Le secteur de l’énergie traditionnel est sous pression, car les gouvernements s’engagent à réduire les émissions de carbone et les investisseurs institutionnels sont de plus en plus réticents à lui apporter un soutien financier.
Pourtant, paradoxalement, les actions pétrolières et gazières – ainsi que les fonds négociés en Bourse (FNB) et les fonds communs de placement qui y investissent – ont bondi cette année. Par exemple, malgré une récente baisse du prix du pétrole, le FNB iShares S&P/TSX Capped Energy Index était en hausse de 76,3 % du début de janvier au 30 novembre 2021.
En revanche, les trois FNB d’énergie propre cotés en bourse au Canada qui ont fait leurs débuts cette année ont trébuché dès le départ. Les parts de ces trois fonds sont en baisse par rapport à leur date de lancement.
L’incertitude quant à l’évolution de la demande de pétrole dans une décennie et au-delà dissuade les compagnies pétrolières et les gouvernements d’investir dans de nouvelles productions, explique Eric Nuttall, gestionnaire de portefeuille principal chez Ninepoint Partners LP. « Cela a un impact immédiat sur l’offre, a précisé Eric Nuttall lors de la conférence Mindpath ETF en octobre, et c’est l’une des principales raisons pour lesquelles le monde se précipite vers une crise énergétique. »
Alors que la demande de pétrole est sur le point de se remettre de son grave effondrement dû à la pandémie et qu’elle continue de croître, le gestionnaire du Ninepoint Energy Fund signale que l’offre ne suit pas.
Selon Eric Nuttall, l’époque de l’hypercroissance de la production de pétrole aux États-Unis est révolue, car ces sociétés allouent une plus grande partie de leurs flux de trésorerie aux dividendes exigés par les investisseurs et moins à l’exploration. De même, le manque de nouveaux investissements fait que l’OPEP sera à court de capacité de réserve d’ici l’automne 2022, prédit-il.
Troisièmement, Eric Nuttall informe que les multinationales appelées « super-majors » comme BP et Royal Dutch Shell laissent la production de pétrole baisser afin de libérer des capitaux pour investir dans les sources d’énergies renouvelables. Sa conclusion : la flambée des actions des sociétés du secteur énergétique est loin d’être terminée. « Je pense que le marché haussier pluriannuel du pétrole durera au moins cinq ou six ans. »
Eric Nuttall ajoute que 40 % de la demande de pétrole est destinée à des applications telles que la pétrochimie, les plastiques et le caoutchouc, qui ne peuvent être fabriquées sans pétrole. À moins d’une récession ou d’une dépression mondiale, ou d’une nouvelle souche de virus résistante aux vaccins, « il n’y a aucun risque à court terme pour la demande [de pétrole] que je puisse prévoir ».
À la fin du mois dernier, l’un de ces risques est apparu. Un nouveau variant de la COVID-19 en Afrique du Sud a fait chuter le prix du pétrole d’environ 10 dollars par baril le 26 novembre à 68,15 $ US, soit la plus forte baisse depuis le début de la pandémie, les investisseurs tentant d’évaluer un autre ralentissement potentiel de l’économie mondiale. Les actions des grandes compagnies pétrolières ont chuté.
À 70 dollars américains le baril, confie Eric Nuttall, la société pétrolière canadienne moyenne qu’il suit pourrait se privatiser en rachetant toutes ses actions et devenir sans dette, avec seulement cinq à six ans de flux de trésorerie disponible. « Le marché attribue très clairement une valeur nulle aux réserves de ressources pour les flux de trésorerie au-delà des deux prochaines années. »
Le baril de West Texas Intermediate a clôturé à 69,49 dollars américains le 6 décembre.
Les évaluations actuelles sont plus favorables au secteur de l’énergie conventionnelle qu’à celui de l’énergie propre, expose Karl Cheong, responsable des FNB chez FT Portfolios Canada Co., qui opère sous le nom de First Trust Canada.
Karl Cheong énonce les récents ratios cours-bénéfices à terme, relativement modestes, de 15 fois pour l’indice S&P 500 Énergie et de 13 fois pour l’indice S&P/TSX Énergie. En comparaison, l’indice S&P Global Clean Energy était beaucoup plus cher, soit 40 fois.
Le FNB First Trust NASDAQ Clean Edge Green Energy, lancé en février à la Bourse de Toronto, affiche un ratio cours-bénéfice futur encore plus élevé, soit 60, selon Karl Cheong. La pondération la plus importante de ce FNB était de plus de 40 % dans la technologie, suivie de 24 % dans les produits de consommation cyclique, y compris les constructeurs d’automobiles électriques. Contrairement à sa filiale américaine, First Trust Canada ne propose pas de FNB d’énergie conventionnelle.
« Les sociétés d’énergie renouvelable, les sociétés de technologie verte – ce sont des sociétés technologiques, ce qui signifie que leurs flux de trésorerie futurs sont plus éloignés », indique Karl Cheong. Comme pour les autres sociétés de croissance, les actions des sociétés d’énergie propre ont été plus durement touchées cette année par la hausse des taux d’intérêt que les actions de type « valeur ».
Lorsqu’on compare la performance de l’énergie conventionnelle au thème multisectoriel de l’énergie propre, Karl Cheong convient que les conseillers et les investisseurs doivent regarder au-delà des tendances les plus récentes. Par exemple, au cours de sept des huit dernières années civiles, le secteur de l’énergie propre a surpassé les indices de l’énergie et du pétrole aux États-Unis.
« Les taux de croissance annuels composés dans le secteur de l’énergie verte dépasseront de loin ceux de l’énergie [traditionnelle] à long terme, soutient Karl Cheong. En tant qu’investisseur intéressé par ces secteurs, la question est de savoir dans quel secteur, à long terme, vous placeriez le plus d’argent. Notre point de vue est que c’est l’énergie propre et la technologie dans cet espace qui réduit le coût et le rend plus efficace. »
Les FNB ayant pour thème l’énergie propre sont généralement investis dans plusieurs secteurs autres que l’énergie. Par exemple, le portefeuille de 40 titres de l’ETF Harvest Clean Energy est investi pour moitié dans des services publics, ce qui en fait un placement axé sur la production d’énergie renouvelable. Les incitations gouvernementales et la baisse des coûts ouvrent la voie à une forte croissance à long terme, selon les gestionnaires de Harvest.
La production d’électricité est un secteur « où il est beaucoup plus facile de faire la transition vers les énergies renouvelables, assure Mike Dragosits, gestionnaire de portefeuille chez Harvest Portfolios Group. Vous avez des engagements de la part des gouvernements du monde entier pour faire la transition. »
Les initiatives en matière d’énergie propre sur la production d’électricité et le transport comprennent tout, des promesses de décarbonisation convenues lors de la conférence COP26 du mois dernier en Écosse, aux milliards de dollars de dépenses et de subventions pour les infrastructures d’énergie propre signées par le président américain Joe Biden, en passant par les politiques sur les taxes sur le carbone du gouvernement du premier ministre Justin Trudeau.
Alors que le monde s’oriente vers la décarbonisation, Eric Nuttall de Ninepoint avise que les gens ne se rendent pas compte du temps qu’il faudra pour passer aux carburants renouvelables et aux véhicules électriques pour les 60 % de la demande de pétrole qui sont liés au transport.
« Il y a 1,3 à 1,4 milliard de voitures qui doivent être déplacées. Ce nombre augmente chaque année avec la croissance de la population mondiale et l’augmentation du niveau de vie. Et pourtant, le total des ventes de VE (voitures électriques) l’année dernière était de cinq millions. »
Selon Eric Nuttall, ce que l’on oublie souvent, c’est la source des intrants nécessaires aux solutions à émissions nulles telles que les voitures électriques. Dans de nombreux pays, où l’électricité est produite par des centrales au charbon, « c’est vraiment une voiture électrique au charbon. Est-ce mieux ? »
Selon Mike Dragosits, les considérations environnementales, sociales et de gouvernance sont compliquées par des méthodologies ESG très différentes. Celles qui utilisent des critères de sélection négatifs excluent toutes les entreprises de combustibles fossiles, tandis que d’autres classent ces entreprises sur une base relative au sein de leurs groupes de pairs du secteur. « Or, dans une perspective plus large, vous allez vous concentrer sur le côté énergie propre par opposition au pétrole et au gaz traditionnels. »
Toutefois, les deux types de fournisseurs d’énergie ne s’excluent pas mutuellement. Karl Cheong note que les géants de l’énergie réalisent des investissements substantiels dans les énergies renouvelables. « Les modèles économiques sont en train de changer. Ils essaient de s’adapter pour survivre dans un nouvel environnement. »