FI : Quelles leçons devrait-on tirer de la relative bonne résistance des fonds négociés en Bourse (FNB) lors de la crise de mars 2020 ?
Laurent Boukobza : La crise de liquidité de mars 2020, est une chose dont on a beaucoup parlé dans les deux dernières années, mais qui se révèle encore très intéressant. C’est en effet un cas d’école pour permettre de comprendre les raisons qui font en sorte que les FNB sont, malgré ce qu’ont pu dire certains détracteurs, un outil fantastique dans les marchés des capitaux. Dans la majorité des cas, du côté des FNB d’actions, il n’y a pas eu grand-chose à signaler. Ils ont simplement répliqué les performances des indices sous-jacents bien que ceux-ci ont été quand même assez volatiles, et cela s’est fait de manière assez fidèle.
Là où on a vu des choses un peu moins standards, ce fut dans le cas des FNB de revenu fixe. En fait, en mars 2020, la situation a été très « intéressante » parce que le marché sous-jacent du revenu fixe s’est complètement disloqué. C’est-à-dire qu’on a observé une espèce de crise de liquidité dans le marché des obligations. Cela a fait en sorte que les obligations sous-jacentes ne transigeaient plus vraiment, ou alors, leur écart acheteur/vendeur s’est énormément élargi. Et quand on regarde la valeur liquidative (Net asset value – NAV) d’un FNB, donc sa valeur au livre, on constate que ça reste quelque chose d’assez théorique. Il y a donc eu des dislocations entre le prix d’un FNB à un moment T sur le marché et sa valeur théorique.
Ce qu’il faut comprendre de cette situation, c’est que le prix était plutôt correct et reflétait la valeur des obligations sous-jacentes à ce moment-là dans le marché, mais que la NAV n’était pas vraiment atteignable,. Cela s’explique par le fait qu’elle est calculée sur des estimations et des prix théoriques d’obligations sous-jacentes qui, à toute fin pratique ne transigeaient plus. Il y a donc eu un réel squeeze de liquidité.
Donc, si votre NAV est calculée sur le point médian entre le bid et l’offre sur le marché, mais qu’il n’y a plus de bid, ou bien encore, que l’écart acheteur/vendeur s’est considérablement élargi, le point médian entre les deux valeurs reste théorique et n’est pas vraiment actionnable. C’est pour cette raison qu’on a beaucoup insisté sur le fait que les NAV des FNB d’obligations sont une mesure théorique. Dans des conditions de marché normales, le prix théorique reflète la réalité, mais dans certaines circonstances particulières, comme on a pu l’observer, la réalité, c’est le prix qu’on est capable d’obtenir sur le marché sous-jacent.
Je veux quand même insister sur le fait que les FNB ont continué à transiger et ont permis d’agir comme un outil de découverte de prix. Ils ont constitué vraiment une couche de liquidité supplémentaire. Ça a permis d’avoir des prix en temps réel sur le marché, et de transiger en temps réel sur le marché alors que certaines des obligations sous-jacentes ne transigeaient plus du tout. Tout cela s’explique aussi par le fait que la transaction des obligations se déroule principalement sur des marchés de gré à gré et non sur des marchés centralisés, comme c’est le cas pour les actions. Cela a pour conséquence qu’on a moins de visibilité sur la profondeur du marché sous-jacent.
Pour résumé, je dirais que les FNB ont apporté une couche de liquidité supplémentaire à un marché très stressé. Un bon exemple de cette situation est le LQD, un FNB d’obligations corporatives américaines, donc constitué d’obligations de qualité aux États-Unis, qui s’est transigé dans la journée du 12 mars environ 90,000 fois alors que ses top 5 positions ne se sont transigées en moyenne que 37 fois cette journée-là. Ça illustre la magnitude de la liquidité supplémentaire que les FNB ont permis d’apporter au marché dans un moment de stress de liquidité.