Pour les producteurs et les utilisateurs de combustibles fossiles, les crédits de carbone émis par les organismes de réglementation sont essentiellement un permis de polluer. Pour trois fournisseurs canadiens de fonds négociés en Bourse (FNB), ils représentent une opportunité dans une nouvelle catégorie d’actifs alternatifs.
La thèse d’investissement de ces crédits – également appelés quotas – suppose que les gouvernements vont non seulement continuer à imposer des restrictions sur les émissions de carbone, mais que ces restrictions vont devenir plus strictes au fil du temps.
« Cela fera augmenter le prix du carbone, ce qui signifie que le prix de ces quotas augmentera à long terme », assure John Wilson, co-chef de la direction et associé directeur de Ninepoint Partners, basé à Toronto.
Le FNB de crédit carbone Ninepoint et le FNB Horizons crédits carbone ont tous deux été lancés en février. Le plus récent est le FNB indiciel de crédits carbone mondiaux TD, lancé en août. Le fournisseur à faible coût est de loin la TD, dont les frais de gestion de 0,65 % sont inférieurs de 10 points de base à ceux de ses deux rivaux.
La croissance des actifs a été lente, avec un total combiné d’un peu plus de 20 millions de dollars (M$) détenus dans les trois fonds. De ce total, environ la moitié est détenue dans la stratégie Ninepoint, qui est également disponible sous forme de fonds commun de placement. Horizons possède 7,3 M$ d’actifs, suivi de TD avec environ 3 M$.
Bien que leurs stratégies ne soient pas identiques, les trois fonds obtiennent leur exposition aux crédits de carbone par l’intermédiaire de contrats à terme : des obligations d’acheter des crédits à un prix prédéterminé à une date future. Une fois par an, les contrats à terme sur le carbone sont liquidés, avec un bénéfice ou une perte, et reconduits dans de nouveaux contrats d’un an.
Le marché le plus important et le plus liquide est celui des quotas de l’Union européenne (UE), sur lequel sont basés les FNB Horizons et TD. Le FNB TD cherche à suivre l’indice Solactive Global Carbon Credit Total Return CAD Hedged Index ; Horizons utilise un indice propriétaire axé sur l’Europe, maintenu et calculé par Solactive AG, basé à Francfort.
Ninepoint adopte une approche géographiquement diversifiée avec un portefeuille de contrats à terme également pondéré entre quatre bourses : les quotas de l’UE dominante, la Californie/Québec, l’est des États-Unis et le Royaume-Uni.
John Wilson estime que la valeur combinée des crédits négociés sur ces bourses avoisine les 1 000 G$ US, dont près de 90 % pour le système d’échange des quotas de l’UE. « Nous avons estimé que la surpondération des indices nord-américains par rapport à la pondération du marché offrait un plus grand potentiel de hausse pour le produit au fil du temps », rapporte-t-il.
Horizons et Gestion de Placements TD affirment tous deux qu’ils pourraient ajouter une exposition à d’autres bourses à l’avenir, au fur et à mesure que ces marchés se développent et s’échangent plus activement.
« La méthodologie [d’Horizons] comporte une règle qui exige un certain niveau de liquidité, affirme Mark Noble, vice-président directeur, stratégie des FNB, à Horizons ETF Management (Canada) de Toronto. À l’heure actuelle, les crédits européens sont les seuls qui répondent fondamentalement à ce critère de liquidité. »
Les trois émetteurs de FNB considèrent que leurs FNB présentent un risque élevé. Jusqu’à présent, la volatilité s’est surtout manifestée à la baisse. Peu après les deux lancements de février, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait chuter les prix des crédits de carbone, notamment ceux de la bourse européenne.
La préoccupation immédiate, selon John Wilson, serait une récession massive en Europe qui réduirait les émissions de combustibles fossiles et diminuerait la demande de crédits carbone. Il y avait également une fuite générale des actifs européens, y compris des crédits carbone, et la crainte que les pénuries d’énergie n’incitent les gouvernements à revenir sur leurs objectifs de réduction des émissions.
Début mars, le FNB de Ninepoint était en baisse de 17 % et celui de Horizons, uniquement européen, avait perdu un tiers de sa valeur initiale. « Bien que la détention de crédits carbone présente certains avantages en termes de diversification, elle est très volatile », constate Mark Noble.
Début décembre, Horizons avait récupéré la quasi-totalité de ses pertes depuis sa création, et Ninepoint et le nouveau FNB TD étaient tous deux en territoire positif.
« Nous n’avons pas fondé notre thèse d’investissement sur un horizon à court terme », déclare John Wilson.
Même avec une récession, ajoute-t-il, les coûts énergétiques resteront élevés, ce qui peut faire grimper le prix des quotas de carbone.
Selon Mark Noble, si le prix du gaz naturel – un élément clé du coût de l’électricité en Europe – reste élevé, il est probable qu’il y aura un certain passage au charbon. « Cela créera probablement une plus grande demande de crédits carbone, car le charbon a évidemment une charge de carbone beaucoup plus élevée. »
Bien que le prix des crédits carbone puisse servir à inciter les entreprises à réduire leurs émissions, les crédits ne sont pas considérés comme un investissement ESG.
« Leur utilisation permet la poursuite de la propagation des combustibles carbonés », explique Mark Noble. Or, pour les investisseurs qui s’inquiètent des émissions, précise-t-il, les crédits de carbone constituent un investissement plus acceptable que les producteurs d’énergie et les entreprises qui utilisent des combustibles fossiles.
« Vous obtenez une exposition corrélée à l’utilisation des produits de base et à l’utilisation des combustibles carbonés, mais vous investissez aussi directement dans quelque chose conçu pour réduire leur utilisation, résume-t-il. Cela en fait donc un outil de portefeuille très puissant, en particulier pour les conseillers en placement ou les conseillers qui tentent de donner une orientation un peu plus environnementale à leur portefeuille. »
Pour les investisseurs qui ne sont pas opposés aux combustibles fossiles, un fonds investissant dans l’énergie traditionnelle et un fonds de crédits carbone peuvent se compléter dans un portefeuille, suggère John Wilson. Sa société gère également le Fonds énergie Ninepoint, qui, début décembre, affichait un rendement de 56 % depuis le début de l’année.
« Sur le long terme, nous pensons que les crédits de carbone sont un très bon outil d’investissement, avance John Wilson. Vous pouvez donc avoir deux bons investissements qui, si vous le souhaitez, se compensent mutuellement du point de vue des émissions. »