L’impôt successoral américain
Les particuliers ont l’obligation de produire les déclarations de succession de l’Internal Revenue Service s’ils ont des actifs américains visés d’une valeur de plus de 60 000 $ US.
Les droits successoraux à payer dépendent de la valeur des actifs américains détenus ainsi que de la valeur de la succession mondiale du défunt.
L’impôt successoral américain est progressif (de 18 % à 40 %) et est fonction de la valeur des biens au décès, non pas des gains réalisés. Il est extrêmement important de connaître et de communiquer cet aspect, puisqu’il est contre-intuitif pour un épargnant canadien.
Un crédit d’impôt fait en sorte qu’on doit commencer à être réellement vigilant lorsque la valeur de la succession mondiale dépasse 5,45 M$ US (pour 2016). Cette question s’adresse donc aux personnes très nanties.
On a souvent le réflexe de penser à l’impôt successoral quand un épargnant achète une propriété aux États-Unis. Il est sage d’y porter attention, mais détenir des titres échangés sur une Bourse américaine peut aussi entraîner des conséquences fâcheuses au décès.
Prenons un exemple. Jean est un résident du Canada (voir le tableau). À son décès en 2015, il était propriétaire de biens situés aux États-Unis d’une valeur de 1 M$ US, et la valeur mondiale de sa succession atteignait 10 M$ US. Les dépenses et les dettes déductibles s’élevaient à 500 000 $ US. Il n’était pas marié et n’avait effectué aucun don de son vivant.
Compte tenu de cette réalité, il vaut mieux éviter de détenir directement des actions américaines en son nom personnel si on a une valeur nette au-delà du seuil d’application du crédit. L’utilisation de fonds communs structurés en fiducie ou en société, tout comme l’investissement par l’intermédiaire d’une fiducie ou d’une société de gestion, permettent d’éviter ce problème.
Les droits successoraux sur une propriété sont plus difficiles à éviter. D’abord, la détention par une société par actions peut entraîner des impôts totaux plus élevés en cas de vente de l’immeuble que s’il était détenu personnellement.
Il est aussi possible que le fisc américain considère l’utilisation d’une société comme un conduit ou un mandataire de l’actionnaire. Il tentera par conséquent d’imposer les droits successoraux au décès de celui-ci.
Quant aux fiducies, elles peuvent atteindre certains objectifs, sans toutefois être parfaites :
Les fiducies révocables du vivant permettent d’éviter certains ennuis, comme les frais d’homologation testamentaire (probate fees) et les procédures juridiques américaines entourant une inaptitude ou le règlement d’une succession. Par contre, elles ne permettent pas d’échapper droits successoraux ;
Si son acte est bien rédigé, une fiducie du Québec permettra d’éviter les droits successoraux américains. Cependant, elle engagera des frais de constitution et d’administration supplémentaires non négligeables, qui sont à évaluer en comparaison de l’impôt successoral potentiel.
Le fameux décaissement
Parlons d’abord des sociétés de gestion. Au-delà du fait qu’elles permettent d’éviter l’intérêt et les revenus étrangers dans le holding par l’intermédiaire des fonds en société, on doit examiner plusieurs éléments pour faire un travail de planification complet, particulièrement en phase de décaissement.
L’avocat-fiscaliste et planificateur financier Serge Lessard, d’Investissements Manuvie, a su présenter de façon intelligible une approche intéressante à cet égard au cours des dernières années par de multiples présentations et publications.
En somme, il vaut la peine, non seulement d’examiner le taux d’imposition d’un revenu de placement dans la société, mais aussi de connaître les intentions de l’épargnant quant aux rendements des placements. Si l’épargnant souhaite faire croître son capital pour de nombreuses années, on n’aura pas la même approche que si des retraits réguliers doivent avoir lieu. Et on ne doit pas toujours considérer que tous les épargnants sont soumis au taux d’imposition marginal le plus élevé à titre personnel, puisque rien n’est plus faux.
Dans une société de gestion, les comptes fictifs que constituent le compte de dividendes en capital (CDC) et l’impôt en main remboursable au titre de dividendes (IMRTD) doivent être connus afin de bien conseiller les clients.
Le concept du CDC est plus connu, puisqu’il est le mécanisme qui assure un traitement fiscal avantageux au gain de capital dans une société, au même titre que pour un particulier.
Ainsi, la moitié non imposable d’un gain en capital peut être versée à l’actionnaire par l’intermédiaire du CDC. Outre la possibilité de se bâtir une «banque» de dividendes en capital non imposables, les analyses liées au placement traditionnel du CDC ne sont pas particulièrement élaborées.
Quant à l’IMRTD, il faut savoir que lorsqu’une société de gestion paie de l’impôt sur un revenu de placement, cet impôt lui sera remboursé en tout (pour les dividendes déterminés) ou en partie (sur de l’intérêt ou sur la partie imposable d’un gain en capital) lors d’un versement de dividendes à l’actionnaire.
Si un montant en dividendes déterminés est reçu puis versé en totalité à l’actionnaire, l’impôt dans la société tombe à 0 ; ne compte plus que le taux d’imposition personnel de l’actionnaire. Si ce taux est inférieur au taux d’imposition combiné de sa société et de lui-même pour ce qui est du gain en capital, sur le strict plan fiscal, il vaut mieux recevoir des dividendes déterminés que du gain en capital ou du remboursement de capital comme revenu de placement dans la société.
Plusieurs épargnants fortunés qui disposent de sommes importantes dans leur société de gestion n’ont pas forcément besoin de montants astronomiques pour vivre. De nombreux clients millionnaires se contentent de revenus de moins de 100 000 $ par an pour leurs dépenses régulières. Cela est d’autant plus vrai s’ils bénéficient d’une planification impliquant des membres de la famille ou une fiducie comme actionnaires ou pour faire des stratégies de fractionnement de revenu.
Considérant que le seuil à partir duquel le dividende déterminé devient moins intéressant que le gain en capital est d’environ 83 000 $ de revenu personnel, il vaut la peine d’analyser sérieusement cet aspect avant de conseiller une approche ou une autre à un client.
Le remboursement de capital présente un grand intérêt, mais est souvent oublié pour les comptes non enregistrés des particuliers.
Nonobstant la «bulle» d’impôt au décès qu’occasionnent les fonds de série T alors que les retraits diminuent le prix de base rajusté (PBR) de l’investissement, ces fonds peuvent permettre de grandes économies d’impôt sur des montants de placements importants.
Les clients nantis sont très sensibles à ces considérations. Étant donné que plusieurs d’entre eux n’ont pas forcément de société de gestion (vente des actions d’une entreprise ; vente d’immobilier), le conseiller a tout intérêt à alimenter la discussion autour de ces produits.
Planification successorale
L’enjeu de la planification successorale est important pour les épargnants fortunés, puisque les sommes accumulées sont souvent trop élevées pour les réels besoins du ménage – et parfois même les besoins familiaux.
Le thème de l’impôt payable au décès est souvent la pierre angulaire de toute discussion portant sur la succession. Mais il y a aussi la question de contrôle patrimonial qui touche bon nombre d’individus.
En termes successoraux, équitable ne veut pas toujours dire égal. Par exemple, que fait-on avec l’enfant qui a travaillé au sein de l’entreprise familiale, par rapport à celui qui a fait carrière ailleurs ? Comment tenir compte de l’apport de l’un sans désavantager l’autre ?
Il peut être sage de prévoir le transfert d’entreprise en harmonie avec les intentions successorales, par exemple en prévoyant attribuer la croissance de l’entreprise à partir d’un certain seuil à l’enfant qui a grandi dans l’entreprise par l’intermédiaire d’un gel successoral.
Si un enfant a lui-même des enfants, tandis qu’un autre n’en a pas, qu’est-ce qui est équitable ? Qu’en est-il si un enfant éprouve un problème qui ne lui permet pas d’assumer la gestion d’un patrimoine financier important, ou qu’il est trop jeune pour cela ? Des clauses et des fiducies testamentaires aident à résorber ces impasses.
En tant que conseiller, poser les bonnes questions sur les notions de contrôle du patrimoine permet souvent d’ouvrir la discussion sur autre chose que les polices d’assurance. Certes, celles-ci servent à assurer la pérennité du capital légué après impôt, mais pour des gens très aisés, elles ne représentent pas toujours une dépense intergénérationnelle équitable.
Pourquoi donc payer de son vivant pour maintenir la succession nette ? Pourquoi ne pas plutôt profiter de ses avoirs ? Faire des cadeaux de son vivant ? Prévoir qu’une partie des avoirs sera investie sur un horizon de placement à plus long terme afin de fructifier davantage ?
Les individus fortunés sont souvent engagés dans leur collectivité et ont des causes qui leur tiennent à coeur. Leurs enfants n’ont souvent pas besoin de leur héritage pour vivre, ni même pour avoir une situation aisée. Une partie suffit souvent pour assurer une pérennité patrimoniale de loin supérieure à la moyenne.
Quand un tel investisseur détient des titres de sociétés publiques assortis d’un gain en capital latent, il peut prévoir les léguer à l’organisation caritative de son choix au décès. Les règles relatives aux dons planifiés font en sorte que depuis 2006, des titres donnés à un organisme de bienfaisance enregistré auprès de l’Agence du revenu du Canada (ARC) ne sont pas assujettis à l’impôt sur gain en capital.
Qui plus est, on aura droit à un reçu afin de se prévaloir du crédit d’impôt pour les dons, ce qui abaissera le coût fiscal pour la succession.
Par exemple, un investisseur qui aurait un titre à un PBR de 0 $ pourrait léguer le tiers de ses actions et obtenir un crédit d’impôt équivalant au sixième de leur valeur totale. Cela supprimerait entièrement l’impôt payable sur le gain des deux tiers de ses actions restantes pour la succession.
Cette information est relativement méconnue et mérite certainement l’attention des épargnants fortunés les plus avertis.