patrimoine – Finance et Investissement https://www.finance-investissement.com Source de nouvelles du Canada pour les professionnels financiers Fri, 28 Jun 2024 13:10:45 +0000 fr-CA hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.9.3 https://www.finance-investissement.com/wp-content/uploads/sites/2/2018/02/cropped-fav-icon-fi-1-32x32.png patrimoine – Finance et Investissement https://www.finance-investissement.com 32 32 Utilisation de fiducies dans un contexte de transfert de patrimoine familial à une personne handicapée https://www.finance-investissement.com/zone-experts_/apff/utilisation-de-fiducies-dans-un-contexte-de-transfert-de-patrimoine-familial-a-une-personne-handicapee/ Wed, 15 May 2024 10:42:19 +0000 https://www.finance-investissement.com/?p=100336 ZONE EXPERTS - Survol des caractéristiques du choix de « bénéficiaire privilégié » ainsi que de la fiducie de type « Henson ».

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La création de fiducies est régulièrement utilisée dans un contexte de planification fiscale et successorale afin de bénéficier de certains avantages fiscaux et pour la protection de patrimoine. Depuis les changements législatifs apportés à l’imposition d’une fiducie testamentaire, ainsi que ceux relatifs à l’impôt sur le revenu fractionné, bien peu de fiducies peuvent encore se prévaloir d’une imposition à taux progressifs ou favoriser le fractionnement du revenu parmi ses bénéficiaires.

Malgré ces changements, certains choix fiscaux et certaines fiducies peuvent encore bénéficier du régime d’imposition à taux progressifs lorsqu’une personne ayant un handicap physique ou mental en est bénéficiaire, ce qui permet aux proches des familles visées d’avoir une planification fiscale et successorale assurant la sécurité financière de la personne handicapée, tout en permettant à cette dernière de conserver l’accès aux prestations sociales des divers paliers de gouvernement.

Le présent texte vise à faire un survol des caractéristiques du choix de « bénéficiaire privilégié » ainsi que de la fiducie de type « Henson ». Ces choix peuvent être utilisés pour différentes stratégies de planification fiscale et successorale de transfert de patrimoine en faveur d’une personne handicapée.

Choix conjoint du bénéficiaire privilégié

Le paragraphe 104(14) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») permet à une fiducie et à son bénéficiaire privilégié de faire un choix conjoint afin qu’une partie ou la totalité du revenu accumulé (par. 108(1) « revenu accumulé » L.I.R.) de la fiducie soit incluse dans le revenu du bénéficiaire privilégié sans que la fiducie ait à verser le revenu à ce dernier. Ce choix permet à la fiducie de se prévaloir d’une déduction dans le calcul de son revenu imposable (par. 104(12) et al. 104(6)b) L.I.R.) tout en conservant le revenu accumulé. Le montant déterminé de revenu accumulé (par. 104(15) « montant attribuable » L.I.R.) réputé attribué par la fiducie au bénéficiaire privilégié est imposé aux taux progressifs de ce dernier plutôt qu’au taux marginal maximum de 53,31 % de la fiducie. Toutefois, si ladite fiducie se qualifie de fiducie admissible pour personne handicapée (« FAPH ») (par. 122(3) L.I.R.), elle pourra également bénéficier des taux d’imposition progressifs.

Les termes « bénéficiaire privilégié », « auteur » et « disposant » sont définis au paragraphe 108(1) L.I.R. et sont interdépendants les uns des autres. Le terme « auteur » s’applique aussi bien à la création d’une fiducie testamentaire qu’à celle d’une fiducie entre vifs. L’auteur d’une fiducie testamentaire (par. 108(1) « auteur ou disposant » L.I.R.) renvoie au particulier décédé à l’origine de la fiducie, alors que l’auteur d’une fiducie entre vifs renvoie à un particulier unique (auteur unique) ou à un particulier et son conjoint (auteur commun).

L’auteur d’une fiducie entre vifs conserve son statut aussi longtemps que la juste valeur marchande (« JVM ») des biens transférés à la fiducie par ce dernier demeure plus élevée que la JVM des biens transférés à la fiducie par une autre personne que l’auteur. La JVM d’une contribution est déterminée au moment où elle est effectuée, ce qui implique un suivi rigoureux des contributions faites à la fiducie afin de s’assurer que l’auteur d’une fiducie entre vifs ne perde pas son statut, ce qui empêcherait de bénéficier du choix conjoint. Néanmoins, la perte du statut d’auteur peut être regagnée si l’auteur effectue des contributions supplémentaires à la fiducie qui excèdent la JVM des contributions faites par des tiers. Il est à noter que la JVM d’une contribution est calculée au moment où elle est réalisée, ce qui permet aux fiduciaires de faire un calcul cumulatif de la JVM des contributions d’une personne sans avoir à tenir compte d’une plus-value ou d’une moins-value du ou des biens transférés.

La notion de « bénéficiaire privilégié » d’une fiducie fait référence à un particulier résidant au Canada, bénéficiaire du revenu ou du capital d’une fiducie dont l’auteur est l’une des personnes suivantes :

  • le particulier lui-même dans le cas d’une fiducie entre vifs pour soi-même visée au sous-alinéa 73(1.01)b)(ii) L.I.R.;
  • le conjoint au sens fiscal ou l’ex-conjoint du particulier; ou
  • l’arrière-grand-parent, le grand-parent, le parent du particulier ou le conjoint d’une de ces personnes.

De plus, au moment du choix, le particulier bénéficiaire de la fiducie doit faire partie de l’une ou l’autre des deux catégories suivantes :

  • un particulier mineur ou majeur qui est admissible pour l’année du choix au crédit d’impôt pour personne handicapée (par. 118.3(1) L.I.R.); ou
  • un particulier majeur qui est une personne à charge au sens du paragraphe 118(6) L.I.R. à cause d’une déficience mentale ou physique et dont le revenu n’excède pas 15 705 $ (excluant le montant attribuable visé par le choix du paragraphe 104(14) L.I.R.) pour l’année du choix.

La « personne à charge » définie au paragraphe 118(6) L.I.R. est la personne pour laquelle un particulier subvient en tout temps aux besoins de cette personne. Une trame factuelle doit démontrer que la « personne à charge » est totalement dépendante financièrement du particulier pour combler une partie de ses besoins essentiels de la vie (interprétation technique 2012-0436431E5) (nourriture, logement et habillement) et que ses revenus d’aide provinciale ne sont pas suffisants (interprétation technique 2022-0947811I7). La « personne à charge » doit être, par rapport au particulier ou son conjoint (interprétation technique 2022-0947811I7), son enfant ou petit-enfant, son père ou sa mère, son grand-père ou sa grand-mère, son oncle ou sa tante, son frère ou sa sœur, son neveu ou sa nièce.

Le « revenu accumulé » d’une fiducie est défini au paragraphe 108(1) L.I.R. comme étant le revenu pour une année d’imposition avant toute déduction prévue au paragraphe 104(12) L.I.R. pour la fiducie. La notion de « revenu accumulé » ne tient pas compte de tout revenu résultant d’une disposition présumée (par. 104(4), 104(5), 104(5.2) et 107(4) L.I.R.) pour une fiducie exclusive en faveur du conjoint ou une fiducie pour soi-même, ce qui signifie que le gain en capital au moment du décès du bénéficiaire de ladite fiducie ne pourra pas être inclus dans le choix de bénéficiaire privilégié. De plus, le « revenu accumulé » est calculé en tenant pour acquis que la fiducie s’est prévalue du montant maximal déductible en vertu du paragraphe 104(6) L.I.R., ce qui permet aux fiduciaires d’une fiducie discrétionnaire de recaractériser une partie ou la totalité d’une somme devenue payable (par. 104(24) L.I.R.) en « revenu accumulé » conformément à la discrétion accordée par l’alinéa 104(6)b) L.I.R.

Il est à noter qu’un « montant attribuable » défini au paragraphe 104(15) L.I.R. et attribué lors du choix du paragraphe 104(14) L.I.R. n’est pas considéré être un revenu fractionné. Cependant, si une partie ou la totalité du montant attribuable est un dividende visé par la définition de « revenu fractionné » (par. 120.4(1) et s.-al. 120.4(1)a)(i) L.I.R.) et qu’il est également visé par le choix du paragraphe 104(19) L.I.R. (interprétation technique 2019-0798501C6), l’impôt sur le revenu fractionné s’appliquera au bénéficiaire privilégié. Toutefois, les autorités fiscales ont indiqué que l’impôt sur le revenu fractionné ne s’appliquerait pas à un bénéficiaire privilégié lorsque le montant de dividende attribué est inscrit à la case 26 « autres revenus » du Formulaire T3 pour une année d’imposition (interprétation technique 2019-0798511C6).

L’exercice du choix de bénéficiaire privilégié doit se faire annuellement par la présentation d’un écrit faisant état du montant attribuable au bénéficiaire privilégié. Il doit aussi porter la signature du fiduciaire autorisé à faire le choix, ainsi que du bénéficiaire privilégié (par. 2800(1) du Règlement de l’impôt sur le revenu (« R.I.R. »)). Le délai de production de l’écrit est le même que le délai de production de la déclaration de revenus d’une fiducie (Formulaire T3), soit les 90 jours suivant la fin d’année d’imposition de la fiducie (par. 2800(2) R.I.R.).

Fiducie de type « Henson »

Personnes handicapées – Le soutien financier de l’État

Au Québec, différents programmes offrent un soutien économique aux personnes handicapées en vertu du Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles (« Règlement ») adopté en vertu de la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles (« Loi »). Par exemple, le programme de solidarité sociale accorde une aide financière de dernier recours aux personnes qui présentent des contraintes sévères à l’emploi (art. 67 de la Loi ).

Pour bénéficier du programme, la personne doit démontrer, par la production d’un rapport médical, que son état physique ou mental est, de façon significative, déficient ou altéré pour une durée vraisemblablement permanente ou indéfinie et que, pour cette raison et compte tenu de ses caractéristiques socioprofessionnelles, elle présente des contraintes sévères à lemploi (art. 70 de la Loi ).

La prestation prend la forme d’une allocation de solidarité. Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2024, les personnes qui ont des contraintes à l’emploi sévères et persistantes ont automatiquement accès au programme de revenu de base si elles reçoivent des prestations dans le cadre du programme de solidarité sociale et qu’elles présentent des contraintes sévères à l’emploi pendant au moins 66 mois au cours des 72 mois précédents.

Pour calculer le revenu de base, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale du Québec (« Ministère ») tient compte des revenus gagnés par le prestataire. Après une exclusion annuelle de base de 15 276 $ par année, chaque dollar gagné réduit la prestation de base de 0,55 $.

Par ailleurs, le Ministère tient compte des sommes d’argent (avoirs liquides) détenues par le prestataire. Après un seuil exempté de 20 000 $, chaque dollar d’avoir liquide diminue la prestation du mois suivant d’un dollar… C’est ici que le bât blesse. En effet, les montants versés par une fiducie au bénéfice d’une personne recevant des prestations dans le cadre du programme de solidarité sociale sont considérés comme un « avoir liquide » aux fins de la Loi (art. 128 du Règlement). Néanmoins, il existe certaines exemptions permettant d’éviter d’inclure des sommes à l’avoir liquide d’une personne, notamment en ce qui concerne les montants transmis par succession, et ce, jusqu’à un certain seuil prévu au Règlement (art. 164 et 164.1 du Règlement).

Comment améliorer le niveau vie d’une personne vivant des contraintes sévères à l’emploi sans lui faire perdre son droit aux prestations payées par l’État?

La fiducie de type « Henson »

Nos voisins ontariens ont trouvé une solution dans les années 1980 avec la fiducie de type « Henson ». La fiducie de type « Henson » tire son nom de l’affaire Director of Income Maintenance Branch of Ministry of Community and Social Services c. Henson, 1989 CarswellOnt 542 (C.A. Ont.). Selon le droit de l’Ontario, il s’agit d’une fiducie discrétionnaire, entre vifs ou testamentaire, dont l’objet est de voir au soutien d’une personne atteinte de déficience intellectuelle ou physique. Le versement du revenu et du capital doit dépendre entièrement de la volonté des fiduciaires.

Au Québec, les fiducies sont encadrées par le Code civil du Québec, où deux articles sont particulièrement pertinents :

« 1261. Le patrimoine fiduciaire, formé des biens transférés en fiducie, constitue un patrimoine d’affectation autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaire ou du bénéficiaire, sur lequel aucun d’entre eux n’a de droit réel.

1284. Pendant la durée de la fiducie, le bénéficiaire a le droit dexiger, suivant lacte constitutif, soit la prestation dun avantage qui lui est accordé, soit le paiement des fruits et revenus et du capital ou de lun deux seulement. » (Notre soulignement)

Pendant plusieurs années, les tribunaux ont systématiquement considéré que les sommes versées par une fiducie au bénéfice d’une personne handicapée devaient être incluses à titre d’« avoir liquide » pour cette dernière (voir la liste des décisions en fin de texte). En effet, dans l’affaire M.M. c. Québec (Solidarité sociale), 2003 CanLII 57838 (QC TAQ), le Tribunal, faisant siens les mots de la Commission des affaires sociales, indique :

« […] il est impensable en créant des fiducies testamentaires en vue de soustraire des sommes, autrement admissibles, et comptabilisables en vertu de la Loi sur la sécurité du revenu, au motif que les montants placés en fiducie appartiennent au fiduciaire et non au prestataire de la sécurité du revenu ».

C’est en 2014, grâce à l’affaire Québec (Curateur public) c. A.N. (Succession de), 2014 QCCS 616 (« A.N. (Succession de) »), qu’il a finalement été possible d’importer la fiducie de type « Henson » au Québec. Dans cette affaire, l’enfant handicapé est âgé de 55 ans et bénéficie de prestations d’aide sociale depuis l’âge de 22 ans, puisqu’il souffre d’une maladie grave s’apparentant à l’autisme. Sa mère décède en 2004 et le désigne comme bénéficiaire d’une fiducie discrétionnaire créée par son testament.

Le testament prévoit que le patrimoine de la testatrice sera transféré en fiducie :

« 4(b) To provide out of the revenue of my Estate and from the capital thereof should my said Executors and Trustees in their sole discretion deem it advisable, such sums as in their discretion they deem necessary, for any additional maintenance of my son, E… N…, during his lifetime, including additional provision for education, medical care, residence, companion and such other expenses as my Executor and Trustee shall deem reasonable. » (Notre soulignement)

Par ailleurs, le testament prévoit qu’au décès de l’enfant, le capital de la fiducie sera distribué à d’autres bénéficiaires.

Après avoir procédé à une intéressante analyse du testament et du droit applicable, le Tribunal conclut que l’article 4(b) du testament doit être interprété comme signifiant que le fiduciaire a une discrétion de verser à l’enfant, sa vie durant et pour son entretien, des montants additionnels à ceux qu’il est en droit de recevoir en vertu de la Loi.

Malgré ce courant jurisprudentiel québécois et les apprentissages qu’on a pu en tirer, une décision récente nous démontre qu’il faut porter une attention très particulière à la manière dont sont décrits les droits du bénéficiaire handicapé. Dans l’affaire Curateur Public, Tuteur A.B. c. Québec, 2023 QCTAQ 08364, rendue le 21 août 2023, le Tribunal a écarté l’affaire A.N. (Succession de) et a forcé les fiduciaires d’une fiducie à obtenir un soutien financier de cette dernière avant de solliciter l’aide financière de dernier recours.

En conclusion, la fiducie de type « Henson » fonctionne au Québec, mais de manière limitée. Il faudra porter une attention particulière à la rédaction du testament fiduciaire ou de la fiducie entre vifs et respecter le cadre suivant :

  • l’enfant handicapé ne doit avoir aucun « droit » au capital et au revenu au sens de l’article 1284 C.c.Q.;
  • le testament ne doit pas prévoir de remise fixe et déterminée à l’enfant;
  • la discrétion des fiduciaires doit être complète;
  • la fiducie ne peut servir qu’à apporter une aide financière additionnelle à l’enfant pour complémenter les sommes remises en vertu de la Loi;
  • le capital doit être remis à des tiers au décès de l’

Conclusion

Finalement, plusieurs pistes de solution peuvent être envisagées par les parents d’un enfant handicapé pour lui offrir un soutien financier par le biais d’une fiducie. La fiscalité permet d’optimiser le montant net d’impôts dont bénéficiera l’enfant. Une fiducie de type « Henson » est utile si le parent ne dispose pas de suffisamment de capital pour lui permettre de créer un patrimoine suffisant pour assurer un niveau de vie décent à son enfant handicapé. Il serait également possible d’envisager la mise en place d’une fiducie de prestation à vie. Cependant, il n’est pas certain qu’il soit possible de cumuler les avantages d’une fiducie de type « Henson » avec les avantages d’une FAPH ou un choix de « bénéficiaire privilégié ». La prudence est requise lors de l’analyse d’un choix afin de s’assurer que les caractéristiques de la fiducie de type « Henson » soient respectées.

Liste de décisions québécoises traitant de la fiducie de type « Henson », autres que celles déjà citées dans le texte :

  • L. et Ministre de la Solidarité Sociale, 1999 CanLII 29138 (QC TAQ);
  • D. c. Québec (Emploi et Solidarité sociale), 2006 CanLII 75771 (QC TAQ);
  • M. c. Québec (Emploi et Solidarité sociale), 2007 CanLII 26354 (QC TAQ);
  • M. c. Québec (Emploi et Solidarité sociale), 2012 CanLII 22730 (QC TAQ).

Thierry L. Martel, avocat, M. Fisc., TEP, Martel Cantin, Avocats, ThierryMartel@martelcantin.ca

et Marc Gendron, Adm.A., Pl. Fin., M. Fisc., Cain Lamarre s.e.n.c.r.l., marc.gendron@cainlamarre.ca

 

Ce texte a été publié initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 29, no 1 (Printemps 2024).

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Les subtilités du projet de loi sur l’union parentale https://www.finance-investissement.com/zone-experts_/serge-lessard/les-subtilites-du-projet-de-loi-sur-lunion-parentale/ Wed, 10 Apr 2024 10:22:40 +0000 https://www.finance-investissement.com/?p=100124 ZONE EXPERTS - Réponses à 10 bonnes questions sur ce projet de Québec.

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À l’occasion du jugement ultra médiatisé de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Éric c. Lola1 en 2013, cette Cour avait jugé à 5 juges contre 4 que le fait d’attribuer des droits aux conjoints mariés et de ne pas en attribuer aux conjoints non mariés constituait de la discrimination. Cependant, un de ces 5 juges avait aussi conclu que cette discrimination était justifiée dans les circonstances. C’est dans ces circonstances qu’une réforme du droit de la famille a été entreprise.

La réponse du gouvernement du Québec

Le jeudi 28 mars 2024, le ministre de la Justice Simon Jolin-Barette a déposé le projet de loi 56 intitulé Loi portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d’union parentale. Essentiellement, le projet de loi vise à créer un nouveau régime de droit familial appelé « Union parentale » qui aura plusieurs effets, notamment la création d’un patrimoine d’union parentale, qui ressemble au patrimoine familial pour les couples mariés ou en union civile, avec toutefois une portée plus limitée, une prestation compensatoire et une protection pour la résidence familiale.

Bien sûr, il ne s’agit pour l’instant que d’un projet de loi, ce qui signifie qu’il n’a pour le moment aucune force. Ce projet de loi n’en est qu’à l’étape de la présentation c.-à-d. la première des 5 étapes nécessaires pour en faire une loi. Il pourrait être fortement modifié ou même n’être jamais adopté.

Nos commentaires ne visent qu’à expliquer les impacts potentiels du projet de loi tel que présenté. Ils ne visent nullement à évaluer la pertinence ou non des éléments du projet. De plus, le fait que le projet soit une nouveauté nous amène à dire souvent « il semblerait » dans le présent texte. Il faut donc prendre les informations qui suivent avec un grain de sel.

  1. Qui est visé ?

Ce nouveau régime de droit matrimonial, l’union parentale, vise les conjoints de faits, de mêmes sexes ou de sexes différents, dont un enfant commun naît, ou est légalement adopté, après le 29 juin 2025. Si le couple a déjà des enfants nés avant cette date, il n’est visé que si un nouvel enfant naît après cette date, et l’union parentale ne prendra effet qu’à partir du moment de cette nouvelle naissance, sans rétroactivité. Si les parents ont un enfant qui naît après le 29 juin 2025 et qu’ils ne sont pas conjoints de fait, mais le deviennent ou le redeviennent, l’union parentale s’appliquera à eux dès le moment où ils deviennent ou redeviennent conjoints de fait, après la naissance de cet enfant.

Pour lire un suivi de ce sujet, consultez : Le régime d’union parentale maintenant adopté

L’union parentale ne vise que les conjoints de fait. Selon le projet de loi, des conjoints de fait sont, uniquement pour les fins de ce projet de loi : « … deux personnes qui font vie commune et qui se présentent publiquement comme un couple, sans égard à la durée de leur vie commune. Sont présumées faire vie commune les personnes qui cohabitent et qui sont les père et mère ou les parents d’un même enfant. ». À première vue, il semblerait qu’une absence de vie commune ou une séparation alors que l’enfant est conçu, mais non encore né empêcherait l’assujettissement à l’union parentale.

La vie commune est une question de fait et n’est pas seulement reliée à la cohabitation. Pour déterminer si des personnes font vie commune ou non, la jurisprudence en général a déterminé que les éléments suivants doivent être pris en compte2 :

  • L’attachement
  • La cohabitation des parties
  • L’existence d’un projet commun de vie entre les parties
  • Le soutien affectif
  • Le secours mutuel
  • La mise en commun ou le partage des revenus, des actifs ou des dépenses
  • Le partage d’intérêts communs
  • La vie sociale
  • Les loisirs
  • Les sorties
  • La durée, la continuité et la stabilité de la relation
  • La notoriété de la vie commune

Aucun de ces éléments n’est déterminant à lui seul et l’absence de cohabitation, bien que fortement révélatrice, n’exclue pas automatiquement qu’il y ait vie commune.

Le ministre a déclaré que les personnes qui ne se qualifient pas pour l’union parentale alors qu’ils ont des enfants, mais qu’aucun n’est né après le 29 juin 2025 pourront effectuer un choix de s’assujettir volontairement à l’union parentale.

  1. Y a-t-il des exceptions aux personnes visées par l’union parentale ?

Des personnes qui sont l’une par rapport à l’autre un frère ou une sœur ne peuvent être assujetties volontairement ou par défaut à l’union parentale. Il en est de même pour des personnes qui sont ascendantes et descendantes l’une par rapport à l’autre. De plus, l’union parentale ne s’applique pas aux conjoints s’ils sont mariés (ou unis civilement) entre eux ou si l’un est marié (ou uni civilement ou en union parentale) avec une autre personne.

  1. Qu’est-ce que l’union parentale ?

L’union parentale est un régime de droit matrimonial. C’est un statut pour les conjoints de fait. À titre d’exemple, des conjoints qui choisissent de passer par le processus du mariage acquièrent le statut de conjoints mariés, ainsi que les droits et obligations qui viennent avec. Dans le cas de l’union parentale, il n’y a aucun processus juridique à suivre, à moins de s’assujettir volontairement lorsqu’on ne se qualifie pas. Dès la naissance d’un enfant après le 29 juin 2025, les conjoints de fait acquièrent automatiquement le statut de conjoint en union parentale.

Ce statut aura des effets sur certains aspects juridiques seulement à titre d’exemple, sur la création du patrimoine d’union parental. Ce statut de conjoint en union parentale ne changera pas le fait que, pour plusieurs autres aspects juridiques, les conjoints de fait garderont le simple statut de conjoint de fait (à titre d’exemples, aux fins de la réversibilité et de la priorité de paiement au conjoint au décès des régimes de retraite) pour autant qu’ils se qualifient selon les critères des lois pertinentes. Notez aussi qu’il ne semble y avoir aucun effet de l’union parentale sur les désignations de bénéficiaire d’assurance vie et de contrats de fonds distincts.

  1. Peut-on s’exclure de l’union parentale ?

Il semble que les conjoints de fait pourront se retirer volontairement des règles sur le patrimoine d’union parentale et non pas se retirer de l’union parentale elle-même. Elles pourront le faire en cours d’union, devant notaire. Si un tel retrait survient dans les 90 jours du début de l’union, le patrimoine d’union parentale est réputé n’avoir jamais existé.

Puisqu’il ne sera pas possible de se retirer de l’union parentale elle-même, les nouvelles règles sur la prestation compensatoire, la protection de la résidence principale et sur la dévolution légale seront maintenues.

  1. Qu’est-ce que le patrimoine d’union parentale ?

Dès que les conjoints acquièrent le statut de conjoints en union parentale, il y a création d’un patrimoine d’union parentale. Ce patrimoine vise la résidence familiale, les meubles et les véhicules automobiles. Le fonctionnement de ce patrimoine d’union parentale ressemble beaucoup, sans être complètement identique, au fonctionnement du patrimoine familial, ce dernier ne s’appliquant qu’aux personnes mariées ou unies civilement. Comme le patrimoine familial, il ne s’agit pas d’un patrimoine dont les deux conjoints deviennent propriétaires 50 %-50 % d’un bien. Dans les faits, si la maison appartient à 100 % à un des conjoints, elle demeure la pleine propriété de ce conjoint. S’il y a séparation, décès ou retrait, il y aura partage de la valeur des biens du patrimoine d’union parentale.

  1. Qu’est-ce qui fait partie du patrimoine d’union parentale ?

Le patrimoine d’union parentale inclus :

  • La résidence familiale (une seule résidence). La résidence familiale est celle choisie par les conjoints en union parentale. En l’absence de choix exprès, la résidence familiale est présumée être celle où les membres de la famille habitent lorsqu’ils exercent leurs principales activités. Il n’y a qu’une seule résidence familiale. Contrairement au patrimoine familial, les résidences secondaires ne sont pas incluses. Les droits qui confèrent l’usage de la résidence familiale sont aussi inclus. Ceci pourrait possiblement couvrir certains cas où la résidence familiale est détenue par une société ou par une fiducie.
  • Les meubles qui garnissent ou ornent la résidence familiale et qui servent à l’usage du ménage. Ceci exclurait potentiellement les objets de collection.
  • Les véhicules automobiles utilisés pour les déplacements de la famille. Ceci pourrait autant inclure une motoneige si elle sert à se rendre au chalet familial (déplacement de la famille), mais probablement pas si la motoneige ne sert qu’à faire de la randonnée (loisir de la famille).

On peut remarquer que, contrairement au patrimoine familial qui s’applique aux conjoints mariés ou unis civilement, le patrimoine d’union parentale n’inclut pas, entre autres, les Régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER), les Fonds enregistrés de revenu de retraite (FERR), les régimes de retraite et les gains inscrits au Régime de rentes du Québec (RRQ).

Les conjoints pourront modifier ensemble, en cours d’union, le contenu assujetti au patrimoine d’union parentale pour en exclure ou y inclure certains types de bien. Les exclusions devront se faire par acte notarié en minute.

La valeur du patrimoine d’union parentale est constituée de la valeur des biens mentionnés, mais plus précisément de la valeur qui a été acquise pendant l’union parentale. À titre d’exemple :

  • Une maison détenue par un des conjoints et 100 % payée par ce conjoint avant le début de l’union parentale serait incluse dans le patrimoine d’union parentale, mais aurait une valeur partageable égale à zéro.
  • Une maison détenue par un des conjoints, 60 % payée (donc 40 % hypothéquée) avant le début de l’union parentale et dont 25 % de l’hypothèque (10 % de la valeur de la maison) est payée durant l’union parentale aurait une valeur partageable égale à 10 %.
  • Une maison détenue par les conjoints à raison de 50 % chacun est déjà partagée 50 %-50 %. Il faudra peut-être la vendre pour en obtenir la valeur au comptant.
  • La plus-value sur la portion non partageable détenue au moment du début de l’union parentale est elle-même non partageable.
  • À première vue (cet élément n’est pas clair), il semble que la valeur payée (pour l’achat ou le remboursement de l’hypothèque) durant l’union parentale à même des sommes détenues avant l’union parentale (incluant les revenus sur ces sommes) sera exclue du partage. Il nous semble que ceci diffère des règles du patrimoine familial.
  • Les apports provenant des biens possédés avant la constitution du patrimoine d’union parentale et les biens échus par donation ou succession et le remploi de tous ces biens (incluant les revenus sur ces sommes) seront déduits de la valeur partageable
  1. Quand l’union parentale se termine-t-elle ?

L’union parentale prend fin par la séparation, par le mariage ou l’union civile des conjoints ou d’un conjoint avec un tiers, ou par le décès. Elle entraîne le partage du patrimoine d’union parentale. Dans le cas de la séparation, il suffit de la manifestation expresse ou tacite de la volonté d’un ou des conjoints de mettre fin à l’union. Ceci met fin à l’union parentale immédiatement et il faudra procéder au partage de la valeur du patrimoine d’union parentale.

  1. Que se passe-t-il à la séparation ?

À la séparation, la valeur du patrimoine d’union parentale sera partagée 50 %-50 %. Cette valeur pourra être payée par le versement d’une somme au comptant (laquelle pourrait être étalée sur une période), par le transfert de la propriété ou d’une partie de la propriété du bien (dation en paiement) ou par le transfert de propriété d’un autre bien (si les ex-conjoints s’entendent là-dessus).

  1. Que se passe-t-il au décès ?

Au décès, le patrimoine d’union parentale est partageable dans les mêmes proportions que lors d’une séparation.

Le conjoint survivant à qui une somme est due en vertu de ce partage peut la réclamer de la succession de son défunt conjoint. Il s’agit d’une créance payable par la succession avant le paiement de tout legs.

Lorsqu’une somme est due par le conjoint survivant à la succession en vertu de ce partage, cette somme devra lui être versée. Elle servira d’abord à payer les éventuelles dettes de la succession et le reste de la succession ira aux héritiers. S’il n’y a pas de testament, deux tiers de la somme restante ira aux enfants et un tiers de la somme restante ira au conjoint. Notez que le projet de loi prévoit que le conjoint en union parentale qui faisait vie commune avec le défunt depuis plus d’un an se qualifie désormais pour ce tiers contrairement au conjoint en simple union de fait. Si un testament existe, la somme restante sera dévolue selon celui-ci. Et si l’héritier en vertu du testament (ou par dévolution légale (ab intestat)) est une personne autre que le conjoint survivant, ce conjoint survivant perdra une partie de ses actifs. Clairement, il faudra réviser les testaments existants !

  1. En quoi ce projet de loi peut-il avoir un impact sur le travail des conseillers ?

Si ce projet de loi est éventuellement adopté tel quel, le travail du conseiller pourrait être touché de plusieurs façons :

  • Le citoyen moyen a déjà de la difficulté à s’y retrouver parmi les règles actuelles du mariage, de l’union civile et de l’union de fait. Le conseiller pourrait avoir à faire de l’éducation auprès de leurs clients.
  • Le conseiller devra distinguer les différents statuts afin d’indiquer le bon statut dans les différents formulaires. Une adaptation sera nécessaire.
  • Le statut d’union parentale ne sera valide qu’au Québec puisqu’il s’agit d’un champ de compétence provinciale. Il faudra s’assurer d’indiquer le bon statut dans les documents fédéraux.
  • Le paiement de la créance du patrimoine d’union parentale pourrait être effectué par le transfert de presque tous genres d’actifs (y compris ceux qui ne font pas partie du patrimoine d’union parentale), tels REER, FERR, compte d’épargne libre d’impôt (CELI), régimes de retraite ou placements non enregistrés. Le conseiller pourrait avoir à gérer ces transferts.
  • Les conseillers pourraient offrir d’assurer la vie des conjoints en fonction du risque de perdre une partie de leur patrimoine au profit d’héritiers tiers ou au profit des créanciers du conjoint défunt.
  • Le planificateur financier devra revoir ses planifications existantes dans plusieurs cas.
  • Une assurance pourrait constituer une sûreté lorsque le paiement de la valeur du patrimoine parental se fait sur plusieurs années.
  • Les clients pourraient vouloir revoir leur testament afin d’y inclure une clause de renonciation au partage ou un legs des droits du patrimoine d’union parentale.
  • L’équité successorale souhaitée par certains clients pourrait ne plus être atteinte. La planification successorale pourrait devoir être révisée afin de considérer les droits du conjoint de fait en union parentale.
  • Les conseillers pourraient avoir à maintenir séparés les investissements faits avant le début de l’union parentale de ceux faits après le début de l’union parentale.

Une chose est certaine : nous suivrons l’évolution de ce projet de loi de près !

Serge Lessard, avocat, pl. fin., FLMI, Vice-président adjoint régional pour le Québec (Investissements), Service de fiscalité, retraite et planification successorale, Gestion de placements Manuvie

Cet article a été rédigé à titre informatif et il ne constitue pas une opinion juridique, fiscale, de placement ou de planification financière. Tout client ou conseiller qui est dans une telle situation devrait s’assurer de bien comprendre les notions applicables à sa situation propre. Il devrait aussi obtenir des conseils d’un professionnel pour savoir si le contenu s’applique ou non à sa situation. De plus, cet article est basé sur un projet de règlement non encore adopté. Les commentaires sont donc hypothétiques.

1 – Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61

2 – Voir le texte de la professeure Brigitte Lefebvre, notaire : « Conjoints de fait : Concept de vie maritale et autres problèmes », Congrès 2018, Collection APFF, 3 octobre 2018.

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