Ahmed Najar a commencé à investir il y a seulement deux ans, après avoir découvert un moyen de le faire qui correspondait à ses valeurs musulmanes.
Le chercheur de laboratoire de 36 ans s’est tourné vers l’investissement halal, qui exclut les investissements dans des produits interdits tels que le porc, l’alcool, le tabac, les armes, les divertissements pour adultes et le plus grand interdit de tous: la dette, les obligations ou les intérêts.
Ahmed Najar explique que le principal moteur de ses décisions d’investissement est religieux.
« Je ne peux pas faire autrement, c’est tout simplement impossible. Même s’il y a de l’argent à gagner, je ne peux pas y arriver », a-t-il confié depuis Vancouver.
L’argent qu’il investit ne doit pas causer de torts et être bénéfique pour la société. Les activités de prêts sont interdites parce que le Coran dit que les musulmans ne sont pas autorisés à tirer profit du prêt d’argent. Il est donc interdit de toucher des intérêts d’un individu ou d’une banque.
L’investissement socialement responsable, y compris celui qui s’appuie sur des croyances religieuses, est une tendance croissante au Canada. Les actifs sous gestion de ce genre d’activité ont grimpé à 3200 milliards $ l’an dernier, contre 2100 milliards $ en 2017, selon le rapport sur les tendances de l’investissement responsable au Canada.
L’investissement responsable représente près de 62 % de l’industrie canadienne de l’investissement, contre 50,6 % il y a deux ans.
L’investissement basé sur des valeurs religieuses reste une petite sous-section de cette tendance, mais connaît malgré tout une croissance.
Comme pour tout investissement, ceux qui prennent des décisions en fonction de leur foi doivent s’instruire et trouver un conseiller financier de confiance, a souligné Ahmed Najar.
C’est particulièrement crucial pour l’investissement halal, car la plupart des conseillers financiers ne sont pas familiers avec l’éventail détaillé d’options et de restrictions, a observé Jesse Reitberger, cofondateur de Canadian Islamic Wealth, qui guide les décisions de Ahmed Najar.
Jesse Reitberger s’efforce d’aider la communauté musulmane à adhérer aux principes financiers du Coran depuis sa conversion à l’islam en 2014.
Selon lui, plusieurs musulmans restent sur la touche ou ont investi et plaident simplement l’ignorance.
« Ils gardent simplement leur argent dans un compte chèques ou sous leur matelas à la maison », a-t-il illustré lors d’une entrevue depuis Winnipeg.
Pour de nombreux musulmans, en particulier les générations plus âgées, cela faisait en sorte qu’ils devaient économiser de l’argent avant d’acheter des biens immobiliers, des voitures ou de l’or.
La population musulmane du Canada dépasse le million et cette religion devrait devenir la deuxième en importance au pays d’ici 2030.
Trouver des investissements conformes à l’Islam peut être un défi parce que l’économie canadienne s’appuie sur les intérêts, a expliqué Jesse Reitberger.
L’indice islamique Dow Jones et le S&P/TSX 60 Shariah contiennent plusieurs fonds qui détiennent des placements autorisés.
Fonds socialement responsables
D’autres confessions se sont engagées sur des chemins semblables pour investir, mais aucune autre n’interdit la dette.
La coopérative de crédit Mennonite Savings and Credit Union a été créée il y a 56 ans pour permettre à ses membres de profiter d’une « entraide dont la pratique est fidèle à la foi ».
Elle a créé une famille de fonds socialement responsables pour aider les investisseurs à combler le fossé entre leurs principes et la façon dont ils investissent leur argent.
La coopérative a été rebaptisée Kindred Credit Union en 2016 pour élargir sa portée; environ 70 % de ses 25 000 membres ont une affiliation religieuse.
« Les gens se sont vraiment beaucoup intéressés à cela simplement parce que cela leur permet d’aligner tous les aspects de leur vie pour refléter leurs croyances, y compris leurs finances », a expliqué son directeur du patrimoine et des investissements, Tim Fox.
Des écrans sont mis en place pour exclure les investissements dans l’alcool, le tabac, le cannabis, les jeux d’argent, l’armée et les armes, ainsi que ceux qui ont des impacts négatifs sur les droits de l’homme, les employés et le bien-être des animaux.
« Ces écrans continuent d’évoluer à mesure que la conscience sociale évolue. En tant que communauté, en tant que société, nous décidons de ce qui est important et dans quoi nous sommes prêts à investir et à ne pas investir. »
Meritas Financial, établie à Kitchener, en Ontario, a été créée très tôt parce qu’il y avait très peu d’options disponibles, a ajouté le chef de la direction de Kindred, Ian Thomas.
« Au cours des deux dernières décennies, et cela s’est accéléré au cours des 10 dernières années, tout d’un coup, les valeurs ou l’investissement socialement responsable se sont vraiment déplacés au premier plan et le résultat est devenu plus courant. »
Parmi les autres institutions financières qui offrent des options inspirées par la foi se trouve la Khalsa Credit Union. Elle vient en aide à la communauté sikhe de la Colombie-Britannique, tandis que la Christian Credit Union d’Edmonton applique « les valeurs chrétiennes aux services financiers ».
Des entreprises telles que Wealthsimple et Manzil ont vu le jour ces dernières années pour combler les lacunes de la communauté musulmane.
La société d’investissement en ligne Wealthsimple a indiqué qu’elle se préparait à lancer un fonds indiciel négocié en Bourse conforme à la charia dès le mois prochain, pour remplacer son offre actuelle de 50 actions.
Ce nouveau fonds contiendra plus de 150 actions et une diversification accrue.
« L’un des problèmes que rencontrent les investisseurs musulmans est qu’ils finissent par exclure des industries entières de la façon dont ils peuvent investir », a souligné le directeur des investissements, Ben Reeves, lors d’une entrevue.
Il a noté que les fonds conformes à la charia peuvent générer des rendements similaires à ceux des véhicules d’investissement réguliers, soulignant que son offre actuelle, lancée en 2017, a rapporté environ 6 % par an.
Mohamad Sawwaf, cofondateur et chef de la direction de la société de finance islamique Manzil, à Toronto, a créé sa propre offre de portefeuille diversifié, Manzil Halal Portfolios, en partenariat avec Investissement direct CI, la branche de robots-conseillers de CI Financial.
Le portefeuille comprend des solutions de rechange aux titres à revenu fixe comme les hypothèques islamiques adossées à des actifs réels et durables, tandis que le fonds négocié en Bourse de Wahed Invest investit dans des actions conformes à la charia.
« Il s’agit d’une communauté très mal desservie et c’est une question d’inclusion financière parce qu’ils sont actuellement exclus du marché canadien », a-t-il indiqué.
Mohamad Sawwaf a précisé qu’une étude de marché avait révélé que plus de 70 % des musulmans canadiens adopteraient l’investissement halal si des produits étaient disponibles.
Cela est particulièrement vrai pour les jeunes musulmans, qui sont davantage intéressés par l’investissement que les générations plus âgées.
Les restrictions sur les titres à revenu fixe finissent par aider les investisseurs à bien faire, a ajouté Sameer Azam, conseiller en placement chez RBC Gestion de patrimoine.
« Plusieurs des critères poussent les investissements vers des entreprises avec un levier financier moindre, alors en fin de compte, nous voyons beaucoup de qualité dans le portefeuille de nos clients », a-t-il observé.