Les fonds négociés en Bourse (FNB) devraient continuer à gagner des parts de marchés par rapport aux fonds communs de placement dans les prochaines années. Or, l’écart entre le Canada et les États-Unis dans l’adoption des FNB devrait se poursuivre.
C’est la prédiction que fait Marchés des capitaux CIBC, dans une étude publiée en novembre rédigée par une équipe d’analystes qui comprend JinYan, Ian de Verteuil et Shaz Merwat. L’équipe cible divers facteurs qui expliquent ces tendances.
Ainsi, l’adoption des FNB aux États-Unis se fait à un rythme plus rapide que celui de l’adoption des FNB au Canada. Au sud de la frontière, les FNB représentent 30 % des actifs en fonds communs de placements américains. Or, au Canada, les FNB représentent 25 % des actifs en fonds communs canadiens, même en tenant en compte les actifs en FNB américaines qui appartiennent à des Canadiens, d’après Marchés des capitaux CIBC.
La dominance de certains réseaux de distribution au Canada explique l’écart d’adoption entre les deux pays, selon la CIBC. En effet, les six plus importantes banques canadiennes administrent 70 % de l’actif en courtage de plein exercice et 80 % de l’actif en courtage à escompte/en ligne.
Considérant que ces institutions financières ont chacune beaucoup investi dans le développement de ses activités de fonds communs, « la motivation pour passer à une structure différente était peut-être moins évidente qu’aux États-Unis, où les canaux de distribution sont beaucoup plus fragmentés », indiquent les auteurs du rapport. Ceux-ci soulignent cependant que BMO est une exception, car la banque a accordé la priorité à ses activités dans le domaine des FNB en 2009.
Il reste que, lorsqu’on compare les coûts des FNB à ceux des fonds communs, ces derniers sont plus élevés que ceux des premiers, « ce qui fait des fonds communs de placement une activité beaucoup plus rentable ».
« Il est clair que les institutions financières sont incitées à préserver le statu quo et à continuer à se concentrer sur leurs activités les plus rentables (c’est-à-dire les fonds communs de placement à frais plus élevés) », lit-on dans l’étude de Marchés des capitaux CIBC.
D’ailleurs, cet écart de frais stimule les créations nettes de FNB, mais il ne faut toutefois pas sous-estimer la puissance des réseaux de distribution. L’année 2021, les ventes nettes de fonds communs se sont élevées à 113,6 G$ par rapport à 58,3 G$ pour les créations nettes de FNB, selon les données de l’Institut des fonds d’investissement du Canada. En 2022 et 2023, par contre, les créations nettes de FNB se sont chiffrées à 73,7 G$ par rapport à des rachats nets de fonds communs de respectivement 100,8 G$ durant ces deux années.
Par ailleurs, la relativement faible utilisation des comptes à honoraires chez les courtiers/conseillers explique également l’écart dans l’adoption des FNB au Canada. En effet, la quasi-totalité de FNB n’offrent pas de commission de suivi aux conseillers alors que les séries du genre sont souvent offertes pour les fonds communs.
Cette situation a contribué à « inciter les conseillers à recommander les fonds communs de placement plutôt que d’autres produits et à les acheter pour le compte de leurs clients », lit-on dans l’étude.
La situation pourrait s’atténuer au fur et à mesure que les conseillers adoptent des comptes à honoraires. Selon Marchés des capitaux CIBC, la croissance des actifs dans ces comptes a été supérieure à celles dans les comptes à commission. En effet, de décembre 2017 à juin 2023, le taux de croissance annuel composé (TCAC) des comptes à honoraires basés sur des actifs était de 8,7 % par rapport à 3,4 % de TCAC dans les comptes à commissions pour le secteur du courtage de plein exercice, selon CIBC et Investor Economics.
En 2023, alors qu’en moyenne, plus de 80 % des revenus des conseillers en placement provenaient de comptes à honoraires, cette proportion était plus faible chez les conseillers liés à des courtiers multidisciplinaires figurant au Pointage des courtiers multidisciplinaires.
De manière agrégée, le pourcentage moyen du revenu brut sous forme d’honoraires des conseillers liés à des courtiers multidisciplinaires s’élevait à 25,7 % en 2023, en hausse par rapport à 16,1 % en 2022, selon le Pointage des courtiers multidisciplinaires 2023. Cela inclut les honoraires basés sur les actifs dans des comptes non discrétionnaires et les honoraires basés sur les actifs pour la gestion discrétionnaire.
L’adoption progressive, chez les courtiers d’exercice restreint, des comptes autogérés, aussi désignés comptes nominee, pourrait favoriser éventuellement la distribution de FNB.
La structure d’accès aux FNB pourrait également expliquer le retard dans l’utilisation des FNB par les conseillers, selon Marchés des capitaux CIBC. Ainsi, les fonds communs de placement sont vendus directement aux conseillers et à leurs investisseurs, tandis que les FNB sont négociés sur les marchés boursiers, souvent avec des mainteneurs de marché agissant en tant qu’intermédiaires.
Cette situation et ces intermédiaires créer un certain anonymat pour les investisseurs en FNB. Ceci peut être perçu comme un avantage du point de vue de l’investisseur, mais, pour la société de fonds, il est considéré comme un inconvénient puisqu’elle n’est pas en mesure de suivre la propriété de ses FNB avec précision. « Les structures de rémunération traditionnelles offrent généralement des commissions de vente aux démarcheurs des sociétés émettrices de fonds communs. Ainsi, la possibilité de suivre la propriété des fonds communs de placement favorise ces produits plutôt que les FNB, qui sont beaucoup plus difficiles à suivre », lit-on dans l’étude de Marchés mondiaux CIBC.
Par ailleurs, l’adoption des FNB aux États-Unis est plus forte étant donné que les investisseurs y étaient déjà habitués à l’investissement indiciel. Au Canada, notamment en raison du réseau de distribution, l’intérêt pour un outil de placement indiciel était moins grand, selon les auteurs de l’étude.
L’actif canadien en fonds communs et en fonds négociés en Bourse (FNB) indiciels est passé de 9 % en 2018 à 14 % en 2023 alors que l’actif en fonds d’investissement indiciels américaines, de 40 % à 49 % sur la même période.
En outre, l’adoption des FNB aux États-Unis a été facilitée par un avantage fiscal inhérent à la structure des FNB, lequel n’est pas présent pour les fonds communs de placement, selon Marchés des capitaux CIBC. Ainsi, en règle générale, lorsque les gestionnaires de fonds vendent des titres qui ont pris de la valeur (par exemple, pour répondre aux demandes de rachat du fonds), le fonds réalise des gains en capital qui sont distribuées aux détenteurs de parts chaque année. « Toutefois, si les rachats sont effectués en nature plutôt qu’en espèces, le fonds est exonéré de la réalisation des gains en vertu de la section 852(b)(6) de l’Internal Revenue Code », lit-on dans la note.
Aux États-Unis, les FNB ont largement profité de cette règle, car les courtiers agréés peuvent facilement faciliter les rachats en nature, alors que les rachats de fonds communs de placement sont presque toujours effectués en espèces. « Cet avantage structurel a permis aux FNB de reporter des milliards de dollars de gains en capital imposables qui auraient autrement été réalisés dans le cadre d’un fonds commun de placement, et a probablement accéléré le passage aux FNB », selon le texte de Marchés des capitaux CIBC.
Au Canada, la structure des FNB n’est pas intrinsèquement plus avantageuse sur le plan fiscal par rapport aux fonds communs de placement. « Cette différence de réglementation entre les États-Unis et le Canada explique probablement une partie de l’écart entre les taux d’adoption », explique-t-on dans la note.
Croissance en vue
En plus des facteurs identifiés précédemment, d’autres éléments pourraient favoriser la croissance de l’industrie canadienne des FNB dans les prochaines années.
D’abord, l’utilisation de FNB américains par des investisseurs canadiens pourrait continuer de diminuer, favorisant les émetteurs de fonds canadiens. En effet, historiquement, certains investisseurs canadiens préfèrent utiliser des FNB plus importants et plus connus cotés aux États-Unis. Ces fonds bénéficient d’une couverture médiatique beaucoup plus importante en raison de la taille du marché et se sont également taillé une place dans les portefeuilles de nombreux investisseurs canadiens.
Or, utiliser un FNB américain comporte certains désavantages fiscaux pour un Canadien, selon sa situation. Par exemple, celui-ci pourrait devoir remplir le formulaire T-1135 avec sa déclaration de revenus s’il détient pour 100 000 $ ou plus en FNB américains, qui sont considérés comme des biens étrangers, selon Marchés des capitaux CIBC.
De plus, quand ils investissent à l’extérieur du Canada par l’intermédiaire de FNB, les clients doivent prendre en considération l’effet de la retenue d’impôt étranger (RIE) sur les gains de leur investissement. Cette retenue d’impôt étranger peut se transformer en coût irrécupérable par exemple lorsqu’ils investissent dans des FNB américains qui détiennent des actions internationale (non américaines).
Selon Marchés des capitaux CIBC, les investisseurs canadiens sont de plus en plus conscients de ces questions et choisissent d’utiliser davantage de FNB nationaux au cours des dernières années. Par exemple, en décembre 2019, 69 % de l’actif en FNB d’investisseurs canadien était dans FNB cotés au Canada et 31 % en FNB cotés aux États-Unis. En septembre 2023, cette proportion est passée à 73 % pour les FNB cotés au Canada, selon l’étude.
Enfin, dans le segment des investisseurs de détail, le secteur du courtage en ligne et à escompte, lequel est réceptif à l’utilisation des FNB, croît à un rythme plus élevé que celui du courtage de plein exercice. Le TCAC du premier secteur a été de 10,6 % de décembre 2013 à juin 2023 par rapport à 7,4 % pour le second durant la même période, selon une analyse de Marchés des capitaux CIBC et Investor Economics.