert soutient avec enthousiasme, c’est la diversification mondiale dans les marchés développés. Dans les obligations d’État, elle permet à Marret de tirer parti des différentes politiques monétaires et des différences de valeur relative entre les différents pays. Du côté des entreprises, les émetteurs des États-Unis et d’ailleurs offrent une exposition aux titres à revenu fixe dans des secteurs et des industries qui ne sont pas disponibles au Canada.
De plus, avec les multinationales qui émettent des obligations dans diverses devises, Marret cherche à exploiter les anomalies de prix entre les pays. « Il est possible de trouver des obligations d’un émetteur qui sont moins chères sur un marché que sur un autre », explique Paul Sandhu.
Cependant, Marret évite généralement l’exposition aux devises étrangères en se couvrant entièrement contre le dollar canadien. « La devise est à notre avis l’une des catégories d’actifs les plus volatiles, rapporte Paul Sandhu. Avoir des devises non couvertes dans votre portefeuille de titres à revenu fixe va de pair généralement avec plus de volatilité. Ce que nous essayons de faire, c’est de vous vendre des produits à revenu fixe qui réduisent la volatilité dans votre allocation d’actifs globale. »
Tom O’Gorman adopte un point de vue différent. Bien que la possibilité pour l’équipe de Franklin Bissett de s’exposer aux devises étrangères soit limitée dans ses mandats axés sur le Canada, comme le FNB Franklin Liberty Core Plus Bond, elle a actuellement une exposition d’environ 7 % au dollar américain dans ses portefeuilles.
« Nous considérons que le dollar canadien est extrêmement surévalué », affirme Tom O’Gorman, citant une économie nationale stimulée par les emprunts des consommateurs et les mesures de relance du gouvernement, et avec le boom immobilier qui évince les investissements en capital.
« Nous avons déjà vu ces dépassements où le pendule va beaucoup trop baissier sur le dollar canadien à beaucoup trop haussier, note-t-il dit. Et nous pensons que [le marché est] dans le camp beaucoup trop haussier en ce moment. »