Les marchés ne semblent pas dans un état d’esprit hostile au risque, et dans certains cas ils atteignent des sommets. Pourtant, Sadiq S. Adatia invoque le fait que le moment est venu d’être extrêmement prudent, compte tenu des évaluations d’actions super-élevées, des rendements obligataires ultra-faibles et des difficultés que doivent confronter de nombreuses économies régionales et nationales. Adepte convaincu du placement tactique, M. Adatia, premier directeur des placements auprès de la société torontoise Placements mondiaux Sun Life, s’est employé à recueillir des liquidités et à utiliser des produits dérivés en prévision du moment où les marchés vont opérer une correction.
« Songez donc au Brexit : il y a eu un mouvement de panique de deux jours, puis les marchés ont dépassé leur niveau d’avant le Brexit. Ils ont fait fi du Brexit (le vote de la Grande-Bretagne pour quitter l’Union européenne) et se sont tournés vers l’avenir », dit M. Adatia, qui supervise sept Solutions gérées Granite Sun Life, pour un total de 7 milliards de dollars (G$) d’actifs sous gestion.
Investisseur axé sur la macroéconomie qui s’en remet à un ensemble d’indicateurs économiques comme l’Indice des directeurs d’achats, M. Adatia souligne quatre domaines qui inspirent beaucoup d’incertitude, de la sorte qui arrête net les investisseurs et les force à réfléchir : Bien que le vote du Brexit suggère une croissance future plus faible au Royaume-Uni, l’Europe est plus vulnérable, puisqu’elle ne peut pas se permettre de stagner. « Il est évident que ça va créer une diversion », dit M. Adatia, notant que l’UE pourrait se trouver coincée si d’autres membres cherchaient à en sortir.
Même si la croissance aux États-Unis est modérée, M. Adatia croit que l’élection présidentielle qui s’annonce n’est pas très prometteuse pour l’économie. « Au moins, avec Hillary Clinton, on peut continuer sur la lancée du président Obama », dit M. Adatia, qui est à la tête d’une équipe de 25 analystes et chercheurs. « Avec Trump, on ne peut que s’inquiéter d’un changement de direction. Tout cela crée beaucoup d’incertitude sur le marché ».
Comme on le sait bien, le taux de croissance en Chine est en baisse, mais M. Adatia s’attend à d’autres développements défavorables dans la deuxième économie mondiale. « Il va y avoir d’autres nouvelles négatives, prévoit-il, qui devraient frapper les marchés mondiaux ».
Du côté des évaluations, les marchés boursiers atteignent des sommets, alors que les rendements obligataires ont touché le fond, quitte même à être négatifs dans certains cas. « Normalement, ça ne se passe pas en même temps, dit M. Adatia. Les rendements sont censés grimper quand les marchés sont robustes. Ici, on est simultanément à deux extrêmes. Où donc investir quand les marchés battent tous les records et que les rendements obligataires sont exceptionnellement faibles? Les investisseurs ne plient pas bagage, mais détiennent plus de liquidités. »
M. Adatia, comme il l’avoue lui-même, est un de ces investisseurs qui ont étudié le rapport risque-rendement et en ont conclu que le moment était venu d’une correction du marché et de meilleures évaluations. « En 2013, nous avons connu une bonne période boursière, mais notre opinion était que dans le monde entier, on avait encore des économies en croissance et des données fondamentales qui s’amélioraient. Le rendement était au rendez-vous et le risque n’était pas aussi massif. Le rapport risque-rendement était encore très favorable », dit M. Adatia, un ancien de 15 ans dans l’industrie, détenteur d’un baccalauréat en mathématiques spécialisé dans la science actuarielle de l’Université de Waterloo, qui est entré à Sun Life en 2011.
De nos jours, en revanche, le rapport risque-rendement est déséquilibré. « Je préférerais être plus défensif, avec des liquidités mais aussi une participation substantielle aux obligations, et attendre que ce marché se replie un peu, dit M. Adatia. À ce moment-là, je pourrai redéployer au moins une partie de ces liquidités. » Actuellement, par exemple, le Portefeuille prudent Granite Sun Life (755 M$ d’actifs sous gestion) est constitué à environ 15 % de liquidités, 25 % d’actions et 55 % d’obligations. Le Portefeuille équilibré Granite Sun Life a environ 10 % de liquidités, 35 % d’obligations et 55 % d’actions.
Dans l’intervalle, l’équipe emploie des stratégies axées sur les produits dérivés comme la vente d’options de vente. « Cela nous permet d’attendre patiemment un repli du marché tout en nous faisant payer alors que nous attendons, dit M. Adatia. Plutôt que de garder de l’argent liquide et ne rien gagner, nous essayons de trouver un moyen d’utiliser cet argent liquide et d’obtenir de la valeur tout en restant fidèles à notre stratégie d’attendre que le marché baisse pour nous mettre à acheter. Nous avons tendance à utiliser des options lorsque nous les considérons comme une meilleure valeur que la détention de liquidités, d’actions ou d’obligations aux évaluations actuelles. C’est ce que nous observons en ce moment même. »
Par exemple, quand le vote pour le Brexit a frappé le marché, l’équipe de Sun Life a vendu des options immédiatement après la baisse qui s’est ensuivie. Plus tard, quand le prix du pétrole a atteint 40 $ US le baril à la mi-juillet, elle a vendu des options parce qu’elle croyait que les prix énergétiques étaient trop bas. Et c’est ce qu’elle a fait occasionnellement avec les options sur indices américains. » Il n’y a rien qui force les marchés à la baisse, mais faisons-nous donc payer en attendant. »
Le gain potentiel que l’on tire des placements dans les marchés d’actions est en baisse constante depuis 2012, maintient M. Adatia. « L’occasion d’une hausse n’a cessé de diminuer, alors que les risques se sont accrus », dit-il, notant qu’il avait commencé à recueillir des liquidités il y a un an, au moment où la Chine reconnaissait le ralentissement de la croissance de son PIB.
M. Adatia affirme que les affectations d’actifs stratégiques, qui sont généralement fixes ou ne présentent que peu de variations, s’imposent pendant les longues périodes où les marchés se comportent de façon rationnelle. « Normalement, les gens se disent qu’ils vont gagner de 4 à 5 % sur le marché obligataire et de 8 à 9 % sur celui des actions. »
Mais avec des rendements obligataires si faibles, « on ne va pas obtenir un rendement de 4 à 5 % avant dix ans, dit M. Adatia, et il faut donc se pencher sur le rapport risque-rendement, et se dire : « ma combinaison stratégique n’a aucun sens dans cette conjoncture. Il faut que j’ajuste ma tactique à ce qui se passe en ce moment et ce que je peux obtenir sur le marché actuel. »