Les ventes nettes de fonds négociés en Bourse (FNB) dépassent celles des fonds communs de placement et s’approprient une part de plus en plus importante des actifs des fonds d’investissement, et les autorités de réglementation le constatent.
Au début d’août, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont annoncé un examen de la réglementation encadrant les FNB afin d’évaluer l’adéquation du régime existant.
Les FNB attirent rarement l’attention des régulateurs. Certes, le secteur des fonds communs de placement a connu sa part ’d’inconduites : des gestionnaires de portefeuilles qui effectuent des transactions en avance sur leur fonds aux scandales liés à la synchronisation des marchés et à la manipulation des cours de clôture. – Or, les problèmes de protection des investisseurs en relation avec les FNB ont été rares jusqu’ici.
Cela a changé au début de l’année, lorsque la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) a imposé une interdiction temporaire d’opérations sur toute une famille de FNB après que la société Emerge Canada, de Toronto, eut omis de déposer ses états financiers. Le régulateur a ensuite suspendu l’inscription d’Emerge Canada pour insuffisance de capital, qui incluait une dette estimée à 5,5 millions de dollars (M$) à l’égard de sa série de six FNB ARK, soit les versions canadiennes des fonds technologiques très médiatisés de Cathie Wood.
L’affaire Emerge ne semble cependant pas être l’élément qui a motivé l’examen enclenché par les ACVM. S’exprimant sous le couvert de l’anonymat parce qu’elles n’étaient pas autorisées à faire des commentaires publics, des sources réglementaires ont indiqué que l’examen n’est pas fondé sur des préoccupations spécifiques de conformité ou d’application concernant les FNB, et qu’il n’est pas mené dans le but de valider des soupçons d’inconduite dans l’industrie.
Jean-Paul Bureaud, directeur général du groupe de défense des investisseurs FAIR Canada, a déclaré qu’il n’avait pas connaissance de problèmes de protection des investisseurs propres aux FNB qui pourraient justifier un examen de l’application de la réglementation.
Il semble plutôt que les autorités de régulation lancent cet examen dans le cadre d’une vérification des politiques afin de s’assurer que la réglementation des FNB est adaptée à l’objectif visé. Jean-Paul Bureaud a fait remarquer que les ACVM avaient déjà mené à bien un exercice de modernisation de la réglementation des fonds communs de placement, « et que cet examen pourrait s’inscrire dans la même veine ».
« C’est une bonne pratique réglementaire que de réexaminer périodiquement le cadre réglementaire applicable à différents produits [et] émetteurs pour s’assurer qu’il continue d’avoir l’impact et les résultats escomptés », a-t-il ajouté.
En outre, les problèmes comptables des fonds Emerge n’étaient pas spécifiques à leur structure de type FNB, a déclaré Dan Hallett, vice-président de la recherche et directeur de HighView Asset Management, à Oakville, en Ontario. « Le problème d’Emerge était un problème d’échelle, qui s’est posé parce que l’émetteur était petit et n’a jamais réuni suffisamment [d’actifs sous gestion (ASG)]. »
Si des problèmes similaires se posent dans d’autres entreprises, ils devraient être facilement détectables dans le cadre du régime réglementaire existant, estime Dan Hallett. En effet, les gestionnaires de fonds sont tenus de déposer auprès des autorités de réglementation des états financiers annuels audités pour leurs fonds et pour le gestionnaire lui-même. Les régulateurs pourraient découvrir des problèmes en examinant ces états financiers et les actifs dus aux fonds par leurs gestionnaires.
« Si j’avais à chercher, je me concentrerais sur les manufacturiers gérant un faible actif », a déclaré Dan Hallett.
Ce n’est toutefois pas l’objet de l’examen des ACVM, qui s’explique par la forte croissance de la catégorie des FNB au cours des dernières années, plutôt que par des préoccupations concernant les finances des petits gestionnaires de FNB.
L’évolution vers l’investissement indiciel et la sensibilité croissante aux coûts d’investissement ont conduit les FNB à dépasser les fonds communs de placement au cours de quatre des cinq dernières années, et le secteur accapare une part de plus en plus importante du marché des fonds d’investissement. En conséquence, l’actif sous gestion des FNB s’élevait à près de 359 G$ au 31 juillet (contre 1,9 billion de dollars pour les fonds communs de placement), ce qui représente environ 15 % de l’actif sous gestion des fonds d’investissement au Canada.
Cela représente un doublement de la part de marché depuis le milieu de l’année 2016, selon un rapport de l’Association canadienne des FNB. Et cette tendance semble vouloir se poursuivre.
Au Canada, cette année, les FNB ont enregistré des flux nets de 19,7 G$ au cours des six premiers mois, selon la Financière Banque Nationale. Durant la même période, les fonds communs de placement ont subi 12,8 G$ de rachats nets, selon l’Institut des fonds d’investissement du Canada.
Au fur et à mesure que le secteur des FNB s’est développé et est devenu plus important sur le plan systémique, il a dépassé son objectif initial qui était de fournir aux investisseurs un accès aux rendements d’un indice général à faible frais, et comprend désormais une série de stratégies plus exotiques. La complexité des actifs sous-jacents s’accroît, tout comme les problèmes potentiels de protection des investisseurs.
Par exemple, les régulateurs ont signalé des préoccupations concernant les investisseurs de détail qui utilisent des FNB inversés et à effet de levier. L’avènement des FNB de cryptomonnaie – que le Canada a été l’une des premières juridictions à autoriser – n’a eu lieu qu’après une décision historique d’un comité d’audience de la CVMO, et des discussions prolongées entre un gestionnaire de fonds et les régulateurs, en raison de préoccupations concernant la liquidité et la garde des nouveaux actifs.
Ces mêmes facteurs – la part croissante du secteur des FNB dans les actifs d’investissement et l’exposition croissante à des stratégies plus nouvelles et plus complexes – ont incité l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), le groupe de coordination des régulateurs mondiaux, à procéder à un exercice similaire en début d’année.
En mai, l’OICV a publié les résultats d’un examen qui a conclu que les principes globaux pour la réglementation des FNB, qui ont été finalisés en 2013, restent solides.
« Aucune lacune majeure n’a été identifiée et aucun problème réglementaire majeur n’a été signalé par les membres de l’OICV ou les participants du secteur », indique le rapport.
Les ACVM ont signalé que leur examen portera sur certains des domaines couverts par l’OICV, notamment le processus de création et de rachat des parts de FNB, le mécanisme d’arbitrage qui aligne le prix de négociation d’un FNB sur la valeur sous-jacente des titres détenus dans son portefeuille, et l’utilisation de contrôles de la volatilité (tels que les coupe-circuits) dans les transactions sur le marché secondaire.
L’étude de l’OICV a également mis en évidence certains domaines qui pourraient constituer de nouvelles préoccupations pour les régulateurs.
Par exemple, l’OICV a indiqué que si la structure des FNB « est généralement restée résiliente » pendant les périodes de fortes tensions sur les marchés, certains FNB à revenu fixe ont été confrontés à des problèmes de prix et de liquidité pendant les tensions sur les marchés qui ont accompagné le début de la pandémie de COVID-19 au début de l’année 2020.
Certains fonds de niche (investis dans des actifs moins diversifiés ou suivant des stratégies plus complexes) « ont également connu une volatilité plus importante et des défis opérationnels » au cours de cette période.
Bien que les fonds concernés ne représentent qu’une petite partie des actifs sous gestion de l’univers des FNB, l’OICV a averti que les risques opérationnels et de liquidité, « s’ils ne sont pas correctement atténués, pourraient potentiellement compromettre la viabilité » de ce type de fonds.
L’étude de l’OICV a également identifié diverses sources de conflits d’intérêts potentiels spécifiques à la structure des FNB, tels que les conflits possibles entre les gestionnaires de FNB, les courtiers affiliés, les mainteneurs de marché, les fournisseurs d’indices et les contreparties de produits dérivés.
L’étude a également mis en évidence des différences dans la manière dont les principes de l’OICV sont appliqués par les régulateurs et dans le fonctionnement des marchés locaux.
Par exemple, alors que certains régulateurs exigent une publication quotidienne des positions des portefeuilles des FNB gérés activement, d’autres régulateurs (dont le Canada) autorisent une publication périodique et différée de celles-ci.
Compte tenu des différences dans la manière dont les diverses juridictions appliquent les principes généraux, l’OICV a élaboré des orientations supplémentaires qui identifient les « bonnes pratiques » à prendre en compte par les régulateurs et les sociétés de FNB dans quatre domaines : la structure du produit, la divulgation, la liquidité et le contrôle de la volatilité des transactions.
Ces nouvelles orientations des régulateurs mondiaux et les résultats de leur examen constituent un bon point de départ pour l’évaluation par les ACVM de l’adéquation de leur régime dans les mois à venir.