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Ian Cluroe avait l’intention de conserver ses quatre fonds négociés en Bourse (FNB) Emerge pendant au moins une décennie.

« Je savais que les débuts seraient difficiles, a-t-il déclaré, faisant référence à l’intérêt des fonds pour les technologies émergentes. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’ils disparaissent complètement. »

Ian Cluroe, 56 ans, est l’un des porteurs de parts piégés dans les 11 FNB Emerge soumis à une mesure sans précédent d’interdiction d’opérations. Elle s’est amorcée en avril 2023 et a duré jusqu’à ce que les FNB soient retirés de la cote en octobre. Les détenteurs de parts sont ainsi restés piégés dans les FNB jusqu’à ce que les fonds soient liquidés en décembre.

Ian Cluroe est également le principal demandeur dans la proposition de recours collectif déposée contre Emerge Canada par Kalloghlian Myers, de Toronto. La démarche alléguait que les détenteurs de parts avaient subi des dommages en raison de la mauvaise conduite d’Emerge et de l’interdiction d’opérations sur titres.

Garth Myers, l’avocat de l’action proposée, a déclaré à Advisor.ca le 26 avril dernier que l’action ne serait pas poursuivie parce que « les perspectives de recouvrement sont nulles ».

Les allégations n’ont ainsi pas été prouvées et le recours collectif n’a pas été certifié avant que Kalloghlian Myers ne dépose son avis de désistement. Un avocat d’Emerge Canada, contacté dans le cadre du présent article, n’a pas répondu à la demande de commentaire.

L’expérience de Ian Cluroe

Ian Cluroe est un consultant canadien en marketing qui vit à Phoenix, en Arizona. Il a grandi à Toronto et a déménagé aux États-Unis il y a environ 24 ans. Il a parlé à Advisor.ca depuis Toronto, où il déménageait sa fille de son dortoir universitaire.

Ian Cluroe détient un compte REER auprès d’une société de placement direct appartenant à une banque, et c’est ainsi qu’il a acheté les FNB Emerge.

« J’avais beaucoup d’argent dans ce compte et je me suis dit qu’il valait mieux en faire quelque chose », explique-t-il.

Cluroe investit seul depuis le début de la vingtaine. Il fait preuve de diligence raisonnable et rééquilibre son compte de retraite américain tous les trimestres.

Il a connu l’ascension et la chute de Nortel Networks et n’est pas étranger aux situations d’investissement difficiles. Mais la situation d’Emerge « a été de loin la plus grosse [perte] », soutient-il.

Auparavant, Ian Cluroe a possédé des FNB ARK de Cathie Wood. « Je connais bien sa philosophie générale concernant les technologies d’avenir, les biotechnologies, l’intelligence artificielle (IA) et les véhicules autonomes, explique-t-il. J’admire son style et son approche. »

La société de Cathie Wood, ARK Investment Management, était un sous-conseiller d’Emerge Canada.

Ian Cluroe détient toujours le FNB ARK Space Exploration & Innovation dans son compte de retraite américain. « C’est un placement à très long terme », plaisante-t-il.

Il ne se souvient pas comment il a entendu parler d’Emerge Canada, mais il était heureux de pouvoir détenir des FNB domiciliés au Canada dans son REER.

En novembre et décembre 2020, Ian Cluroe a acheté pour environ 155 000 $ de parts du FNB phare Emerge ARK Global Disruptive Innovation ETF, ainsi que des parts du Emerge ARK AI et big data ETF, du Emerge ARK Fintech Innovation ETF et du Emerge ARK Genomics & Biotech ETF. Son investissement, en termes de dollars, a été réparti de manière à peu près égale entre les quatre FNB.

L’achat représentait environ les deux tiers de l’épargne-retraite canadienne de Ian Cluroe et environ 12 % de son portefeuille d’investissement global. Il avait prévu de conserver les FNB de 10 à 12 ans.

Ian Cluroe a pris connaissance de l’interdiction d’opérations au printemps 2023, lorsqu’il a consulté le site web d’Emerge pour vérifier les performances des quatre FNB.

« Quelques liens ne fonctionnaient pas, ce qui était un peu angoissant », se souvient-il. Après avoir cherché des articles sur Emerge, il s’est rendu compte que les FNB n’étaient plus négociables et a appris que l’auditeur d’Emerge avait démissionné en novembre 2022.

« C’est à ce moment-là que j’ai commencé à devenir très, très nerveux », témoigne Ian Cluroe.

Ian Cluroe a continué à lire les nouvelles relatives à Emerge. Il a ainsi appris que le gestionnaire de fonds devait des millions de dollars à sa gamme de FNB ARK et que la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) avait suspendu l’inscription d’Emerge Canada pour insuffisance de capital. Dans sa décision de suspension, la CVMO a déclaré qu’Emerge était probablement en situation d’insuffisance de capital à un moment donné avant le 30 septembre 2022, et lui a ordonné de liquider ses fonds.

« Je me suis dit : “Ça ne sent pas bon” », se remémore Ian Cluroe. Il a envoyé un courriel à Kalloghlian Myers, déclarant qu’il avait déjà perdu de l’argent avec ses FNB Emerge et qu’il était incapable de racheter ses fonds restants en raison de l’ordre de cessation des transactions. Il a proposé d’être le plaignant principal dans le cadre d’une action en justice.

Kalloghlian Myers a répondu rapidement, indiquant que l’entreprise suivait également la situation. L’action a été introduite en juin 2023.

À la suite des révélations concernant Emerge, « il est devenu évident que je ne voulais plus traiter avec cette société », déclare Ian Cluroe. « La violation apparente [présumée] des règles qu’ils ont commise était suffisante pour me faire sortir complètement des fonds, et je craignais que leur valeur ne diminue encore plus au fur et à mesure que [l’ordonnance de cessation des opérations] traînait en longueur. »

Ian Cluroe reconnaît qu’il ne risquait pas la ruine financière.

« Je savais que j’aurais pu perdre [mon investissement de 155 000 $] sans pour autant être démuni, explique-t-il. Mais c’était très éprouvant et j’étais très en colère [à cause] du manque de proactivité et de communication avec les investisseurs sur ce qui se passait. »

Pertes et leçons

Ian Cluroe reconnaît également que les investissements thématiques qu’il a choisis étaient plus risqués. « Je croyais à la philosophie de placement, je croyais aux secteurs dans lesquels [Emerge] investissait, et je savais que ce serait difficile pendant les quatre ou cinq premières années », affirme-t-il, ajoutant qu’il croit toujours à l’investissement dans les technologies émergentes.

Après la résiliation des FNB en décembre 2023, Ian Cluroe a reçu environ 56 000 $ de produits. Comme les autres anciens porteurs de parts d’Emerge, il est maintenant un créancier non garanti d’Emerge Canada. Au 29 décembre 2023, la créance de Ian Cluroe s’élève à environ 2 000 $, et celle de l’ensemble des anciens porteurs de parts, à environ 4,7 millions de dollars (M$).

Si Ian Cluroe voit sa créance être remboursée, il aura perdu environ 62 % de son investissement initial.

Cette perte signifie que la date de son départ à la retraite sera repoussée d’un an ou deux. Il envisage également de prendre sa retraite dans une région où le coût de la vie est moins élevé.

« J’ai eu quelques fois la nausée en regardant les chiffres. Mais je suis surtout en colère, assure-t-il. Je suis déçu de ne pas avoir fait preuve de plus de diligence. Mais en fin de compte, on fait confiance aux gestionnaires de fonds pour qu’ils agissent dans les limites des réglementations qu’ils sont censés respecter. »

Il a déclaré qu’au cours de ses 30 années d’investissement, il n’avait jamais examiné les états financiers d’un FNB ou d’un gestionnaire de fonds, mais il a reconnu que les états financiers des FNB Emerge faisaient état d’un solde débiteur croissant.

Néanmoins, « je pense que les régulateurs devraient faire davantage pour protéger les investisseurs de ce genre de choses », avance-t-il. « J’aimerais que les auditeurs ne soient pas les seuls responsables de l’audit des sociétés, mais que les régulateurs exercent une surveillance plus disciplinée et plus régulière des sociétés [de fonds]. Et qu’ils les obligent à communiquer de manière transparente avec les détenteurs de parts concernés. »

JP Vecsi, spécialiste principal des affaires publiques à la CVMO, a déclaré à Advisor.ca, environ six mois après l’ordonnance de cessation des opérations, qu’Emerge Canada avait l’obligation légale de communiquer les détails aux détenteurs d’unités.

En mars, JP Vecsi a précisé le contexte dans lequel s’inscrivaient les rares communications émanant de l’entreprise. « Au cours de notre surveillance d’Emerge, nous avons veillé à ce qu’elle tienne les investisseurs des fonds informés de [l’ordonnance d’interdiction d’opérations] et de la cessation subséquente des fonds par divers moyens, y compris des communiqués de presse, des lettres aux investisseurs, en exigeant qu’elle tienne activement à jour [son] site Web avec une page bien en vue pour les questions des investisseurs sur la liquidation et les restrictions d’opérations, et en vérifiant si elle répondait aux questions des investisseurs », a-t-il assuré dans un courriel à l’époque.

Un gestionnaire de fonds d’investissement enregistré, comme l’était auparavant Emerge Canada, doit informer la CVMO dès que son fonds de roulement excédentaire tombe au-dessous de zéro, et le montant ne peut pas être inférieur à zéro pendant deux jours consécutifs. L’organisme de réglementation peut imposer des conditions aux entreprises qui ne respectent pas leurs exigences en matière de capital.

« La CVMO prendra d’autres mesures réglementaires à l’égard des entreprises qui ne sont pas en mesure de remédier à une insuffisance de capital en temps voulu, y compris la suspension de leur enregistrement », a déclaré JP Vecsi en mars.

La CVMO continue de surveiller Emerge Canada et d’exiger que ses activités soient contrôlées par un cabinet d’avocats. La CVMO mène également « une enquête active et continue sur Emerge Canada ».

Comme d’autres investisseurs interrogés sur Emerge, Ian Cluroe a modifié son style d’investissement à la suite de cette douloureuse expérience.

« Les FNB que je possède actuellement sont pour la plupart des Vanguard, des BlackRocks et des fonds plus importants proposés par d’autres manufacturiers importants, explique-t-il. Si je devais un jour investir dans des FNB plus petits — et je ne ferme pas complètement la porte — je ferais preuve d’une plus grande diligence à l’égard des gestionnaires et j’examinerais la taille des fonds. »

Le recours collectif proposé ayant été abandonné, Ian Cluroe indique que son objectif est désormais de continuer à faire la lumière sur la situation d’Emerge afin qu’aucun autre investisseur ne vive ce qu’il a vécu.

Que conseille-t-il aux autres investisseurs ?

« De faire toutes les recherches possibles sous tous les angles, répond-il. Ne vous contentez pas d’examiner les participations ou d’examiner la philosophie de l’entreprise. Il faut aussi s’intéresser au gestionnaire. Examinez ses antécédents et les signaux d’alerte potentiels, comme la taille du fonds. [Intéressez-vous] aux gestionnaires individuels, aux propriétaires de l’entreprise et aux antécédents de l’entreprise. »