Le bitcoin et autres monnaies numériques ont souvent été perçus par les investisseurs individuels comme une protection contre la dépréciation monétaire. Toutefois la suppression récente du taux plancher du stablecoinTerraUSD et la volatilité qui a touché plusieurs cryptomonnaies ont montré les limites de cette « impression ».
Cela nous prouve encore une fois qu’investir dans les cryptomonnaies peut s’avérer risqué et que les investisseurs ne devraient le faire qu’à certaines conditions. La première étant évidemment la compréhension du produit.
Les risques des cryptomonnaies
« En mon sens l’un des risques majeurs est d’investir sans comprendre le produit dans lequel on investit, ou les différents facteurs qui peuvent influencer son court », avertit Laure Fouin, coresponsable du groupe Actifs numériques et Blockchain et associée du bureau d’Osler à Montréal.
L’experte rappelle ainsi que le terme « cryptomonnaie » englobe plusieurs réalités différentes. « Une crypto monnaie est un actif numérique virtuel qui repose sur la technologie de la chaine de bloc (la blockchain) et un protocole informatique crypté. Cela englobe aussi bien les cryptomonnaies traditionnelles comme le bitcoin et l’ether que les « stablecoin », qui sont adossés à un actif dont le prix est considéré comme stable (tel que le dollar) », résume Laure Fouin.
Les risques d’investir diffèrent ainsi selon le type de cryptomonnaie et dans chaque cas, il est important de considérer les risques intrinsèques et extrinsèques. « Le risque intrinsèque majeur d’investir dans le bitcoin est la baisse du court du bitcoin alors que l’investisseur, pour une raison ou pour une autre, souhaite liquider sa position, tandis que le risque extrinsèque majeur reste, comme pour tout autre actif, d’investir par des canaux non sécuritaires (tel que des plateformes étrangères ayant fait l’objet de mises en garde de la part des Autorités canadiennes en valeurs mobilières », souligne l’experte.
Un autre risque intrinsèque théorique lié au stablecoin est que la valeur de l’actif auquel il est adossé baisse. Toutefois, il est important de comprendre en quoi le stablecoin est « adossé » à l’actif, et donc le niveau réel de corrélation.
« Les stablecoins peuvent être soutenus par une devise (FIAT), de la cryptomonnaie ou une commodité (telle que l’or) par la voie d’une réelle garantie, souvent surcollateralisée, qui est effectivement réservée au remboursement des détenteurs de stablecoin si besoin est; mais ils peuvent aussi n’être qu’algorithmique, c’est-à-dire ne pas maintenir de réserve de l’actif sous-jacent mais plutôt reposer sur un algorithme qui augmente ou diminue l’offre de jetons dans l’espoir d’en stabiliser le prix de façon corrélée à l’actif sous-jacent. Comme le LUNA de Terra l’a prouvé, le risque d’investir dans un stablecoin algorithmique ne se limite pas au cours du sous-jacent, et il convient plutôt d’étudier le fonctionnement de l’algorithme et des mécanismes d’arbitrage le sous-tendant pour appréhender les risques applicables », résume Laure Fouin.
Vers un encadrement réglementaire plus strict
Les ACVM sont claires : les cryptomonnaies peuvent être en elle-même des valeurs mobilières ou des produits dérivés, ou bien les contrats ou instruments en vertu desquels des cryptomonnaies sont échangées peuvent constituer des valeurs mobilières ou des dérivés (appelés des contrats sur cryptoactifs ou Crypto Contracts).
« Dans ce cas, les cryptomonnaies ou les contrats en vertu desquels elles sont échangées sont soumis aux exigences de distribution par voie de prospectus et à travers des courtiers enregistrés pour les valeurs mobilières et à la Loi sur les dérivés dans le cas des dérivés », conclut Laure Fouin.
La question à se poser, selon elle, est plutôt : dans quelles circonstances est-ce que les contrats ou instruments sur des cryptomonnaies qui, en elles-mêmes ne sont pas des valeurs mobilières, sont-ils considérés comme des valeurs mobilières selon le concept de « contrats sur cryptoactifs » des ACVM?
« Le concept de contrat sur cryptoactif repose sur l’absence de livraison immédiate : lorsque le contrat ou l’instrument d’achat, de vente ou de livraison de cryptomonnaie ne donne pas lieu à l’obligation de livrer immédiatement la cryptomonnaie et n’est pas réglé par la livraison immédiate de la cryptomonnaie, les ACVM peuvent être menées à considérer qu’il s’agit d’une valeur mobilière », répond-elle.
« Récemment, le Tribunal des marchés financiers en Ontario est venu préciser, dans le cas précis de la condamnation d’une plateforme étrangère (Mek Global Limited (Re), 2022 ONCMT 15), que dans un tel cas le contrat de cryptoactif constitue un « contrat d’investissement » au sens de la Loi sur les valeurs mobilières car en l’absence de livraison immédiate l’investisseur est tributaire des efforts de sa contrepartie pour conserver, puis en temps venu lui livrer, la cryptomonnaie », ajoute-t-elle.
Actuellement, huit plateformes disposent d’une dispense pour continuer à offrir des contrats sur cryptoactifs sous un régime intérim de courtier restreint et sous certaines conditions visant à assurer la protection des investisseurs. Ces plateformes doivent aussi se diriger vers une inscription à titre de courtier avec l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) dans un délai prescrit.
En plus des ACVM, les autorités de lutte contre le blanchiment d’argent sont venues préciser que les échanges de cryptomonnaie étaient sujets aux lois et règlements qu’elles administrent.
« Ainsi, si les régulateurs continuent sur la même voie ce n’est pas tant un nouvel encadrement réglementaire auquel on peut s’attendre, mais surtout l’application de plus en plus fréquente des règles existantes et l’encadrement réglementaire par le biais des exigences de prospectus (et la transparence qui vient avec) et des exigences d’inscription (et notamment la solidité financière, la sauvegarde des actifs, les assurances et autres obligations qui viennent avec) », constate Laure Fouin.
D’autres risques
Certaines plateformes d’échanges de cryptomonnaies ont dû récemment stopper leurs opérations pour des raisons liées à la volatilité. Comment les investisseurs peuvent-ils s’assurer qu’une telle situation ne leur arrive pas?
En ne transigeant pas avec des plateformes étrangères qui ne respectent pas les règles applicables au Canada, répond Laure Fouin.
« Nous avons la chance au Canada d’avoir un cadre réglementaire et de grands joueurs dans le marché. Je ferais ici le parallèle avec les plateformes d’échange d’options binaires si populaires il y a quelques années : l’Autorité des marchés financiers (AMF) a multiplié les avis aux investisseurs et les listes de plateformes non autorisées mais pendant longtemps, les investisseurs continuaient à transiger avec celles-ci, ce qui dans certains cas les menaient à encaisser de sérieuses pertes, et dans d’autres cas à être victimes de fraude pures et simples de la part de plateformes illégales. Aujourd’hui, il est clair que de telles plateformes doivent être agréées par l’AMF et distribuer leurs produits, qui sont des dérivés, par l’entremise d’un courtier en dérivés dûment inscrit, et on peut espérer que les victimes de fraude ont diminué. »
Pour ce qui est de la cybersécurité, il est également possible de se prémunir contre le risque de piratage, assure l’experte.
« En analysant les termes et conditions applicables aux huit plateformes mentionnées ci-dessus, on voit apparaître un encadrement quant à la garde et l’assurance : la garde d’au moins 80% des actifs des clients de ces plateformes doit être confiée à un dépositaire qualifié en application des lois sur les valeurs mobilières et une assurance contre la perte des actifs clients est exigée, par exemple contre le piratage, les copies, la perte ou le vol des clés, le vol à l’interne ou autre fraude des employés ou dirigeants », détaille Laure Fouin.
Ces différents points montrent qu’il est très important de bien se renseigner avant d’investir dans les cryptomonnaies et de bien investiguer sur les compagnies et plateformes auxquelles on décide de confier son argent.