Point d’interrogation, choix de l’esprit avec l’homme d’affaires pensant.
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Un projet de catégorie de fonds d’investissement met en lumière les opinions mitigées du secteur des services financiers quant à l’idée de donner aux investisseurs individuels un meilleur accès aux marchés privés, les observateurs exprimant des sentiments allant de l’enthousiasme au scepticisme le plus total.

La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) envisage la création d’une nouvelle catégorie de fonds appelée Ontario Long-Term Asset Fund (OLTF). Ces fonds permettraient aux investisseurs de la province de s’exposer à des actifs illiquides tels que la dette privée, le capital-investissement, les projets d’infrastructure et de ressources naturelles dans un véhicule similaire à un fonds commun de placement.

La consultation de l’autorité de régulation sur cette nouvelle catégorie, qui s’est terminée le 14 février, présente cette initiative comme « une occasion d’améliorer l’accès des investisseurs individuels aux actifs à long terme par le biais de structures de produits de fonds d’investissement ». Mais tout le monde n’est pas convaincu que ce soit une bonne idée.

« Nous sommes très préoccupés par le fait que la CVMO veuille ouvrir cette catégorie aux investisseurs individuels », rapporte Ken Kivenko, président de Kenmar Associates, une organisation de défense des investisseurs basée en Ontario.

Ken Kivenko s’inquiète chaque fois que le secteur tente d’élargir l’accès des investisseurs individuels à des investissements non traditionnels, en particulier après des incidents tels que l’effondrement du marché du papier commercial adossé à des actifs au Canada en 2007.

Le cadre proposé permettrait à un nouveau type de fonds d’investissement de détenir un pourcentage plus élevé d’actifs illiquides dans son portefeuille que ce qui est actuellement autorisé pour les fonds communs de placement et les fonds d’investissement à capital fixe (FICF) en vertu de la norme nationale 81-102.

Actuellement, il est interdit aux fonds communs de placement (à l’exception des fonds communs alternatifs) et aux FICF de détenir un actif illiquide si, immédiatement après l’achat, plus de 10 % ou 20 %, respectivement, de leur valeur liquidative est constituée d’actifs illiquides. Il leur est également interdit de détenir certains types d’actifs à long terme, notamment des biens immobiliers et des hypothèques non garanties.

En vertu de la proposition, les OLTF seraient tenus d’investir entre 50 % et 90 % de leur valeur nette d’inventaire dans des actifs non liquides, le reste étant investi dans des actifs liquides afin de permettre au fonds de gérer ses besoins de liquidités. Le fonds serait également tenu de divulguer le type d’actifs non liquides qu’il détient et d’expliquer ses objectifs d’investissement.

Entre autres choses, la CVMO propose également que les OLTF prennent la forme d’un fonds à durée déterminée ou d’un fonds permanent, dont les rachats seraient limités à une fois par mois, par trimestre, par semestre ou par an, et que les OLTF « comprennent des actifs à forte intensité capitalistique en Ontario », sans toutefois se limiter aux actifs situés dans la province.

Le document de consultation indique que le gouvernement de l’Ontario « cherche des moyens novateurs de financer les transports, le logement, l’énergie et les services municipaux, notamment en faisant appel aux investissements du secteur privé des caisses de retraite et d’autres institutions ».

La CVMO n’a pas répondu à une demande de commentaires sur les motivations de la proposition et sur les préoccupations des défenseurs des investisseurs qui estiment que les OLTF présentent trop de risques pour les investisseurs individuels.

Toutefois, dans son document de consultation, l’organisme de réglementation a déclaré que son rôle n’était pas de « commenter les mérites » des actifs illiquides, mais plutôt de « veiller à ce que les avantages et les risques de ces investissements soient clairs au moment où nous déterminons si, et comment, nous devons élaborer un cadre réglementaire qui permettrait aux investisseurs de détail d’y accéder plus facilement ».

Des risques accrus

Si donner aux petits investisseurs l’accès à des possibilités qui existent pour d’autres types d’investisseurs est un « objectif louable », les investissements sur le marché privé sont plus risqués, prévient Jean-Paul Bureaud, directeur exécutif, président et chef de la direction de l’organisation de défense des investisseurs FAIR Canada.

« Je pense que la vraie question qui se pose dans les termes de la proposition présentée par la CVMO est de savoir si ce qu’elle propose répond pleinement et de manière adéquate à ces risques accrus », continue-t-il.

Parmi ces risques, on trouve une transparence moindre sur les marchés privés par rapport aux marchés publics, ainsi que des évaluations moins fréquentes des investissements dans les marchés privés, ce qui rend l’évaluation de leur juste valeur plus complexe, explique-t-il.

L’illiquidité est un autre risque important.

Les investisseurs particuliers n’ont pas autant d’argent à immobiliser sur de longues périodes ou à absorber des pertes potentiellement importantes que les investisseurs institutionnels et fortunés, qui investissent depuis longtemps dans des actifs à long terme, rappelle Jason Pereira, gestionnaire de portefeuille chez IPC Securities Corp. à Toronto.

« La vraie question est la suivante : les personnes disposant d’actifs plus modestes devraient-elles prendre des paris illiquides comme celui-ci alors qu’elles sont plus susceptibles d’avoir besoin de retirer ou d’accéder à ce capital dans des périodes plus courtes, à court terme ? Ou encore, ont-ils nécessairement pris en compte les besoins fondamentaux de leur retraite », s’interroge-t-il.

Jason Pereira affirme que cela lui rappelle la façon dont certains clients potentiels lui posent des questions sur les investissements à haut risque parce qu’ils pensent qu’ils peuvent obtenir des « rendements spectaculaires » même s’ils n’ont pas d’argent mis de côté dans un CELI ou un REER.

« Est-ce là le comportement que nous encourageons ? », se questionne-t-il.

Par ailleurs, Jason Pereira se demande si l’Ontario devait élargir l’accès des investisseurs aux marchés privés, compte tenu des « fiascos massifs de l’investissement privé » qui se sont produits dans la province et ailleurs. Il cite notamment le cas de Bridging Finance. L’automne dernier, le Tribunal des marchés financiers de la province a jugé que les fondateurs de ce gestionnaire de fonds alternatifs en faillite s’étaient livrés à une fraude, et l’effondrement de la société devrait se traduire par des pertes de plus d’un milliard de dollars pour les investisseurs.

Harold Geller est un avocat du cabinet Geller Law dont la pratique se concentre sur la distribution au détail de produits financiers et sur les pertes financières. Il affirme qu’il lui est difficile d’imaginer qu’il existe si peu d’investisseurs capables de prendre des risques pour investir dans des actifs privés illiquides et dans les fonds qui les détiennent.

« Il ne fait aucun doute qu’investir dans ces sociétés et ces fonds est un pari aveugle. C’est un pari que peu de gens peuvent se permettre », affirme l’expert dans un courriel.

Les investisseurs individuels et les conseillers n’ont pas le même niveau d’expertise et de ressources que les fonds de pension et les grands gestionnaires d’actifs pour effectuer un contrôle préalable indépendant sur des produits aussi complexes, souligne Harold Geller.

Pour répondre à cette préoccupation, la CVMO propose que les investisseurs de détail puissent investir dans les fonds aux côtés de gestionnaires d’actifs expérimentés, d’investisseurs institutionnels et d’autres investisseurs sophistiqués de type « cornerstone ». Cela pourrait « atténuer les difficultés rencontrées par les OLTF pour calculer la valeur liquidative et renforcer la confiance dans l’évaluation des actifs de leur portefeuille », selon le document de consultation.

Marc-André Lewis, président et directeur des investissements de CI Global Asset Management (CI GAM), souhaite savoir clairement qui serait considéré par la CVMO comme un investisseur « clé de voûte » et quelle serait la motivation de ces investisseurs à investir dans des OLTF aux côtés d’investisseurs particuliers.

Il a également suggéré que les OLTF bénéficieraient d’une plus grande marge de manœuvre dans la répartition de l’actif et d’un plus grand bassin d’investisseurs qui s’étendrait au-delà des frontières de l’Ontario.

Dans l’ensemble, cependant, Marc-André Lewis accueille favorablement la proposition de la CVMO, la décrivant comme une étape vers la « démocratisation » de l’accès aux stratégies d’investissement à long terme sur le marché privé. Sa société est l’une des nombreuses au Canada à offrir des fonds du marché privé aux investisseurs accrédités et il estime que « la prochaine étape logique » est de rendre ces produits accessibles à un public plus large.

« Pour moi, tant que le produit est bien construit, ce qui semble être le cas [dans cette proposition], je pense qu’il s’agit d’une bonne évolution pour le secteur des marchés de capitaux et pour le secteur de l’investissement ou de la gestion d’actifs au Canada, affirme-t-il. Comme toute nouveauté, elle s’accompagne d’un ensemble de risques nouveaux et spécifiques. Je pense qu’il est important que les gens les comprennent, et je pense qu’ils sont très bien décrits dans le document de consultation ».

Marc-André Lewis reconnait que les actifs privés sont souvent perçus comme plus risqués que les actifs publics, mais il souligne qu’une allocation bien calibrée peut diversifier les portefeuilles et les rendre « plus robustes ».

En outre, il pense que personne ne devrait investir dans ces produits à moins de vouloir et de pouvoir bloquer son capital pendant une période déterminée, et qu’une liquidité limitée peut être bénéfique dans certains cas où les investisseurs réagissent de manière excessive à la volatilité du marché.

Tom Bradley, président et cofondateur de Steadyhand Investment Management, espère que la CVMO s’attaquera à la nature « opaque » des investissements sur les marchés privés avec les OLTF.

« Je suis d’accord avec l’intention de la proposition, dit-il. J’espère qu’elle ne paralysera pas le secteur, mais je pense que nous avons besoin de plus de transparence. »

Affaiblissement des marchés publics

La CVMO assure que les commentaires des parties prenantes seront pris en compte dans la prochaine phase de la proposition, qui devrait être la publication pour commentaires de propositions d’amendements aux règles et de changements de politique qui soutiendraient la mise en œuvre de structures de produits de fonds d’actifs à long terme.

La consultation a reçu de nombreuses lettres de commentaires mettant en doute l’objectif de détourner l’argent des marchés publics et de les affaiblir. Ces commentaires suggèrent également que la proposition de l’OLTF est « motivée par l’offre, et non par les clients ».

Ken Kivenko, pour sa part, déclare que la proposition semble être motivée par le secteur des fonds communs de placement, qui a été menacé ces dernières années en raison de la croissance rapide du secteur des fonds négociés en Bourse.

Il doute également de la légitimité de la prime d’illiquidité citée dans la proposition, notant que les études font état de résultats mitigés et que les frais de gestion et les commissions basées sur la performance des fonds d’actifs à long terme pourraient réduire cette prime. Le document de consultation indique que la « prime d’illiquidité est destinée à compenser les investisseurs pour le risque de ne pas être en mesure de liquider rapidement ces actifs, en particulier pendant les périodes de volatilité du marché ».

Marc-André Lewis, de CI GAM, souligne qu’il est courant qu’une classe d’actifs offre une prime d’illiquidité plus élevée lorsqu’elle est introduite pour la première fois sur le marché, mais qu’à mesure que le marché devient plus mature et plus efficace, la prime tend à se réduire. Par conséquent, il met en garde contre l’extrapolation des données relatives aux actifs illiquides d’il y a plusieurs années et l’attente du même niveau de rendement, mais il ajoute qu’il n’irait pas jusqu’à dire qu’il n’y a plus de prime dans ces actifs.

Ken Kivenko se demande pourquoi la CVMO a présenté la proposition de fonds d’actifs privés à long terme de son propre chef, au lieu de travailler avec les régulateurs du pays.

« Nous ne comprenons pas. Il est très rare que les autres provinces et territoires ne veuillent pas participer à une initiative aussi positive pour les investisseurs individuels. »