Le marché canadien des fonds négociés en Bourse (FNB) semble engorgé, voire saturé de produits, lorsqu’on le compare à celui des États-Unis. Les chiffres n’indiquent pour l’heure aucun raz-de-marée de fermetures de fonds, même si certains observateurs pensent que ce n’est qu’une question de temps.
Au 5 octobre, le Canada comptait 772 FNB. C’est un nombre très élevé, quand on considère que les États-Unis en dénombrent 2 130, selon Daniel Straus, vice-président, FNB et produits financiers, à la Financière Banque Nationale. « Toutes proportions gardées, le nombre est beaucoup plus grand au Canada », commente l’analyste de fonds.
Ces chiffres sont d’autant plus disproportionnés que l’actif total des FNB s’élève aux États-Unis à 3400 G$ US, au Canada, à seulement 157 G$. « Sur une base proportionnelle, on s’attendrait à ce que la part canadienne soit d’au moins 300 G$ », ajoute Daniel Straus.
Produits surabondants
Le nombre élevé de FNB au Canada s’explique en partie par la démultiplication amenée par les variétés de couvertures de change. Par exemple, pour un même FNB, on va trouver une version sans couverture, une autre avec couverture partielle, une autre entièrement couverte.
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Cependant, on ne peut simplement diviser par trois le total des fonds, car d’autres dynamiques survoltent le marché canadien. Par exemple, alors qu’on ne trouve que trois grands FNB aux États-Unis qui suivent l’indice S&P 500, « on en repère au moins une douzaine au Canada », note Daniel Straus.
« Cela s’explique en partie par le désir de différents fournisseurs de contrôler toutes les étapes de la distribution et de l’expérience client, écrivait récemment Ian Gascon, président de Placements Idema, dans Les Affaires. Une grande banque préfère que son client investisse dans une de ces propres entités, par exemple par l’intermédiaire son courtier de plein exercice ou sa division de gestion de fonds, et que son client achète ses propres produits, par exemple sa propre gamme de FNB. »
Cet état de fait contreproductif, selon Ian Gascon, ne peut durer indéfiniment. Il y aura forcément des perdants, par exemple des fonds dont les frais fixes et les frais de transaction seront trop importants en proportion de leur actif, de telle sorte que la fermeture de FNB va s’accélérer au Canada, anticipe-t-il.
C’est un avis que partagent Mark Noble, vice-président senior, stratégie FNB chez Les fonds négociés en bourse Horizons, et Alain Desbiens, directeur, FNB Québec, BMO Gestion mondiale d’actifs, qui constatent le nombre effréné de créations de nouveaux produits.
« Certaines firmes ne passeront pas à travers les 12-18 prochains mois », dit Alain Desbiens. Dans une entrevue accordée à Morningstar Canada, Mark Noble ajoute : « Dans deux ans, j’anticipe que nous allons assister à une vague de consolidation. » Selon lui, le nombre de fournisseurs va rapetisser de plus de 32, actuellement, à 20 ou 25 éventuellement.
Une question de rentabilité
Selon ces commentateurs, la logique économique du marché ne peut permettre une survie des plus faibles. Tout d’abord, plus encore que du côté des fonds communs de placement, la survie d’un FNB tient à sa taille, nécessaire pour porter une structure de frais minimale. Comme le note Mark Noble, environ 85 % des afflux de nouvel argent se retrouvent dans les fonds des quatre ou cinq principaux fournisseurs de FNB.
Et quelques dizaines de fonds abritent plus d’un milliard $ d’actifs. Or, « dans le monde des FNB [à gestion active], on met souvent la barre de rentabilité à 1 milliard $ d’actifs », fait ressortir Alain Desbiens. Cela s’applique aux FNB à gestion active, qui forment maintenant 88 % du nombre de FNB canadiens, selon Dan Hallett, vice-président et directeur, chez Highview Financial Group, à Oakville. « Pour les FNB indiciels classiques, ajoute Alain Desbiens, la barre serait plutôt autour de 500 M$. »
Il est vrai que les coûts de FNB sont faibles, indique Dan Hallett. Ceux-ci regroupent les frais de constitution du FNB, ses frais légaux et comptables, et ses frais courants d’administration. On pourrait penser que les frais de transaction représentent une tranche importante des coûts, mais ce n’est pas le cas, affirme le spécialiste. En général, les coûts de transaction sont portés par les mainteneurs de marché, habituellement les grandes banques.
Par ailleurs, les revenus d’un FNB sont, en premier lieu, ses frais de gestion et, pour certains fournisseurs, les revenus de prêt d’actions. Il est certain qu’un FNB doté d’un petit actif sous gestion ne pourra pas procéder à plusieurs prêts. Cependant, pense Dan Hallett, un grand fournisseur comme iShares, par exemple, est en mesure d’agréger ses prêts d’actions en pigeant autant dans un petit FNB de 5 M$ en actif que dans un autre de 500 M$. Il reste que plusieurs fournisseurs, notamment Vanguard, retournent ces revenus de prêt d’actions aux investisseurs. D’autres en gardent une tranche variable, de 33 % par exemple.
Tout cela fait en sorte qu’il est difficile de tirer un trait net du point où se dessine la rentabilité d’un FNB. On peut soupçonner qu’un FNB abritant un actif de 500 M$ et empochant des frais de gestion de 0,6 % est rentable. Mais qu’en est-il d’un FNB abritant seulement 10 M$?
Le calcul est compliqué par le fait que plusieurs fournisseurs font porter les pertes d’un FNB par l’ensemble de l’actif sous gestion de la firme, dans l’espoir que le FNB va gagner suffisamment d’investisseurs et devenir rentable.
Or, le deviendra-t-il? En ce moment, on assiste à une multiplication de fonds qui tentent d’explorer une foule de marchés différents. Seulement d’août à septembre, le nombre de produits a crû d’environ 50. Combien de temps pourront-ils tenir leur gageure? Par exemple, Harvest Portfolio Group a lancé le 23 juin 2017 le Global REIT Leaders Income ETF avec un ratio des frais de gestion de 2,55%, le plus élevé du palmarès des FNB canadien que produit la Financière Banque Nationale. Après un peu plus d’un an d’activité, ce fonds abrite 5 M$ d’actifs.
Va-t-il tenir le coup? Considérons qu’Invesco met de l’avant son Zacks Micro Cap dont l’actif est de 20 M$ et son frais de gestion, de 1,55 %; et il tient le coup depuis août 2005. Y en a-t-il un qui va céder avant l’autre?
Or, Invesco compte un actif total sous gestion en FNB canadiens de 3,9 G$, le septième en importance, alors que l’actif de Harvest s’élève à 564 M$. Mais le plus petit actif de Harvest n’est pas une raison pour anticiper une vie plus courte de son FNB, juge Michael Kovacs, président, chef de la direction d’Harvest. « Ce n’est pas la taille de la firme qui compte, mais le succès de ses produits, tranche-t-il. Un actif de 564 M$ est plus qu’il n’en faut pour tenir nos affaires. Nous sommes en croissance et nous faisons très bien, merci. »
En effet, tout va très bien, merci. Pour l’instant, du moins. Daniel Straus ne voit aucune tendance de fermeture de FNB se dessiner dans les statistiques de l’industrie. Et le Canada, en quelque sorte, a son « mystère ». Après tout, relève l’analyste, dans le monde des fonds communs de placement, le Canada compte 3 345 fonds avec un actif total de 1 540 G$ comparé à 18 750 G$ dans 7 915 fonds aux États-Unis, selon l’Institut de fonds d’investissement du Canada. Là aussi, les proportions de fonds communs canadiens par rapport aux fonds américains sont drôlement alignées, « pourtant personne n’en fait le moindre cas », dit-il.