Des experts croyaient que ce ne serait qu’une question de temps avant que la gratuité des commissions sur l’achat et la vente d’actions devienne la norme au Canada, mais les grandes banques canadiennes n’ont pas suivi, malgré la concurrence d’autres plateformes de courtage qui offrent les commissions « à zéro dollar ».
Au Canada, Wealthsimple, dont Power Corporation est le principal actionnaire, n’exige pas de frais sur les transactions d’actions et de fonds communs négociés en Bourse (FNB) depuis 2018. Lorsque Banque Nationale et Desjardins ont emboîté le pas en 2021, bien des experts anticipaient que la décision des deux institutions québécoises aurait un effet domino sur les cinq grandes banques canadiennes (RBC, TD, Scotia, BMO et CIBC), ce qui n’est pas encore arrivé.
Les frais des plateformes de courtage en ligne affiliées aux grandes banques canadiennes oscillent entre 5 $ et 10 $ la transaction. Certaines ont des offres promotionnelles ciblées: par exemple, la gratuité pour une durée de temps limitée après l’ouverture d’un nouveau compte, un nombre de transactions gratuites sur l’application mobile, des transactions gratuites pour les FNB seulement ou la gratuité pour les investisseurs de moins de 25 ans.
La gratuité des transactions d’actions aura été un argument de vente convaincant, selon une étude de la firme ISS Market Intelligence, dévoilée à la fin du mois de décembre. Ensemble, Desjardins, Nationale et Wealthsimple ont accaparé près de la moitié des nouveaux comptes de courtage ouverts au cours de la période de 12 mois terminée à la fin juin 2022.
L’attrait est particulièrement fort chez les plus jeunes investisseurs autonomes, constate le directeur associé d’ISS Market Intelligence, Vince Linsley. Il souligne que 44 % des comptes détenus par une personne de moins de 35 ans le sont auprès d’un courtier n’ayant pas de frais de commission sur les actions. Cette proportion tombe à 15 % pour les plus de 35 ans. « J’étais curieux et j’en ai discuté avec de plus jeunes membres de mon équipe et les frais de commissions, c’est vraiment quelque chose de très important pour eux », raconte-t-il.
La stratégie a « très bien fonctionné » pour la Banque Nationale, selon son président et chef de la direction, Laurent Ferreira. « Pour tous les comptes que nous avons ouverts à l’extérieur du Québec, plus de la moitié des clients ont aussi ouvert un compte bancaire chez nous, a-t-il dit lors d’une présentation à un évènement sur l’industrie bancaire la semaine dernière. En tant que porte d’entrée à la Banque Nationale, ça a été un merveilleux outil. »
En un an, la Nationale a réussi à compenser l’absence des revenus de commissions par d’autres sources de revenus liées à l’acquisition de nouveaux clients. « Ça a pris plus de temps, car le marché du courtage a ralenti en 2022 », après l’euphorie de la pandémie où les gens épargnaient davantage et avaient plus de temps à la maison pour s’initier à l’investissement autonome.
Chez Desjardins, on a refusé de commenter, estimant que les résultats de sa stratégie sont des informations confidentielles et stratégiques.
Les grandes banques attendent
Même si certains des courtiers associés aux cinq grandes banques canadiennes (RBC, TD, Scotia, BMO et CIBC) ont réagi à l’offensive de la Banque Nationale et de Desjardins avec des offres promotionnelles ciblées, aucun d’entre eux n’a emboîté le pas avec la gratuité généralisée des transactions sur les actions et FNB.
Malgré l’effritement des parts de marché pour les ouvertures de comptes, les grandes banques canadiennes et les plateformes payantes comme QTrade et Questrade continuent d’accueillir l’écrasante majorité des actifs sous gestion des investisseurs autonomes, soit 93,4 %, selon l’étude d’ISS Market Intelligence.
« Les grandes banques ont tellement une grande part du marché qu’elles sont probablement hésitantes à y renoncer en étant la première à faire le saut, car elles perdraient d’importants revenus de commissions », avance Vince Linsley.
Lorsque Desjardins et Nationale ont annoncé, en 2021, qu’elles abolissaient les frais de transaction sur les actions, le fondateur et PDG de l’application de finances personnelles Hardbacon, Julien Brault, prévoyait que les grandes banques canadiennes fassent de même. « Peut-être que Banque Nationale et Desjardins n’ont pas suffisamment gagné de parts de marché dans le reste du Canada, où elles sont moins connues, pour inciter les grandes banques à bouger », suppose-t-il.
Laurent Ferreira a d’ailleurs reconnu que la Banque Nationale avait tempéré ses efforts promotionnels, malgré sa nouvelle tarification, car sa plateforme de courtage n’avait pas encore d’application mobile [un service jugé important par de nombreux jeunes investisseurs]. « Notre application est sortie en décembre. »
À la Scotia et à RBC, on affirme réviser continuellement la grille tarifaire et on estime offrir un service de qualité et concurrentiel. Les trois autres banques n’ont pas répondu à nos questions avant publication.
La tarification n’est pas le seul élément à prendre en compte dans le choix d’un courtier, souligne la porte-parole de la Banque RBC, Jessica Assaf, dans un courriel. Elle donne en exemple la recherche, les outils offerts sur la plateforme et le fait d’avoir une application mobile fonctionnelle.
Julien Brault invite les investisseurs autonomes à analyser l’ensemble des frais des plateformes de courtage avant de choisir leur courtier. Il donne en exemple les frais pour les clients dont la valeur de leurs actifs n’atteint pas un seuil minimal, les frais liés à la conversion de devise ou les frais liés à la détention d’un compte libellé en dollars américains. Selon votre situation, un courtier offrant la gratuité des transactions n’est pas nécessairement l’option la moins coûteuse, explique-t-il.