L’évaluation de la dette privée est devenue un sujet important parmi les directeurs de crédit alternatif alors que les effets de la COVID-19 se font ressentir sur le marché.
Le 5 mai, plus de 20 des plus grands gestionnaires de dettes privées du monde et des spécialistes de l’évaluation membres du Conseil du crédit alternatif (CCA) de l’AIMA se sont joints à BNY Mellon lors d’une table ronde virtuelle pour discuter des pratiques actuelles à la lumière de la COVID-19.
Cette fois, c’est différent
Cette crise est unique et les questions d’évaluation sont au centre des préoccupations des sociétés de crédit privées, en particulier celles actives sur des marchés non liquides et difficiles à évaluer. La transparence de la séance a montré à quel point les gestionnaires de fonds étaient désireux de partager leurs opinions pour s’assurer d’être en phase avec le marché lorsqu’ils déterminent la juste valeur en cette époque sans précédent.
Cependant, certaines choses ne changent jamais
Rien n’a changé en ce qui concerne les principes fondamentaux d’évaluation. Les politiques doivent être conçues avec suffisamment de souplesse pour résister à la volatilité des marchés et aux cycles de crédit. La question capitale de savoir ce qu’est la juste valeur et où chercher des indications sur cette même valeur demeure la même. Toutefois, il a été fait état de modifications des méthodologies pour refléter le caractère unique de la situation.
Toute approche de la juste valeur doit également être relativement agnostique quant à savoir si le fonds est de type ouvert ou fermé. Toutefois, le devoir de traiter équitablement les investisseurs entrants et sortants augmente les enjeux des fonds ouverts, étant donné que l’argent entre et sort à la valeur liquidative. Il peut donc être nécessaire d’apporter un soin particulier et de fournir des informations supplémentaires sur les méthodes utilisées pour les fonds de type ouvert afin de garantir une transparence convenable aux investisseurs et d’éviter toute surprise.
L’environnement plutôt stable des souscriptions et des rachats au cours de la dernière décennie est susceptible de changer; cela a été désigné comme un domaine où les gestionnaires d’actifs devraient s’attendre à une surveillance accrue.
En préparation d’un deuxième trimestre de COVID
Comment évaluer un investissement dans un monde en pleine crise COVID? De nombreux apports potentiellement pertinents — allant du soutien en liquidités du gouvernement et des délais de développement d’un vaccin à l’allègement de l’éloignement social — sont difficiles à quantifier ou à prévoir. La superposition de plusieurs variables aléatoires augmente les risques d’erreurs lors de l’analyse. C’est pourquoi beaucoup préfèrent un modèle plus simple axé sur des ajustements de rendement, en utilisant si possible des données objectives actuelles et historiques.
Étant donné le degré d’incertitude au 31 mars, l’analyse fondamentale du crédit à la fin du premier trimestre était particulièrement difficile. Du point de vue de l’évaluation, les investisseurs ont cherché à déterminer un ajustement adéquat du taux d’actualisation en fonction de l’émetteur, du secteur et du niveau d’exposition à la COVID.
On s’attend à ce que le deuxième trimestre soit très différent. Bien qu’un grand nombre d’incertitudes persistent, les entreprises publient de nouvelles prévisions pour 2020. Par conséquent, le processus d’évaluation du deuxième trimestre demandera beaucoup de travail alors que les gestionnaires de fonds examinent leur portefeuille emprunteur par emprunteur. Une attention particulière doit être accordée au risque de double comptage. Il est impossible de superposer l’analyse de crédit à de larges ajustements des taux d’actualisation, car certains de ces facteurs seront déjà pris en compte.
L’utilisation des coûts amortis comme variables de la dépréciation est un autre domaine dans lequel l’industrie réfléchit aux approches actuelles. Cette pratique peut être vue comme un « raccourci » qui passe souvent inaperçu dans un environnement stable, mais pas forcément dans un monde en plein COVID. La principale question est donc de savoir s’il vaut mieux procéder à des ajustements ou présenter des informations et si les investisseurs seront favorables à l’une ou l’autre.
La pandémie a également remis en question la manière dont les gestionnaires de fonds peuvent ou doivent utiliser au mieux les actifs liquides et les cotations des courtiers pour informer l’évaluation du crédit privé. La phase initiale de la crise montre un certain degré de déconnexion entre les marchés publics et privés, ainsi qu’une baisse des données disponibles pour les comparaisons.
Les divergences entre les marchés publics et privés se manifestent à la fois dans le calendrier et dans les niveaux de volatilité. En mars, de nombreuses données sur les marchés publics indiquaient une baisse et il n’y avait pas de données sur les marchés privés. Depuis lors, les marchés publics se sont améliorés et les points de données des marchés privés deviennent plus accessibles. Certains gestionnaires ont signalé que l’augmentation des prix des rendements sur les marchés publics et/ou des prêts liquides s’accompagne d’un resserrement des écarts sur certains montages du marché privé. Ce qui était connu et connaissable le 31 mars sera très différent d’ici le 30 juin.
Apprendre par l’exemple
D’autres régions et des crises antérieures peuvent être instructives pour l’évaluation des portefeuilles. De manière générale, l’Asie est en avance de quelques semaines sur l’Amérique du Nord et l’Europe du point de vue de la chronologie de crise. La région peut donner un aperçu de ce qui pourrait se passer. Les premières données indiquent que nous assistons à des modifications des calendriers de paiement, à des remboursements de prêts pour améliorer la couverture du rapport prêt-valeur ou à l’ajout de garanties supplémentaires.
Les participants à la table ronde ont également rappelé que le fait de remonter à 2008 et de trouver des entreprises comparables au secteur était, à ce stade, l’indicateur le plus utile pour certaines firmes. L’analyse du recrutement et de l’expansion des entreprises comparables depuis 2008 pourrait fournir une mesure de leur caractère cyclique à un moment où il est plus difficile de trouver des points de données fiables. Certaines ont été plus prudentes quant à l’utilisation généralisée de chiffres historiques ou modélisés du BAIIDA des douze derniers mois dans des scénarios prospectifs, estimant que ces facteurs sont trop difficiles à justifier.
Le secteur des sociétés de développement commercial (SDC) est une autre source de transparence. Les SDC sont tenues de divulguer un grand nombre de données dans leurs dossiers et les résultats du premier trimestre sont maintenant publiés. Il est intéressant de noter un certain regroupement, les ajustements de la valeur liquidative se situant autour de 10 à 15 %, alors que les prix des actions démontraient une dispersion bien plus grande. La transparence autour des SDC pourrait donc être un aperçu utile sur la manière dont les prêteurs du cours moyen abordent l’évaluation de manière plus globale, ainsi que sur la crédibilité de ces évaluations pour le marché.
Communiquer
Les investisseurs sont de plus en plus exigeants et demandent chaque fois plus d’informations. Ils font même appel à des agents d’évaluation indépendants pour obtenir une évaluation alternative. Les gestionnaires de fonds doivent s’assurer de pouvoir dialoguer avec leurs investisseurs de manière exhaustive et transparente. Les directeurs de fonds ont également mis l’accent sur les pratiques d’évaluation et la divulgation d’informations lors des réunions du conseil d’administration.
Texte par : Jiri Krol, directeur général adjoint, responsable mondial des affaires gouvernementales, AIMA.