Pour l’essentiel, ceux qui offrent des produits dispensés devront faire signer un nouveau formulaire de reconnaissance de risque aux investisseurs qualifiés.
À la fin de février, les ACVM ont soumis pour consultation de 90 jours un projet de Règlement modifiant le Règlement 45-106 sur les dispenses de prospectus et d’inscription.
Les quelques modifications, assez légères, auxquelles mènerait ce nouveau règlement sont l’aboutissement d’un processus élaboré.
Les commissaires ont reçu 110 mémoires en réaction au document de consultation original et ont tenu des séances de consultation dans tout le Canada.
Remise en question
Au départ, les régulateurs remettaient en question la dispense pour investisseurs qualifiés. Cela n’étonne pas Sylvain Thériault, directeur principal, chef de la conformité, Réseau des caisses et valeurs mobilières au Mouvement Desjardins. «Le marché dispensé est contesté depuis qu’il existe», dit-il.
Toutefois, «de nombreux intervenants redoutent les changements à cette dispense, qui pourraient limiter l’accès aux capitaux, particulièrement pour les petites et moyennes entreprises», lit-on dans le document de consultation des ACVM.
Au terme du processus, le groupe de régulateurs propose trois changements. Le premier est d’interdire aux personnes physiques de profiter de la dispense pour investissement d’une somme minimale de 150 000 $. Seules les personnes morales et les institutions pourraient y recourir.
Le deuxième est d’obliger les investisseurs qualifiés qui sont des personnes physiques à remplir un formulaire de reconnaissance de risque.
Le troisième est de permettre, en Ontario, aux comptes gérés sous mandat discrétionnaire d’acquérir des titres de fonds d’investissement en se prévalant de la dispense pour placement auprès d’investisseurs qualifiés ouverte à la catégorie de compte géré, comme cela est autorisé dans les autres provinces du Canada, selon l’avis des ACVM.
À première vue, le changement le plus marquant tient à l’annulation de la dispense pour un investissement minimal de 150 000 $.
Or, les ACVM ont constaté que cette dispense est très peu utilisée au Canada. Certes, elle a permis de recueillir le deuxième montant en capital en importance, soit 5,6 G$ ou 3,7 % du montant total de 149,5 G$ investi par les Canadiens en 2011 sous le régime de dispense de prospectus. Toutefois, les clients s’en sont prévalus dans moins de 1 % des placements effectués.
Risque de surpondération
Ce changement, comme le troisième, vise en fait l’Ontario, qui connaît une situation bien particulière, comme l’explique David Gilkes, vice-président de l’Association du marché des capitaux privés du Canada (précédemment l’Exempt Market Dealers Association).
Dans cette province, il n’y avait pas d’exemption de prospectus permettant à des investisseurs «admissibles» d’investir des sommes relativement modestes (par exemple 10 000 $) dans un investissement exempté. Il n’y avait que deux moyens d’accéder à de tels placements : a) être un investisseur «qualifié», c’est-à-dire disposer soit d’un revenu d’au moins 200 000 $, ou d’un actif financier de 1,5 M$ ou d’un actif total de 5 M$ ; ou b) être prêt à investir une somme minimale de 150 000 $.
Or, cette dispense «fait naître le risque de surconcentration dans un seul investissement», indique le document des ACVM.
En effet, «on pouvait trouver en Ontario des situations où un investisseur plaçait 150 000 $ dans un placement, alors qu’il possédait des actifs de seulement 200 000 $», fait ressortir David Gilkes. Celui-ci équivaut à dire : «Je peux vous affirmer que tous ces investisseurs ne se trouvaient qu’en Ontario».
Impact minime au Québec
Au Québec, il semble que l’élimination de la dispense pour investissement d’une somme minimale de 150 000 $, pour les clients, semble laisser le milieu du courtage indifférent.
«Je ne pense pas que son absence nous enlèvera des affaires, affirme Yvan Morin, vice-président, affaires juridiques, et chef de la conformité chez Mica Capital, à Québec.
«Des dispensateurs nous ont approchés avec des produits qui exigeaient un minimum de 150 000 $ et rien d’autre. Mais on ne les a pas pris, à cause du produit lui-même et à cause de ce minimum.»
Même son de cloche du côté de Valeurs mobilières Desjardins. «On ne considère pas que ça aura un impact important, dit Sylvain Thériault. Ça nuit très peu aux opérations de Desjardins. C’est pourquoi on n’a pas pris la peine de faire des commentaires» au moment des consultations.
Peut-être qu’en Ontario, certains investisseurs réussissent à investir 150 000 $ en n’ayant qu’un actif de 200 000 $, mais ce n’est pas une situation qu’on constaterait chez Mica.
Ce cabinet encourage ses clients à n’investir qu’une tranche de 10 à 15 % de leur portefeuille dans les produits dispensés. «Un investissement de 150 000 $ supposerait donc un portefeuille d’au moins 1,5 M$, note Yvan Morin. On ne trouve pas ça à tous les coins de rue.»
Le seul changement qui aura un impact au Québec est donc le deuxième, qui exige que les investisseurs qualifiés signent un nouveau formulaire de reconnaissance assurant qu’ils comprennent bien les risques encourus par leur investissement. «C’est une assurance raisonnable», juge Sylvain Thériault.
David Gilkes le voit d’un autre oeil. «Les dispositions en place, en vertu du règlement 31-103, permettent déjà de qualifier amplement les investisseurs à l’aide d’une foule de divulgations. Ce nouveau formulaire me fait l’effet de porter une ceinture, des bretelles, du ruban adhésif et des broches. Il vient un moment où il faut cesser de protéger le public contre lui-même.»