Les investisseurs institutionnels représentent collectivement une part de plus en plus importante de l’actif en fonds négociés en Bourse (FNB) détenu par des investisseurs canadiens, d’après une étude d’Investor Economics.
En effet, cette firme a comparé la détention en FNB d’investisseurs institutionnels avec celle d’investisseurs de détail, dans son rapport trimestriel ETF & Index Report, produit en collaboration avec ISS Market Intelligence, la société mère d’Investor Economics. Pour ce faire, ils ont comparé l’actif détenu par les premiers en FNB inscrits à une Bourse canadienne avec l’actif détenu par les seconds en FNB inscrits à la fois à une Bourse canadienne et à une Bourse américaine.
Au 30 juin 2020, les investisseurs institutionnels représentaient 38,6 % des 265,2 G$ d’actif en FNB dans ces trois segments de marché, selon Investor Economics. À la fin de décembre 2016, ils correspondaient à 31,3 % des 137,7 G$ en actif, en décembre 2018, à 33,3 % des 188,8 G$, et en décembre 2019, à 37,0 % des 243,7 G$, d’après cette firme.
Cette croissance de la part des investisseurs institutionnels s’est faite aux dépens de la part des investisseurs de détail en FNB inscrits à une Bourse canadienne. En effet, cette proportion est passée de 51,2 % en décembre 2016 à 43,5 % en juin 2020. La part des investisseurs de détail en FNB inscrits à une Bourse américaine a été relativement stable, passant de 17,5 % à 17,9 %, durant cette période.
Cette croissance de l’actif en FNB par les investisseurs institutionnels s’explique notamment par les créations nettes de FNB et par les fluctuations à la hausse et la baisse des marchés financiers ou market effect en anglais.
Investor Economics n’effectue pas de suivi des créations nettes de FNB par les investisseurs institutionnels. Il est également difficile de les connaître précisément étant donné que les manufacturiers de FNB ignorent quels investisseurs finaux détiennent leurs FNB, contrairement aux fonds communs de placement.
Il est aussi difficile d’estimer le poids relatif des investisseurs institutionnels dans les activités de négociations menées sur les Bourses et plateformes de négociations, d’après Daniel Straus, directeur, recherche et stratégie sur les FNB, à la Financière Banque Nationale.
« Cette difficulté est justement une des raisons pour lesquelles les investisseurs institutionnels aiment les FNB. Ils peuvent un peu effacer les traces de leurs activités. En négociant sur une Bourse, le détenteur final du fonds reste anonyme. On peut seulement savoir quels courtiers ont fait la négociation », explique-t-il.
Même en segmentant le volume de négociation d’un FNB en fonction des blocs les plus importants, cette méthode n’est pas parfaite. Prenons le cas d’un émetteur dont l’actif sous gestion des fonds communs qu’il offre est principalement constitué de ses FNB maison. Dans ce cas, un rééquilibrage fait au niveau du fonds commun lui-même ou des ventes nettes importantes à ce même niveau peuvent déclencher d’importantes négociations de FNB, illustre Daniel Straus.
Quoi qu’il en soit, les créations nettes de FNB par des investisseurs institutionnels sont loin d’être négligeables. Les analystes de Banque Nationale Marchés financiers les mettent en lumière de temps à autre dans leurs rapports mensuels, lorsqu’ils en sont informés de manière anecdotique.
Par exemple, en juillet 2020, le FNB de revenu fixe sans contraintes (NUBF) de Banque Nationale Investissements a représenté à lui seul 1,6 G$ en créations nettes, soit 43 % des créations nettes de FNB de titres à revenu fixe de juillet et 18 % de celles enregistrées du début de janvier à la fin de juillet 2020, rapporte Banque Nationale Marchés financiers.
En juillet, les analystes de cette firme notaient également que, dans le secteur des FNB établis en fonction de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), le principal moteur des nouvelles créations de FNB ESG a été l’activité de création « ponctuelle » de la part des grandes souscriptions institutionnelles.
L’intérêt est là
En outre, en moyenne, les investisseurs institutionnels canadiens allouent 19 % de l’ensemble de leur actif en FNB, d’après un sondage mené auprès de 51 d’entre eux par Greenwich Associates, d’octobre à décembre 2018 et dont les résultats ont été publiés au deuxième trimestre de 2019.
Comparativement, en moyenne, les conseillers en placement du Québec ont 7,4 % de leur actif qui est investi en FNB, selon le Pointage des courtiers québécois de 2020 de Finance et Investissement.
Différentes tendances expliquent l’utilisation croissante des FNB dans les portefeuilles des investisseurs institutionnels.
« Selon Greenwich Associates, les institutions financières choisissent les FNB pour leur facilité d’utilisation qui leur permet d’intégrer rapidement et sans complications de nouvelles expositions dans leurs portefeuilles et leurs catégories d’actifs. Elles peuvent aussi tirer parti d’autres caractéristiques des FNB telles que la rapidité d’exécution, la diversification dans une transaction unique et leur liquidité », indique Michael Cooke, vice-président principal et responsable des fonds négociés en Bourse chez Placements Mackenzie, dans un courriel.
De plus, bon nombre d’investisseurs institutionnels ont réduit leur part en gestion active, remplaçant généralement celle-ci par une part indicielle et les FNB constituent un outil de placement de choix pour ce faire, selon l’étude de Greenwich Associates.
Selon cette étude, 74 % des répondants conservent leur FNB un an ou plus, 66 % utilisent les FNB dans leur allocation de base (core) et la moitié, pour diversifier leur actif à l’international.
La volatilité des dernières années ainsi que la crise de la COVID-19 ont aussi favorisé l’adoption par les investisseurs institutionnels de FNB, d’après Michael Cooke.
« Nous ne disposons pas encore de données sur l’utilisation post-COVID de FNB, mais pendant les épisodes antérieurs de gestion des risques lors d’événements de marché (hausse des taux d’intérêt, craintes de récession, Brexit, guerres commerciales, etc.), on a vu une utilisation institutionnelle accélérée des FNB pour mettre en œuvre des changements spécifiques [à leurs portefeuilles] », note-t-il.
Les investisseurs institutionnels verraient aussi d’un bon œil la bonne tenue des FNB dans les débuts de la pandémie. Rappelons qu’en mars, durant la crise de la COVID-19, bon nombre de FNB obligataires se sont négociés avec un escompte par rapport à leur valeur liquidative. Malgré cette situation, les FNB obligataires se sont échangés avec un volume record du 16 au 20 mars, soit le triple de leur volume habituel, d’après une étude de l’équipe d’analystes de Banque Nationale Marché des capitaux, dont Daniel Straus, Tiffany Zhang et Linda Ma, publiée en avril. En effet, il est possible que les FNB soient restés le seul outil de placement relativement liquide pour ceux désirant à tout prix vendre des titres à revenu fixe, faisaient-ils valoir.
Depuis, les marchés se sont stabilisés, notamment en raison des achats massifs d’obligations et de FNB obligataires annoncés par les banques centrales, dont la Réserve fédérale américaine. Ces dernières sont devenues ainsi des investisseurs institutionnels de poids dans le marché des FNB.
Les faibles frais et la liquidité élevés des FNB inscrits à une Bourse américaine expliquent notamment pourquoi les investisseurs institutionnels les ont historiquement utilisés, d’après Daniel Straus : « Les investisseurs institutionnels canadiens ont souvent leurs propres ressources afin d’effectuer de la couverture du risque de devises. Ils n’ont pas non plus les mêmes réticences fiscales que peuvent avoir les investisseurs de détail canadiens. Il y a donc moins de barrières pour qu’un investisseur institutionnel participe au marché américain des FNB. »
Or, l’offre grandissante de FNB inscrits au Canada ainsi que leur efficacité fiscale pour les investisseurs de détail qui en détiennent dans des comptes non enregistrés incitent davantage les investisseurs institutionnels à utiliser les FNB canadiens, d’après Michael Cooke : « Comme par le passé, nous pouvons nous attendre à une augmentation permanente de l’ampleur et de la profondeur de l’utilisation de FNB par des investisseurs institutionnels. »
Selon l’étude de Greenwich Associates, 48 % des répondants avaient l’intention d’augmenter leur utilisation de FNB factoriels dans l’année à venir, par rapport à 27 %, pour les FNB d’obligations et à 20 %, pour les FNB d’actions.